Paris, Salle Pleyel, mardi 12 novembre 2013
Franz Welser-Möst et le Cleveland Orchestra. Photo : (c) Cleveland Orchestra, DR
La
mise en perspective des Symphonies n°
4 de Beethoven et n° 8 de Chostakovitch par l’Orchestre de Cleveland pouvait
surprendre. Mais l’écoute simultanée en a révélé non pas l’évidence mais une
certaine filiation, bien que le climat de chacune des symphonies soit fort
éloigné de l’autre, voire carrément opposé. En présence de Christoph von
Dohnanyi, qui a été le directeur musical de la somptueuse phalange états-unienne
pendant dix-huit ans, le Cleveland Orchestra et son successeur Franz
Welser-Möst ont confirmé l’évidente filiation de ces musiciens avec la
tradition musicale allemande, tout en imposant ses chatoyantes sonorités
d’airain qui font la spécificité des orchestres nord-américains.
Etincelante
et voluptueuse, la Symphonie n° 4 de
Beethoven s’est avérée extrêmement séduisante et colorée, mais à force de
briller, l’interprétation a laissé l’auditeur de marbre, l’œuvre semblant s’étirer en longueur, en raison de quelques passages atones, particulièrement dans l’Adagio, mais le
court finale a scintillé avec grâce et opulence, laissant finalement sur une
impression d’accomplissement de bon aloi.
Loin
du climat de la Quatrième Symphonie
de Beethoven, écrite en un été, celui de 1806, alors que le compositeur vivait
l’une des périodes les plus heureuses de sa vie, voyant alors son amour pour Thérèse
de Brunswick prospérer, la Huitième Symphonie
de Chostakovitch, conçue elle aussi le temps d’un été, celui de 1943, est le
fruit de l’une des moments les plus sombres de l’Histoire, celui de l’année-charnière
de la Seconde Guerre mondiale qui marqua le début de la fin de l’Allemagne nazie.
Il s’agit donc d’une symphonie de guerre, à l’instar de la Septième sous-titrée « Leningrad »,
une partition majeure du compositeur russe alors sous le choc de la bataille de
Stalingrad que venaient de remporter les troupes soviétiques. L’œuvre est construite
en cinq mouvements déployés sur un peu plus d’une heure, les trois derniers
formant un cycle indivis ouvert sur une marche infernale qui semble évoque
clairement une trouée de chars et de fantassins conduisant à une flambée de
violence terrifiante, plus impressionnante encore que toutes celles qui
ponctuent la partition entière, notamment dans l’Allegro du mouvement initial.
Le tout a été rendu avec une précision rare par la
direction fluide de Franz Welser-Möst suivie avec maestria par des pupitres de
l’Orchestre de Cleveland d’une grande cohésion, sachant notamment trouver dans
l’admirable scène de bataille les couleurs dramatiques tenant de l’épopée de
tout un peuple. Il manque néanmoins dans cette interprétation captivante cette
force brute, cette acidité rêche, cette sauvagerie barbare, cette rusticité que
savent si naturellement restituer les orchestres russes, tant la beauté
plastique des extraordinaires musiciens de la phalange états-unienne trouve à s’épanouir
et qui, de ce fait, excellent dans les pianissimi
et dans les nombreux soli que
compte la partition joués avec une précision et une délicatesse stupéfiantes. La
comparaison s’annonce passionnante avec ce que feront de cette même Symphonie n° 8 de Chostakovitch dans
cette même Salle Pleyel Valery Gergiev et l’Orchestre du Théâtre Mariinsky le
17 février prochain (1).
Bruno Serrou
1) Valery Gergiev et l’Orchestre du Théâtre
Mariinsky poursuivent cette saison Salle Pleyel l’intégrale des symphonies de
Chostakovitch commencée la saison dernière : les 1, 2 et 3 décembre 2013, 17
et 18 février 2014
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