Thomery (Seine-et-Marne). Festival Rosa Bonheur. Château de Rosa Bonheur. Dimanche 24 août 2025
Beau dimanche après-midi d’août ensoleillé à Thomery dans le parc du château de Rosa Bonheur pour un concert du Festival au nom de l’artiste peintre réunissant deux musiciennes au large répertoire, férues notamment de création contemporaine, la soprano Odile Heimburger et la pianiste Laurianne Corneille, également auteur de la production, ont proposé un spectacle intitulé « Femmes de feu » consacré à deux cantatrices légendaires, « La Malibran » et « La Callas », avec des œuvres dans lesquelles ces divas se sont illustrées, Malibran, Garcia, Viardot, Rossini, Colbran, Bellini, Donizetti, constituant un authentique spectacle dans lequel les deux artistes se sont illustrées avec aisance et brio, attestant d’une grande complicité, d’autant plus qu’il s’agissait d’une première publique et en présence de la professeur de la soprano, la cantatrice Annick Massis
Deux jeunes musiciennes accomplies, une soprano, Odile Heimburger, et une pianiste, Laurianne Corneille, se sont associées pour célébrer la mémoire de deux illustres cantatrices à plus d’un siècle de distance que le temps n’efface pas de la mémoire du grand public, mélomane ou pas, Maria Malibran (1808-1836), à la carrière météorique qui fut également compositrice, et Maria Callas (1923-1977). Avant de découvrir sa voix de soprano, Odile Heimburger avait choisi le violon dès trois ans, l’étudiant notamment au Conservatoire de Strasbourg, sa ville natale, puis à Rueil-Malmaison et à Paris, avant de se rendre au Royal College of Music de Londres pour suivre l’enseignement du violoniste russe Yuri Zhislin. A Londres, elle commence parallèlement l’étude du chant dans ce même RCM, avant d’obtenir un Master de chant à la Guildhall School of Music and Drama, tout en abordant la musique contemporaine auprès de Sarah Walker, fondatrice du cours Creative Voices où compositeurs et interprètes travaillent ensemble à la genèse d’œuvres nouvelles. De retour en France en 2010, elle remporte plusieurs concours dont le Concours International de Chant Georges Enesco et commence à travailler avec des metteurs en scène qui portent autant d’attention à la musique qu’au jeu d’acteur, certains se plaisant à associer les deux domaines dans lesquels Odile Heimburger excelle, le violon et le chant. Sa partenaire, la pianiste Laurianne Corneille, qui, elle aussi, a suivi l’enseignement d’un musicien russe, le pianiste Evgeny Moguilevsky, au Conservatoire Royal de Bruxelles où elle étudie aussi le pianoforte avec Claire Chevallier, et y obtenant un Master d’interprétation et une Agrégation d’enseignante. A l’instar de sa partenaire, elle se plaît à improviser avec des musiciens de jazz, et à jouer sur des instruments anciens, tout en travaillant avec des compositeurs contemporains comme Philippe Boesmans, Claude Ledoux, Jean-Luc Fafchamps, Isabelle Albouker et Lise Borel. C’est elle qui a conçu et écrit le spectacle présenté dimanche par le Festival du Château de Rosa Bonheur mettant en regard les mémoires écrits par Maria Malibran et des lettres de Maria Callas, deux sopranos sans limites, archétypes de la diva assoluta érigées toutes deux au rang d’icônes dans la lignée de la grande Giuditta Pasta (1797-1865), que les deux musiciennes font revivre à travers leurs mots et la musique dans laquelle elles se sont exprimées, le chant et l’orchestre tout entier contenu dans le piano.
Fille et élève de Manuel Garcia (1775-1832)), ténor,
baryton, compositeur, chef d’orchestre, impresario, professeur de chant, sœur aînée
de Pauline Garcia-Viardot, la mezzo-soprano Maria Garcia-Malibran a fait ses débuts
sur scène à Naples dès l’âge de cinq ans alors qu’elle s’était vue attribuer un
petit rôle muet dans L’Agnese de
Ferdinando Paër (1771-1839), remplaçant au pied levé la soprano titulaire
défaillante à la grande joie du public. Formée à la dure par son père, elle est
engagée avec lui parle King’s Theatre de Londres où elle fait ses grands débuts
le 7 juin 1824 en donnant à 17 ans la réplique au dernier des grands castrats,
Giovanni Battista Velluti (1780-1861) rivalisant avec lui en vocalises et fioritures
en tous genres dans le duo de Roméo et Juliette de Nicolo Zingarelli (1752-1837).
Dix-huit jours plus tard, le théâtre londonien lui confie le rôle de Rosine du Barbier de Séville de Gioacchino Rossini
(1792-1868) dans lequel elle remporte un tel succès que la production tient l’affiche
six semaines. Puis elle part en tournée avec le troupe de son père à Londres,
Manchester et Liverpool dans le rôle de Felicia de l’opéra Il crociato in Egitto (Le Croisé
en Egypte) de Giacomo Meyerbeer (1791-1864), avant de se rendre à New York
où la troupe fait ses débuts triomphaux le 29 novembre 1825 dans Le Barbier de Séville, avant de donner Tancrède, Otello, La Cenerentola, Il Turco in Italia de Rossini et Roméo et Juliette de Zingarelli, ainsi
que deux opéras de Garcia, L’Amante têtue
et La Fille de l’air, enfin Don Giovanni de Mozart. Pour échapper à l’autorité
de son père, qui lui donne néanmoins son accord, elle épouse Eugène Malibran,
qui lui apprend à nager et à monter à cheval. Mais la faillite de son mari la
pousse à retrouver le chemin de la scène, abandonnant le répertoire italien au
profit d’œuvres plus légères françaises et anglaises dans lesquelles elle
triomphe de nouveau. Une seconde faillite de son mari la conduit à prendre ses
distances et retourne en Europe, débarquant au Havre le 28 novembre 1827. L’hiver
suivant, elle retrouve la scène parisienne lors d’un concert de charité salle
du Conservatoire de Paris puis elle chante pour le bénéfice de la basse Filippo
Galli (1783-1853) à l’Opéra de Paris, qui lui propose d’autres prestations qu’elle
refuse, lui préférant le Théâtre des Italiens dans la troupe duquel son frère
Manuel Garcia la rejoint. Ils y chantent ensemble avec éclat Sémiramis, Otello, La Cenerentola, Roméo et Juliette, puis elle se rend seule
en tournée à Londres, Bruxelles et Chimay, où elle rencontre le compositeur
violoniste belge Charles-Auguste de Bériot (1802-1870), qui devient son amant
et chez qui elle s’installe à Ixelles à la mort de son père en 1832 avant de l’épouser
en secondes noces en 1836 et de s’installer avec lui à Saint-Josse-ten-Noode (Bruxelles).
En juin 1833, à Londres, elle se lie d’amitié avec Vincenzo Bellini (1801-1835),
chante dans Les Noces de Figaro de
Mozart à Covent Garden, avant de se rendre en Italie où elle réalise deux
tournées de suite. En 1836, enceinte de quelques mois pour la seconde fois,
elle fait une chute de cheval, mais continue à se produire en récitals, à
Liège, Aix-la-Chapelle, Paris et Manchester, où elle meurt le 23 septembre 1836
des suites de son accident de cheval d’un caillot au cerveau après quelques
jours de coma. Une foule immense et trois orchestres accompagnent sa dépouille
jusqu’à un imposant mausolée au cimetière de Laeken à Bruxelles. Quant à l’histoire
de sa lointaine héritière, Maria Callas, elle est plus connue car plus proche
de nous, bien qu’elle soit morte voilà déjà quarante-huit ans à l’âge de cinquante-quatre
ans, et je renvoie les lecteurs de ces lignes au dossier que je lui ai consacré
sur ce même site pour son centenaire (voir http://brunoserrou.blogspot.co
Musicienne accomplie, comédienne aguerrie, voix souple, pleine et fruitée de soprano au large ambitus qui lui permet d’offrir des vocalises flexibles et rayonnantes, s’exprimant avec une égale vaillance dans tous les répertoires, du plus léger au plus tragique, passant avec une endurante souplesse, du baroque au contemporain en passant par le grand répertoire classico-romantique, Odile Heimburger a rapidement trouvé ses marques dimanche, après s’être échauffé la voix dans les deux premières mélodies sélectionnées et pris la mesure avec elles de l’acoustique naturellement sèche du plein air mais fort bien amplifiée par un micro ne déformant pas la voix car posé loin d’elle et à la réverbération bien réglée par un technicien. Commencé par deux mélodies composées par Maria Malibran (1808-1836), l’anglaise I Saw Thee Weep (Je t’ai vu pleurer) sur un poème de Lord Byron, et la ballade française Le beau page de 1828 sur un poème de Julien Loraux de Ronsière, première des douze Matinées musicales : album lyrique, le spectacle a atteint son premier acmé avec trois pièces splendides de Pauline Viardot (1821-1910), compositrice de talent et sœur de treize ans la cadette de La Malibran, Odile Heimburger donnant toute la saveur poético-dramatique de deux des douze mélodies adaptées par Viardot de Mazurkas de Frédéric Chopin (1810-1849), L’Oiselet d’après la Mazurka op. 68/2 et Aime-moi d’après la Mazurka op. 33/2 sur un poème de Louis Pomey entre lesquels a été intercalé Haï Luli ! sur un poème de Xavier de Maistre dans une interprétation d’une vive tonicité, suivies de la mélodie Povero cor tu palpiti (Pauvre cœur, tu palpites) première des six Canzoncine (Petits airs italiens) sur un texte de Pietro Metastasio (1698-1782) d’Isabella Colbran (1785-1845), soprano colorature compositrice espagnole épouse de Gioachino Rossini, et un air d’inspiration populaire espagnole de Manuel Garcia, Yo que soy contrabandista (Moi qui suis contrebandier) publié en 1808 sur un texte espagnol du compositeur.
La seconde partie du concert était consacrée à l’opéra belcantiste que chantait Maria Callas qui, malgré l’ombre de « La Divine ! », a été remarquablement servi par la voix lumineuse aux aigus aériens d’Odile Heimburger. Alternant Bellini et Rossini, avec un insert consacré à Donizetti et jalonné par des extraits des mémoires de la « Divina! », les deux musiciennes ont commencé par la cantilène d’Amina « Ah non credea mirarti » extraite de La Somnanbula de Bellini que Maria Callas a rendue universelle, air de la folie dans lequel Odile Heimburger s’est illustrée avec noblesse et spontanéité, avant de retourner au répertoire de Maria Malibran, avec la canzone de Desdemona « Assisa pie d’un sallice » de l’Otello de Rossini, avant de se mesurer sans inhibition au fort couru air « Casta Diva » de Norma de Bellini dont elle a su rendre sans trembler toute la force dramatique avec un naturel confondant, le souffle long et la voix éclatante, poursuivant avec l’air de Giulietta « Eccomi in lieta » extrait du premier acte de I Capuleti e i Montecchi du même Bellini, qui préludait au récitatif et air « Il doce suono » de la scène deux du troisième acte de Lucia di Lammermoor de Donizetti plus connu sous l’appellation de Scène de la folie (Scena della pazzia) avec une témérité décomplexée, la cantatrice abordant cet Himalaya avec une impressionnante souplesse et une variété de tons saisissante, sans jamais forcer sa voix ni son jeu, attestant ainsi de ses qualités de tragédienne tant elle ne surcharge jamais le trait, vivant le drame de l’intérieur et le restituant vocalement avec une intense vérité, avant de conclure son récital sur un morceau plus léger mais tout aussi maîtrisé, la fameuse cavantine de Rosina du Barbier de Séville « Una voce poco fa », ses colorature naturelles suscitant l’enthousiasme d’un public concentré sous l’impression de la brillante prestation des deux musiciennes, au point de leur réserver une longue standing ovation. Seule réserve à formuler à l’issue de cette première représentation publique de ce programme, des textes de présentation et de liaison trop longs, amenuisant l’unité musicale et qu’il serait bon de concentrer pour leur substituer peut-être des interludes pianistiques.
Car, le piano, un Steinway de concert grand ouvert et parfaitement réglé, lui aussi fort bien réverbéré, était tenu par Laurianne Corneille d’une brillante musicalité et au toucher liquide et coloré qui enserre, soutient et dialogue en parfaite complicité une cantatrice de talent, Odile Heimburger.
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