samedi 29 mars 2025

Le déchirant « Werther » de Jules Massenet au Théâtre des Champs-Elysées avec le brûlant duo Benjamin Bernheim dans le rôle-titre et Marina Viotti en Charlotte

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mardi 25 mars 2025 

Jules Massenet (1842-1912), Werther. Marina Viotti (Charlotte), Benjamin Bernheim (Werther)
Photo : (c) Vincent Pontet

Terrible épreuve que d’assister à une production particulièrement réussie et signifiante de Werther de Jules Massenet au moment où l’on vit précisément les mêmes épreuves que le héros de Goethe/Massenet aussi ardente que celle que j’ai vue ce soir au Théâtre des Champs-Elysées portée jusqu’à la déraison et à la folie par le couple exceptionnel Benjamin Bernheim (Werther / Marina Viotti (Charlotte) superbement entouré, dans une mise en scène limpide de Christof Loy créée à La Scala de Milan dirigée jusqu’à la déchirure par Marc Leroy-Calatayud à la tête de l’ensemble Les Siècles effervescent

Jules Massenet (1842-1912), Werther. Marina Viotti (Charlotte), Benjamin Bernheim (Werther)
Photo : (c) Vincent Pontet

Créé en allemand à Vienne en 1892, présenté pour la première fois en France à l’Opéra de Paris en 1893, Werther est avec Manon l’œuvre emblématique de Jules Massenet. Puisant dans le roman épistolaire de Goethe Les souffrances du jeune Werther, Massenet exalte le pathos romantique tout en évitant la facilité. Il suffisait à la fin de la représentation de mardi d’écouter les réactions du public pour mesurer combien Werther continue de toucher jusqu’aux plus réfractaires à l’art lyrique. 

Jules Massenet (1842-1912), Werther. Sandra Hamaoui (Sophie), Benjamin Bernheim (Werther), Marina Viotti (Charlotte), Jean-Sébastien Bou (Albert). Photo : (c) Vincent Pontet

Mue par une direction d’acteur réglée au cordeau, la production présentée par le Théâtre des Champs-Elysées, créée à La Scala de Milan en juin 2024, est d’une grande limpidité. Dans un décor unique de Johannes Leiacker situant parfaitement l’action, qui se déroule pour l’essentiel à l’avant-scène devant un mur de séparation intérieur muni d’une double porte coulissante donnant sur un séjour avec en son centre un mobilier bourgeois ouvrant sur un parc, le metteur en scène Christof Loy met en évidence le sentiment hypertrophié d’un romantisme exacerbé, qui devient le seul élément guidant le protagoniste central qui a face à lui une femme de devoir. Werther est sous l’emprise de l’émotion et de l’égotisme, entre sublime et nature à laquelle il voue un véritable culte, tandis que Charlotte se doit d’exclure toute expression de son ressenti. 

Jules Massenet (1842-1912), Werther. Benjamin Bernheim (Werther), Marina Viotti (Charlotte)
Photo : (c) Vincent Pontet

Outre sa limpidité et son efficacité dramatique, ce Werther est un spectacle remarquablement servi par un plateau sans faille, jusqu’au plus petit rôle. A la fois solide vocalement et fragile psychiquement, Benjamin Bernheim est un ardent Werther, impressionnant d'élégance et de ténacité dans un rôle dans lequel il excelle. La voix est somptueuse, charnelle. Marina Viotti est une Charlotte intense et émouvante, et il émane de sa voix au timbre délicieusement brûlant un timbre lumineux, coloré et une vocalité incroyablement souple capable de toutes les prouesses expressives, du susurré jusqu’au cri, la mezzo-soprano franco-suisse éblouit dans ce rôle qu’elle a fait sien. Dur et froid puis ardent et suppliant. Jean-Sébastien Bou est un Albert dur et froid, puis meurtri et suppliant, Sandra Hamaoui est une radieuse Sophie, Marc Scoffoni un excellent Bailli, à l’instar de Yuri Kissin en Johann et Rodolphe Briand en Schmidt. A la tête d’un Orchestre Les Siècles en très grand forme, après quelques sécheresse dans le premier tableau, le jeune chef vaudois Marc Leroy-Calatayud prend la partition à bras le corps, dirigeant avec énergie et un sens du chant et du drame affûté, portant scène et fosse jusqu’à la fusion dans de prodigieux troisième et quatrième actes réunis par un bouleversant interlude, les nombreux solos instrumentaux permettant aux divers pupitres de briller, tandis que le chœur d’enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et ses solistes forment une joyeuse équipe.

Bruno Serrou

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