mardi 5 novembre 2019

Passionnant Ercole Amante de Cavalli, allégorie à la gloire du jeune Louis XIV, à l’Opéra Comique

Paris. Opéra Comique, salle Favart. Lundi 4 novembre 2019


Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Iole, Francesca Aspromonte / Ercole, Nahuel Di Pierro /
Deianira, Giuseppina Bridelli / Illo, Krystian Adam. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

Immense compositeur du tournant de la Renaissance et du baroque, maître de l’opéra italien naissant, Francesco Cavalli (1602-1676) est inexplicablement rarement programmé par les théâtres lyriques français. Sauf erreur ou omission, en optant pour Ercole Amante, c’est seulement la seconde production de l’ère moderne de cet ouvrage composé pour le mariage de Louis XIV et de l’Infante d’Espagne Marie-Thérèse d’Autriche en 1662 à Saint-Jean-de-Luz et créé peu après dans les jardin des Tuileries devant plus de quatre mille convives. On se demande d’ailleurs ce qu’ont pu comprendre à l’action le public français à l’écoute d’un livret en italien…

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amanteCinzia, Giulia Semanzato / chœur Pygmalion. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

Elève de Claudio Monteverdi, Pier Francesco Cavalli est aux côtés de son maître le plus grand compositeur lyrique du seicento (XVIIe siècle italien). Chantre et organiste à la chapelle de la basilique San-Marco de Venise alors dirigée par Monteverdi, puis organiste et maître de chapelle, auteur d’une quarantaine d’ouvrages lyriques, il a porté à son apogée l’opéra vénitien qui, bientôt, allait être submergé par son rival napolitain. L’on ne peut que regretter cette lamentable situation, tant le premier est largement supérieur au second, car infiniment plus « moderne » et créatif, d’autant plus qu’il se fonde sur des livrets d’une portée poétique inégalable et d’une force dramatique qui confine au théâtre tandis que le second suscitera pour l’essentiel des morceaux de bravoure vocale avec des arie da capo et des roucoulades interminables figeant l’action et nécessitant les récitatifs secs pour la faire un tantinet progresser, tandis que les ensembles vocaux passent par pertes et profits. De quoi s’ennuyer ferme, même noblement, à moins de s’occuper un tant soit peu en mondanités, victuailles et autres libations moins avouables… Il faudra attendre Gluck et Mozart pour que l’opéra retourne peu ou prou aux sources vénitiennes et reprenne son essor après s’être libéré du carcan de l’opera seria et de l’opera buffa, styles obligés de 1650 à 1780 environ. 

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amanteVenere, Giulia Semanzato / Ercole, Nahuel Di Pierro. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

Sept ans et demi après la découverte parisienne de la remarquable production du Théâtre des Champs-Elysées en avril 2012 de La Didone (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2012/04/resurrection-dun-chef-duvre-de-lopera.html) sur un livret de Giovanni Francesco Busenello également auteur de celui du Couronnement de Poppée de Monteverdi, l’Opéra Comique, en coproduction avec le Château de Versailles et l’Opéra donne une nouvelle chance à une œuvre de onze ans postérieure, Ercole amante (Hercule amoureux), quarante et un an après la mémorable production que l’Opéra de Lyon avait confiée en mai 1979 à Michel Corboz, qui en avait fait un arrangement pour l’occasion aujourd’hui contesté, et à Jean-Louis Martinoty, signataire d’une mise en scène somptueuse, spectacle repris au printemps 1981 au Théâtre du Châtelet dans le cadre du Festival de France.

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amantePasitea, Eugénie Lefebvre / Giunone, Anna Bonitatibus. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

Ce fut alors une formidable découverte, et l’on sut grâce à cette résurrection combien l’opéra vénitien tenait en Cavalli un véritable génie. Jean-Baptiste Lully, après avoir tout fait pour saboter la création de l'opéra du Vénitien, saura s’en souvenir une fois devenu le compositeur attitré du roi Louis XIV et le maître adoubé des fête et de la musique du château de Versailles. Ercole amante a en effet constitué le cadeau de mariage du cardinal Mazarin, d’origine italienne à son roi, le jeune Louis XIV. Celui-ci, amoureux de la nièce de Mazarin, avait en effet accepté pour raisons diplomatiques à la demande de l’oncle de sa Dulcinée d’épouser l’Infante d’Espagne pour sceller la paix entre les deux monarchies, Bourbon et Habsbourg, qui n’avaient cessé de se faire la guerre pendant un quart de siècle. C’est ainsi que le jeune roi est devenu sous les traits d’Hercule le héros d’un opéra sur un livret italien d’un fin connaisseur de la monarchie française, l’abbé Francesco Buti. Le meilleur architecte de théâtre de l’époque, Gaspare Vigarani, autre Italien, fut recruté pour édifier une salle dotée d’une machinerie ambitieuse, et Mazarin convia le musicien le plus fameux, le Vénitien Francesco Cavalli. Avec lui, furent conviés des chanteurs  juin italiens, dont des castrats, interdits sur les scènes lyriques françaises. Le mariage fut célébré le 7 juin 1660, et il fallut attendre le 2 février 1662 pour qu’Ercole amante soit enfin représenté. Entre temps, Mazarin mourut, et avec lui le protecteur des Italiens à la cour de France, le couple royal avait donné naissance au dauphin, et le mariage n’avait plus rien d’une idylle, d’autant moins que Louis XIV était sur le point de faire de Louis de La Vallière sa favorite, tandis que Lully, devenu compositeur officiel, commençait à imposer le ballet de cour. Tant et si bien que Cavalli fut obligé de se fondre au sein d’un spectacle réglé par Lully au milieu d’un spectacle en dix-huit parties au milieu duquel l’opéra fut noyé - situation que reprendront Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal dans Ariadne aus Naxos.

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amanteNettuno, Luca Tittoto / Illo, Krystian Adam. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

Malgré les nombreuses coupures imposées par Lully, le dénouement de l’opéra de Cavalli annoncé dans le prologue politique, reste celui dicté par Mazarin, Hercule se dépouillant des faiblesses humaines pour épouser un destin supérieur. Cavalli vécut cette expérience malheureuse comme un échec personnel, et aucun théâtre vénitien ne put rassembler une distribution aussi grandiose, un chœur et un orchestre aussi fournis qu’à Paris. Si bien qu’Ercole amante n’a jamais été repris.

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amanteIole, Francesca Aspromonte / chœur Pygmalion. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

C’est la première fois en France depuis la création de l’œuvre en 1662 qu’Ercole amante est joué sur instruments d’époque, sous la direction énergique et colorée de Raphaël Pichon à la tête de son magnifique ensemble Pygmalion. Le jeune chef claveciniste français a spatialisé une partie de son orchestre, distribuant des instruments à vent et à percussion dans les dégagements de la salle Favart derrière le public et dans les coulisses, ainsi que ses choristes, tandis que la percussion extrêmement fournie participe amplement aux effets dramatiques. Restent les contrastes comédie/tragédie/onirisme/transports amoureux, en un mot les affetti chers à Cavalli, qui n'apparaissent pas assez marqués, mais peut-être est-ce dû à la mise en scène qui gomme les contrastes.

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amanteDeianira, Giuseppina Bridelli / Illo, Krystian Adam. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

Pourtant, si la féerie du spectacle créé Salle des Machines aux Tuileries dans un décor de l’ingénieur Giacomo Torelli devant quatre milliers de spectateurs ne pouvait être réalisée dans la salle plus exigüe de l’Opéra Comique, qui est loin de disposer des budgets colossaux de la cour de Louis XIV, les moyens du bord ont permis aux deux metteurs en scène, Valérie Lesort et Christian Hecq, de réaliser des effets bienvenus, avec la complicité du scénographe Laurent Peduzzi, qui a conçu des décors naïfs d’esprit et très efficaces, avec la présence entre autres d’une nacelle, de trapèzes volants portant des acrobates virevoltants, de trappes, de fausse mer, de voilier, de sous-marin, de tombes, de parterre de fleurs, de gradins, de portes, de masques, de danseurs, d'oiseaux, de volailles, de doux monstre en peluche, etc.

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amantePhoto : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

Cette musique sublime est remarquablement interprétée par une distribution de grande qualité, avec dans le rôle-titre l’excellent baryton brésilien Nahuel Di Pierro au timbre de bronze, le solide et ardent Ilio du ténor polonais Krystian Adam, le sonore et réjouissant Neptune de la basse corsée italienne Luca Tittoto, le tortueux Licco de l’inusable contreténor français Dominique Visse. Côté femmes, les Italiennes font nombre, avec la mezzo-soprano Anna Bonitatibus qui campe une séduisante et vindicative Junon, Giuseppina Bridelli une Déjanire au timbre d’argent, à l’instar de la soprano Francesca Aspromonte émouvante dans le personnage d’Iole, Giulia Semenzato dans le triple rôle de Vénus, Bellezza et Cinzia…

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amanteIl Paggio, Ray Chenez / Licco, Dominique Visse. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique

Trois heures trente de bonheur dont il ne faut surtout pas se priver, qui, pour les non-Parisiens, sera diffusé sur Arte Concert le 12 novembre.

Bruno Serrou

Opéra Comique jusqu’au 12 novembre. Le spectacle est repris à l’Opéra de Versailles les 23 et 24 novembre. Diffusion sur Arte Concert le 12 novembre et ultérieurement sur France Musique

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