mardi 29 octobre 2019

Hans Zender, grande figure de la musique allemande contemporaine, est mort le 22 octobre, à 82 ans

Hans Zender (1936-2019). Photo : DR

Surtout connu comme chef d’orchestre - il dirige régulièrement en France, mais aussi à l’Opéra de Hambourg, tandis que le Festival de Bayreuth lui confie Parsifal dès 1975 -, Hans Zender est l’un des compositeurs les plus représentatifs de l’école allemande contemporaine aujourd’hui un peu négligée en France.

Disciple de Bernd Aloïs Zimmermann, l’auteur de Die Soldaten (les Soldats), il se place dans la mouvance de Pierre Boulez tout en imposant une personnalité puissante. Il s’intéresse depuis une quinzaine d’années aux télescopages de l’histoire de la musique, à son interdépendance. Ainsi, ses Dialog mit Haydn (1982), Schubert Chöre (1986), Cinq Préludes de Claude Debussy (1991), sont autant d’étapes menant à son « interprétation composée » du cycle de Schubert Der Winterreise conçue en 1993. Requérant une formation instrumentale inusitée au début du XIXe siècle (machine à vent, saxophone, accordéon, harmonica, percussion multiple...), cette « transformation créatrice » transmuant les sons du piano en polychromie orchestrale, greffe quelques ajouts d’invention libre (voix parlée, interludes, simultanéité de mélodies additionnelles, etc.). Ecrite pour ténor et vingt-quatre musiciens, elle souligne et déforme des pans entiers de l’original sans jamais le trahir, alors même qu’elle instaure de nouveaux rapports entre poèmes et musique. « Depuis que l’on a inventé la notation, rappelle Zender, la transmission de la musique se fait selon deux réalités, celle du texte fixé par le compositeur et celle de la réalité sonore, actualisée par l’interprète. Ma propre lecture du Voyage d’hiver ne cherche pas une nouvelle interprétation expressive, mais profite systématiquement des libertés que chaque interprète s’attribue intuitivement. » Cette interprétation envoûtante du chef-d’œuvre de Schubert, sa force émotive et sa puissance évocatrice terriblement contemporaine lui confèrent un impact singulier.

Né à Wiesbaden le 22 novembre 1936, Hans Zender est l’une des figures les plus importantes de la culture allemande. Compositeur, chef d’orchestre, pédagogue et penseur, il est depuis les années 1960 aux avant-postes de la musique nouvelle, tout en poursuivant de façon inlassable un dialogue créatif avec le passé. Il est de ces personnalités de la vie musicale contemporaine qui combinent de façon convaincante plusieurs activités créatrices. En tant que compositeur chef d’orchestre, à l’instar de son aîné Pierre Boulez et de son cadet Péter Eötvös, son écriture profite pendant cinq décennies de sa connaissance approfondie du « métier ». Cette expérience porte sur toutes les formes instrumentales et vocales de la création contemporaine. À côté de ce champ d’interactions fructueuses, qui ravive la très ancienne unité entre compositeur et interprète et qui a donné son envol à la carrière internationale de Zender, son activité de penseur et d’auteur a été particulièrement remarquée en Allemagne. Ses essais et articles abordent les questions esthétiques fondamentales de la musique.

Hors des sentiers battus, Zender a fait le pari de ce que Bernd Alois Zimmermann appelait le pluralisme. Ainsi se penche-t-il sur des démarches apparemment antinomiques, comme celles de Gustav Mahler et de John Cage, d’Anton Bruckner et de Giacinto Scelsi, d’Olivier Messiaen, d’Earle Brown et de Helmut Lachenmann. Ce qui les réunit, est une radicalité et une indépendance intellectuelle qui se doublent d’une exigence spirituelle et d’un goût pour l’exploration de mondes sonores inouïs.

Hans Zender a été profondément marqué par la pensée extrême-orientale, dont ses œuvres portent des traces multiples. Au-delà de sa culture et de sa pratique des musiques du passé ou des périodes récentes, son cheminement artistique suit diverses rencontres musicales, les jeunes compositeurs de Darmstadt puis Olivier Messiaen et Bernd Alois Zimmermann, plus tard l’école américaine de John Cage, Morton Feldman, Earle Brown, et l’Italien Giacinto Scelsi, compositeurs et styles qui ne se cumulent ou se combinent. Il est le reflet de plusieurs inspirations philosophiques, d’Héraclite et Nietzsche à Adorno, Derrida, Nancy, Georg Picht et à l’école japonaise de Kyoto.

Auteur d’une cinquantaine d’œuvres, Hans Zender a commencé ses études de piano, de direction d’orchestre et de composition (il est l’élève de Wolfgang Fortner) en 1956 à l’Académie supérieure de Musique de Francfort et à celle de Fribourg-en-Brisgau. En 1963, il se rend à la Villa Massimo de Rome, qui accueille l’académie allemande à l’instar de la Villa Médicis pour la France. Il y fait deux séjours jusqu’en 1969 et y compose ses premières œuvres, dont les Tre Pezzi per oboe (Trois Pièces pour hautbois) et Trois Nocturnes pour clavecin. En 1964, il est chef titulaire de l’orchestre de l’Opéra de Bonn jusqu’en 1968, puis Directeur général de la musique à Kiel de 1969 à 1972 et de Hambourg de 1984 à 1987. De 1987 à 1990 il est chef de l’Orchestre de Chambre de la Radio néerlandaise et Principal chef invité du Théâtre de La Monnaie de Bruxelles. Mais c’est l’Orchestre Symphonique de la radio de Sarrebruck qu’il dirige le plus longtemps, de 1971 à 1984. Il a également dirigé dans le cadre des Festivals de Bayreuth, Salzbourg, Berlin et Vienne. De 1999 jusqu’à la dissolution de la phalange allemande, il est Chef invité permanent de l’Orchestre Symphonique du Südwestfunk de Baden-Baden et Fribourg. En 2004, il crée avec son épouse la Fondation Hans et Gertrud Zender, et il se voit décerner en 2011 le Prix Européen de la musique d’église.

Hans Zender enseigne la composition à l’Académie supérieure de Musique de Francfort de 1988 à 2000. Membre de l’Académie des Arts de Berlin depuis 1989 et de l’Académie des Beaux-Arts de Munich depuis 1994.

D'abord influencé par Bernd Alois Zimmermann et par Pierre Boulez, il se détourne de la musique sérielle dont il refuse le dogmatisme, et se tourne vers la spiritualité, l’art et les philosophies d’Extrême-Orient. L’œuvre de Zender puise aussi dans la littérature et la pensée occidentales, Héraclite, la Bible, Maître Eckhart (Kantate nach Worten von Meister Eckhart, 1980), saint Jean de la Croix (Tre canciones, 2005). Parmi ses œuvres les plus représentatives le cycle vocal Hölderlin lesen (Lire Hölderlin) composé entre 1979 et 2000, les sept Lo-Shu (1977-1997), les cinq Kalligraphie pour orchestre (1997-2003), les neuf Cantos (1965-2009), Bardo pour violoncelle et orchestre (2000) et l’opéra Chief Joseph (2003). Outre son travail sur le Winterreise de Schubert, Henze s’est attaché à des Chœurs du compositeur viennois, ainsi qu’à Cinq Préludes de Debussy, à la Fantaisie de Schumann et aux Variations Diabelli de Beethoven.

Hans Zender est mort à Meersburg (Bade-Wurtemberg) le 22 octobre 2019, quelques semaines avant ses 83 ans.

Bruno Serrou

A lire : Hans Zender, Essais sur la musique. Ecrits rassemblés par Pierre Michel et traduits par Martin Kaltenecker et Maryse Staiber. Editions Contrechamps (2016)

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