dimanche 20 octobre 2019

Entrée probante de la douloureuse et féerique Rusalka de Dvořák à l’Opéra du Rhin


Strasbourg. Opéra national du Rhin. Opéra de Strasbourg. Vendredi 18 octobre 2019

Antonin Dvořák (1841-1904), Rusalka. Pumeza Matshikiza (Rusalka), Bryan Register (le prince). Photo : (c) Klara Beck / Opéra national du Rhin

Avec dix opéras à son catalogue, Antonin Dvořák compte parmi les compositeurs les plus prolifiques de l’histoire de l’art lyrique. Pourtant, cette part de sa création reste encore à découvrir en Europe occidentale. Ainsi a-t-il fallu attendre le 19 juin 2002 pour qu’il en apparaisse enfin un à l’Opéra de Paris, Rusalka. C’est avec cette même œuvre que le compositeur tchèque vient de faire son entrée au répertoire de l’Opéra du Rhin à Strasbourg.

Antonin Dvořák (1841-1904), Rusalka. Pumeza Matshikiza (Rusalka), Bryan Register (le prince). Photo : (c) Klara Beck / Opéra national du Rhin

Créé à Prague le 31 mars 1901, avant-dernier des dix opéras de l’auteur de la Symphonie « Du nouveau monde », Rusalka est néanmoins le plus connu de ses ouvrages scéniques. Le livret de Jaroslav Kvapil s’inspire à la fois de l’Undine de La Motte-Fouqué, et de La Petite Sirène d’Andersen. Composant cette partition lyrique dans la foulée de l’impressionnante série de poèmes symphoniques opus 107 à 110 illustrant des textes de K. J. Erben, dont L’Ondin et La Sorcière du midi, Dvořák brosse dans Rusalka une évocation de la forêt de Bohême saisissante d’onirisme et de fraîcheur, gorgée d’atmosphères mystérieuses, angoissantes et lugubres, mais aussi bucoliques, tendres et voluptueuses. Se retrouvent aussi dans cette sensuelle évocation de la nature des couleurs wébériennes (la nature du Freischütz) et wagnériennes (les textures de Tristan, les alliages de timbres du Crépuscule des dieux notamment).

Antonin Dvořák (1841-1904), Rusalka. Attila Jun (Vodnik), Rebecca Von Lipinski, Pumeza Matshikiza (Rusalka). Photo : (c) Klara Beck / Opéra national du Rhin



L’intrigue a pour personnage central la nymphe Rusalka, qui renonce à ses attributs divins afin de devenir simple femme pour pouvoir aimer un prince qu’elle observait depuis les ondes maternelles. Mais afin de réaliser son dessein, elle va au-devant d’une sorcière qui la condamne au mutisme - le comble pour un opéra que cette héroïne qui ne chante pas un acte entier… C’est dire combien il faut à la titulaire du rôle un réel talent de comédienne. A la fin de l’ouvrage, Rusalka, en pleine extase amoureuse, emporte son beau prince dans la mort avant de rejoindre ses sœurs dans les ondes.

Antonin Dvořák (1841-1904), Rusalka. Pumeza Matshikiza (Rusalka), Bryan Register (le prince), Rebecca Von Lipinski (la princesse étrangère). Photo : (c) Klara Beck / Opéra national du Rhin

Dans la fosse, Antony Hermus transmet l’essence de la partition en faisant chanter les bois de l’Orchestre de Strasbourg doués de mille sons qui semblent émaner de la nature, exaltant l’écriture voluptueuse de Dvořák tout en enveloppant les chanteurs de sonorités certes onctueuses mais ne les couvrant jamais, sachant ménager dans les grandes plages purement symphoniques les élans de l’âme des personnages, et donnant aux leitmotive toute leur emprunte musicale et spirituelle. 

Antonin Dvořák (1841-1904), Rusalka. Pumeza Matshikiza (Rusalka). Photo : (c) Klara Beck / Opéra national du Rhin

Le chef hollandais veille à ne pas asphyxier l’héroïne, campée par la soprano sud-africaine Pumeza Matshikiza dont la voix manque de puissance, de tenue de souffle et de carnation. Elle est le maillon faible d’une distribution pourtant homogène, avec le solide et intense prince du ténor américain Bryan Register qui s’était illustré en mai dernier en Tristan à Bruxelles en mai dernier, le vibrant Vodnik de la basse sud-coréenne Attila Jun, la vindicative magicienne Jazibaba de Patricia Bardon, et l’ensorcelante princesse de Rebecca Von Lipinski, à l’instar des rôles secondaires tous parfaitement tenus venus de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin (Julie Goussot, Eugénie Joneau, Jacob Scharfman, Claire Péron) à l’exception de la première nymphe tenue par l’excellente soprano polonaise Agnieszka Slawinska.

Antonin Dvořák (1841-1904), Rusalka. Pumeza Matshikiza (Rusalka), Bryan Register (le prince). Photo : (c) Klara Beck / Opéra national du Rhin

En noir et blanc, des costumes de Raphaela Rose à la vidéo maîtrisée de Martin Andersson en passant par les décors de Julia Müer bien mis en lumière par Bernd Purkrabek, la mise en scène de Nicola Raab simple mais habile éclaire l’intrigue de l’intérieur, les personnages étant en outre animés par une direction d’acteur bien réglée.

Bruno Serrou

Opéra de Strasbourg jusqu’au 26 octobre 2019. La Filature de Mulhouse 8 et 10 novembre 2019. Tél. : 08.25.84.14.84. www.operanationaldurhin.eu/fr. Spectacle coproduit avec l’Opéra de Limoges, où il sera ultérieurement repris

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