mardi 29 novembre 2016

CD : Hugues Dufourt, "Burning Bright" pour six percussionnistes, le temps sidéral et l’éternité de l’âme humaine


Quarante ans après le magistral Erewhon (1977), Hugues Dufourt (né en 1943) se plonge de nouveau dans la percussion pour lui consacrer une œuvre de très grande dimension, intitulée Burning Bright, ou « Brûlant éclair ». Une heure cinq de pure magie sonore composée pour le cinquantième anniversaire des Percussions de Strasbourg, commanditaires et créateurs d’Erewhon.

Le titre Burning Bright est tiré du premier vers de l’incandescent poème The Tyger (Le Tigre) que William Blake (1757-1827) a écrit en 1794 : « Tyger, Tyger, burning bright / In the forest of the night / What immortal hand or eye, / Could frame thy fearful symmetry ? » (Tigre, tigre, ton éclair luit / Dans les forêts de la nuit / Quelle main, quel œil immortels / purent créer ton effrayante symétrie ?). A l’instar d’Erewhon, anagramme de Nowhere (Nulle part), Burning Bright se fonde sur la notion d’espace. Ce que confirme le titre de chacun des douze mouvements enchaînés, successivement intitulés Vertical 1, Suspendu 1, Blocs résonnants, Tourbillon 1, Densifications, Vertical 2, Espaces pulsés, Tourbillons 2, Marches, Lointains 1, Suspendu 2 et Lointains 2, ainsi que la musique elle-même, qui joue sur la profondeur du son, la résonance, la distance de la source sonore, et surtout un nuancier d’une ampleur infinie.

La structure de Burning Bright induit une dramaturgie et des retours amplifiés par le déploiement instrumental, le tout suscitant un impressionnant spectacle, autant pour l’œil que pour l’oreille. « Conçu d’un seul tenant, tel un immense adagio de Bruckner, écrit Hugues Dufourt, Burning Bright est une vision poétique en rupture avec les types de délimitation propres à la tradition, contours ou clôtures. La musique s’élève par couches, par nappes, ou se déploie par émergences amples et diffuses. Les timbres dessinent leur propre espace de résonnance et se disposent en profondeur, dans la fuite infinie d’un horizon. » Les sons enflent, se diffusent, se tordent, s’entremêlant tels des fluides ou des gaz, et les techniques de friction prennent le pas sur celles de la percussion. Ainsi des nappes, en battements ou frottements, semblent émerger, soient isolément soit par agrégats. Crépitements et déflagrations traversent brusquement et fugitivement le silence comme dans l’obscurité infinie de l'espace cosmique. Les métaux dominent les bois et peaux, particulièrement gongs, tam-tams, grelots, steel drums, flexatone, cymbales etc. Esthétique de la fragmentation, certes, mais qui n'exclut pas l’unité acoustique et psychologique qui se dégage de ce magma chaotique originel. Burning Bright, A l’audition, la matière phonique est en perpétuelles marche et métamorphose. « « Jouer Burning Bright c’est avant tout entrer dans un temps différent, en décalage avec la verticalité qui nous entoure, espace où le temps devient élastique, horizontal, secret comme un souffle, une respiration, note Jean Geoffroy, directeur artistique des Percussions de Strasbourg. Espace dans lequel le silence n’est jamais loin… »

Dans Burning Bright, Hugues Dufourt atteste d’une authentique expressivité, sa sensibilité à fleur de peau qu’il a coutume de dissimuler pudiquement derrière un voile opaque d’un hermétisme scientifique et théorique. Burning Bright touche à la métaphysique, la vie intérieure du son devenant l’illustration de l’errance humaine au sein de l’espace sidéral. Dans ce « drame sans récit ni anecdote », le son conduit inévitablement au silence. Et le vertige que provoque cette « vision poétique » se double, par sa référence au poème de William Blake, de la nostalgie d’un temps humain orienté, celui d’avant le tic-tac des horloges. Ainsi, le compositeur, démiurge, réoriente le temps musical, ou temps humain en l'inscrivant dans l’infinité dynamique de l’espace. Pas de finale clair dans Burning Bright, mais un mécanisme qui s’épuise, comme s’éteint une chandelle faute de matière. Les Percussions de Strasbourg sont les artisans prodigieux de ce voyage dans l’éternité sidérale de l’âme humaine et des bruissements de l’univers.

Bruno Serrou

CD Percussions de Strasbourg. Durée : 1h05mn. Enregistré en mars 2016. PDS116BB /AD3696C

1 commentaire:

  1. Très belle chronique, qui donne grande envie d'écouter l'oeuvre, ce que j'ai commencé à faire grâce à mon abonnement streaming qui me mènera sans doute à l'achat du disque. (Florence Trocmé)

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