vendredi 10 avril 2015

11 œuvres ont été créées lors du concert d’étudiants du Cursus I de composition et d’informatique musicale de l’Ircam

Paris, Centre Pompidou, Grande Salle, jeudi 2 avril 2015

Entrée de l'Ircam. Photo : DR

L’Ircam propose chaque année à de jeunes compositeurs une formation spécialisée en composition, recherche et technologies musicales dispensées au sein-même de l’Institut dispensée sur deux années, de septembre à avril, sous le nom Cursus I et Cursus II, avec pour chacun des niveaux une sélection rigoureuse. « La formation pratique, est-il précisé sur la documentation de l’Ircam, permet à une dizaine de compositeurs âgés de moins de trente-cinq ans de s’initier et de réfléchir aux problématiques théoriques et compositionnelles de la musique informatique. L’objectif, tout au long de cette formation intensive de huit mois sur les logiciels de l’Ircam, est de leur permettre d’acquérir l’autonomie technique nécessaire à la mise en œuvre de leurs idées musicales. L’apprentissage s’articule autour de la réalisation d’une courte pièce, présentée au public lors d’un concert dans le cadre de la saison musicale de l’Ircam. Cette pièce peut prendre la forme d’une œuvre mixte (instrument solo et électronique, interprétée par un élève du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris), d’une œuvre acousmatique, d’une œuvre algorithmique sans électronique ou d’une installation. » Le Cursus I est animé par le compositeur catalan installé à Paris Hèctor Parra, professeur-associé, et par l’équipe pédagogique des réalisateurs en informatique musicale chargés de l’enseignement, Éric Daubresse, Marco Liuni, Jean Lochard, Grégoire Lorieux et Mikhail Malt.

Grâce à un partenariat développé depuis plusieurs années avec le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, les esquisses des compositeurs du Cursus I sont interprétées par les élèves des classes de master d’instruments ou du diplôme d’artiste-interprète (DAI) - répertoire contemporain et création. A noter cette année l’absence de compositrices, les dix élèves sélectionnés, dont un canadien, un états-unien, un colombien, un chilien, deux français, deux italiens, un grec et un japonais, étant exclusivement des compositeurs âgés de 27 à 35 ans. Toutes les œuvres présentées vendredi dernier sont en fait des esquisses réalisées en six mois avec les outils de l’Ircam. Difficile donc de juger selon les critères appliqués à des compositeurs maîtrisant parfaitement ces derniers, y compris ceux sélectionnés en fin de Cursus II, forcément plus aguerris. Chaque pièce est en fait un solo instrumental avec informatique en temps réel, et il n’est pas question de porter des jugements définitifs, les impressions laissées n’étant que prospectives et indicatives.

Daniel Cabanzo (né en 1979). Photo : (c) Ircam

C’est l’œuvre du compositeur le plus âgé, (Madrigal situations) Hidden lines in Electrical dimensions du Colombien Daniel Cabanzo (né en 1979), qui a ouvert la soirée. Formé à l’université de Valle à Cali, en Colombie, puis à l’Ecole nationale de musique de Villeurbanne, aux Conservatoires à rayonnement régional de Lyon et de Paris et au pôle d’enseignement artistique Paris Boulogne-Billancourt, ainsi qu’à la Haute école de musique de Genève, Cabanzo a été l’élève de David Wood, Edith Canat de Chizy, Denis Dufour, Yan Maresz, Michael Jarrell, Luis Naón et Eric Daubresse. Ecrite pour accordéon et électronique, sa pièce au titre à rallonge ne présente guère d’intérêt en l’état où elle se trouve, peu d’idées y étant explorées, l’instrument acoustique exposant toujours la même formule, tandis que l’environnement informatique tourne à vide.

Jonathan Bell. Photo : (c) Ircam

Il en est de même avec Archipel pour harpe et électronique du Français Jonathan Bell (né en 1982). C’est l’ordinateur qui choisit le schéma de l’interprétation de cette « œuvre ouverte » contenant trois pièces en puissance, selon les dire de son auteur, et l’envoie à la harpe. Il en résulte un discours planant exposant toujours la même chose dans un climat hypnotique qui conduit à la somnolence.

Caspar de Gelmini (né en 1980). Photo : (c) Ircam

Compositeur germano-italien né en 1980, Caspar de Gelmini, collaborateur de Tristan Murail et de Marco Stroppa, a étudié aux Hautes écoles de musique de Rostock, Weimar, Stockholm, Bâle, Salzbourg et Stuttgart, avant de suivre une formation à l’Ircam et au CNSMDP dans le cadre du programme d’échanges Erasmus. Son Leipzig Noir 1914 pour flûte et électronique constitue la deuxième partie d’un cycle fondé sur une œuvre radiophonique de l’écrivain allemand Jan Decker (né en 1977). Cette fois, il ne s’agit pas d’électronique « live » mais de bande magnétique préenregistrée diffusant dans la salle des sons de synthèse tandis que la flûte se déploie à partir de ladite bande. L’instrument acoustique expose de belles sonorités cristallines, mais le tout n’est pas exempt de longueurs, et ses huit minutes tendent à l’éternité.

Preston Neebe (né en 1988). Photo : (c) Ircam

Intakes est dédié au saxophone baryton évidemment associé à l’électronique. L’œuvre est signée Preston Beebe, compositeur percussionniste états-unien de 26 ans (il est né en 1988) titulaire d’une maîtrise en composition de l’université McGill. Le titre découle du processus de contamination virale du corps et du sang. Le saxophone est utilisé comme un objet sonore dont le tube formel résonne de toutes ses harmoniques sollicitées par le souffle, les lèvres et la langue de l’instrumentiste, et par les bruits de clefs. Pourtant, là aussi, les sept minutes s’éternisent, et en dehors de quelques sons originaux, l’œuvre n’avance pas.

Dionysios Papanicolaou (né en 1981). Photo : (c) Ircam

Pour son Cursus I, le Grec Dionysios Papanicolaou (né en 1981), juriste installé à Paris, où il a fait des études de composition instrumentale et électroacoustique avec Jean-Luc Hervé et Yan Maresz, ainsi qu’au département CAO de l’université Paris-VIII puis à l’Ircam, et qui se présente comme « improvisateur live de musique informatique », a réalisé une œuvre plus composée qu’improvisée pour alto et électronique. L’alto, les cordes en scordatura, est joué de toutes les façons imaginables, jusqu’à l’utilisation des dents d’un peigne métallique grattant les cordes, tandis que l’archet, utilisé avec une violence continue, perd peu à peu son crin.

Frédéric Le Bel (né en 1985). Photo : (c) Ircam

Le Canadien Frédéric Le Bel (né en 1985) s’est inspiré d’une réplique extraite du film Pulp Fiction, polar tourné par Quentin Tarantino en 1994, prononcée par le truand Jules Winnfield campé par Samuel L. Jackson peu avant de commettre un assassinat, « The path of the righteous man is beset on all sides… », après vingt-cinq minutes et dix-sept secondes de projection. D’où le titre 25:17. Il s’agit pour le compositeur d’une approche du geste instrumental suscitant un enchaînement constant de glissandi d’harmoniques. Le violoncelle est à l’origine du tout, et l’informatique effectue une analyse spectrale du son de l’instrument qui enfle tel un orage se propageant dans la salle. Œuvre d’une énergie singulière en son début, 25:17 se fait évocatrice voire onirique, et s’avère inventive et porteuse de promesses.

Naoki Sakata (né en 1981). Photo : Ircam

Phytolith I pour saxophone ténor et électronique du Japonais Naoki Sakata (né en 1981), élève de Stefano Gervasoni au CNSMDP d’où il est sorti voilà douze ans, use continument de sons multiphoniques du saxophone pour évoquer la vie de la « plante-pierre végétale » du titre grec tandis que l’électronique se rapporte au monde inerte de la minéralité. Rien d’autre de tangible dans cette pièce qui ne présente rien de neuf : sons secs claqués de la langue, une rythmique qui pulse par moments façon jazz, une informatique anecdotique...

Remmy Canedo (né en 1982). Photo : (c) Ircam

Le Chilien Remmy Canedo (né en 1982), « compositeur, programmateur visuel et performeur » formé à la Staatliche Hochschule für Musik und Darstellende Kunst de Stuttgart auprès de Marco Stroppa, a réalisé pour sa part Multiverse pour clarinette basse et électronique. Cette pièce se fonde sur un texte non exposé du compositeur transcrit en matériau sonore avec divers degrés de dégradation et de similarité. Le résultat est assez impressionnant, l’œuvre étant tendue et dramatique, l’interprète jouant de tous les modes de jeu de la clarinette basse, qui finit sans anche, le souffle étant directement projeté dans le tube, tandis que l’électronique dégrade et transforme le son émis.

Alessandro Ratoci (né en 1980). Photo : (c) Ircam

L’Italien Alessandro Ratoci (né en 1980), « musicien, compositeur et performeur de musique électronique » qu’il enseigne à l’HEMU de Lausanne, rend hommage dans Rima Flow pour tuba et électronique à son grand-père et aux paysans toscans d’antan qui chantaient leurs rêves. Il s’agit ici d’un voyage outre-tombe satirique du XIXe siècle de tradition orale. Beaucoup de vent et de vacarme ici, une courte mélodie archaïque rappelle brièvement l’encrage dans le passé. L’instrument hurle des sons primitifs entouré d’une informatique bruyante.  

Emanuele Palumbo (né en 1987). Photo : (c) Ircam

Autre Italien, Emanuele Palumbo (né en 1987), formé auprès de Gérard Pesson au CNSMDP, a conçu Corps-sans-Organes pour clarinette basse et électronique. Le compositeur cherche dans cette pièce à construire, détruire, jouer par le biais d’un instrument dépossédé de son bec qui devient ainsi un non-corps puis un autre corps, celui du musicien, qui use de sa voix, tandis que l’informatique chemine inversement. Cette pièce intime et originale qui suscite une véritable écoute intérieure engendrée par le temps circulaire sur lequel elle s’appuie, s’ouvre sur des bruits blancs avant que l’instrument se reconstitue, puis, à mi-parcours, l’électronique prend le relais.

Aurélien Marion-Gallois (né en 1980). Photo : (c) Ircam

L’ultime pièce est celle qui m’est apparue la plus réussie. De fait, le Français Aurélien Marion-Gallois (né en 1980), formé au CNSMD de Lyon puis au Conservatoire de Strasbourg auprès de Philippe Manoury, signe avec éi12s pour alto et électronique une fort belle pièce. Après le temps circulaire de Corps-sans-Organes de Palumbo, le temps linéaire d’éi12s de Marion-Gallois qui se subdivise en trois périodes. La première est dominée par l’alto, alors que l’informatique entre en résonance avec lui, la partie médiane inverse les rôles, tandis que dans le finale l’alto reste bloqué sur le do-grave et que l’électronique articule autour de ce temps figé les sonorités du jeu instrumental. éi12s chante, bruit, l’instrument exprime un chaud lyrisme sur une informatique fluide et évocatrice en concordance plus ou moins complexe mais toujours sensible avec l’alto.

Il convient aussi de saluer les remarquables prestations des onze élèves des classes de master et du diplôme d’artiste-interprète - répertoire contemporain et création d’Alain Billard, Gérard Buquet, Claude Delangle, Hae-Sun Kang et Jean Sulem, dans l’ordre des partitions présentées Jean-Etienne Sotty (accordéon), Eloïse Labaume (harpe), Rafal Zolkos (flûte), Raquel Panos Castillo (saxophone), Kei Tojo (alto), Cameron Crozman (violoncelle), Nicolas Arsenijevic, Hugo Clédat (clarinette basse), Jean-Baptiste Renaud (tuba), Joséphine Besançon (clarinette basse) et Vladimir Percevic (alto), qui ont servi ces pages avec une constance et une maîtrise telles qu’il a été possible de porter un jugement sur chacune d’elles en toute assurance.

Bruno Serrou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire