mercredi 20 août 2014

Zoltan Kocsis a dirigé à Annecy l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg dans Liszt et Dvořák, avec Denis Matsuev en soliste

Annecy, Annecy Classic Festival, église Sainte-Bernadette, mardi 19 août 2014

Annecy, le lac. Photo : (c) Bruno Serrou

L’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg ex-Leningrad est de la cour des grands. Même si son renom international s’est un peu amoindri depuis la disparition en 1988 de son directeur musical charismatique qui le porta au firmament, Evgeni Mravinski, il reste d’une tenue et d’une homogénéité exceptionnelle, comme il l'a confirmé hier à Annecy. Malgré un ascendant moins marqué que son prédécesseur, celui qui en fut son chef assistant avant de le remplacer, Yuri Temirkanov, à qui Valeri Gergiev succéda en 1988 comme chef principal du Théâtre Mariinsky, est un musicien impressionnant et un directeur d’orchestre de grand talent, comme l’atteste la qualité de la phalange pétersbourgeoise dont il dirige la destinée depuis vingt-six ans. 

Zoltan Kocsis. Photo : DR

Comme de coutume depuis la première édition de l’Annecy Classic Festival en 2010, Yuri Temirkanov confie son orchestre à un chef invité pour les concerts d’ouverture de la manifestation aoûtienne, avant de le retrouver à la fin du festival. Cette année, c’est le pianiste chef d’orchestre compositeur hongrois Zoltan Kocsis (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/la-ve-edition-de-lannecy-classic.html), qui a été choisi pour diriger l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg dans deux programmes. Comme il le fait de plus en plus depuis 1983, c’est sur l’estrade du chef d’orchestre qu’il se produit exclusivement cette année à Annecy, dirigeant par cœur, le geste large et saccadé de ses grands bras émergeant d’une silhouette de bucheron, deux programmes comprenant des œuvres concertantes avec notamment en soliste le pianiste russe Denis Matsuev, directeur artistique de l’Annecy Classic Festival, qui, conformément à l’usage, se produit en concerto le soir de l’ouverture de la manifestation.

Annecy. Denis Matsuev, Zoltan Kocsis et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

La première partie du premier concert de l’édition 2014 a permis à Zoltan Kocsis de chanter dans son jardin, avec des œuvres de son compatriote Franz Liszt, l’initiateur du poème symphonique. Les trois partitions retenues, la page symphonique et les deux pièces concertantes, tenaient d’ailleurs de ce concept de musique descriptive. C’est avec le plus célèbre des treize poèmes symphoniques de Liszt, Les Préludes composés en 1854 d’après une ode d’Alphonse de Lamartine, que Kocsis a ouvert le concert inaugural. Une œuvre foisonnante qui a longtemps fait les beaux soirs des sociétés de concerts parisiennes, jusque dans les années 1970, mais qui a depuis lors disparu des programmations. Pourtant, l’on a beau connaître par cœur cette œuvre d’un quart d’heure, l’on se laisse toujours volontiers porter par cette page impressionnante qui constitue bon gré mal gré une extraordinaire leçon d’orchestre et un somptueux support pour l’apprentissage et l’étude du travail sur les couleurs et les timbres instrumentaux, la découverte de l’orchestration et le passage des matériaux mélodiques et harmoniques entre les divers pupitres de l’orchestre. Zoltan Kocsis a donné de la plus célèbre partition d’orchestre de son compatriote une interprétation frénétique et colorée, emportant l’orchestre vers des sommets de virtuosité et d’allant, suscitant l’enthousiasme des pupitres de l’orchestre, richement fourni, sans jamais saturer l’espace, malgré une acoustique sèche et s'écrasant dans les murs de béton.

Denis Matsuev. Photo : (c) Annecy Classic Festival

Zoltan Kocsis et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg largement dégarni (l’effectif des cordes passant de soixante à trente, les bois et cuivres étant par deux au lieu de trois dans les Préludes) étaient rejoints par Denis Matsuev pour les deux œuvres pour piano et orchestre de Liszt inscrites au programme, commençant par le second concerto pour piano et orchestre, celui en la majeur S. 125 créé en 1857 mais parachevé en 1861. Son caractère rhapsodique en un mouvement subdivisé en six sections l’inscrit dans la forme d’un poème symphonique concertant, plus encore que le premier concerto, qui, quoique de forme cyclique, est encore construit en quatre mouvements. Moins véloce que le premier, qui met en valeur le soliste,  le second concerto est davantage l’œuvre d’un musicien qui tient à se démontrer qu’il est désormais non plus un virtuose du piano mais un compositeur à part entière. Liszt ainsi moins l’accent sur les aptitudes techniques du soliste, tels que les échelles en octaves et le mouvement contraire, et au lieu d’être un soliste dominateur, le pianiste se fait souvent accompagnateur des bois et des cordes. Ce que confirme le fait que le pianiste ne se voit jamais confié le thème moteur dans sa forme originale, mais se doit de créer, des variations autour du matériau thématique. C’est précisément ce qu’a semblé vouloir créer Denis Matsuev au début de l’exécution de l’œuvre, mais le pianiste russe a fini par imposer sa vision de virtuose, se révélant peu l’écoute des solistes de l’orchestre, notamment de la clarinette, du hautbois et du cor, mais aussi et surtout, du violoncelle, tous pupitres pourtant particulièrement brillants, ce qui s’est avéré contraire à l’esprit de Liszt. Dans cette interprétation où trois personnalités, si l’on compte l’orchestre, se sont livrées une bataille de Titan, Zoltan Kocsis a incité la formation russe à s’exprimer tel un véritable partenaire de l’instrument soliste, mais la fusion n’a pas pris, Denis Matsuev faisant tout son possible pour rester maître du discours.

Franz Liszt (1811-1886)

Paraphrase sur la séquence médiévale Dies Irae à laquelle Liszt associe le faux-bourdon composé par Louis Homet en 1722, la Totentanz (Danse des morts) S. 126 de Franz Liszt met davantage en avant la virtuosité du soliste, avec laquelle rivalise celle de l’orchestre. Composée en 1849, révisée dix ans plus tard, publiée en 1865 puis en 1919 par un autre compositeur-virtuose du piano, Ferruccio Busoni, la Totentanz est un authentique morceau de bravoure, sa réputation de partition parmi les plus difficiles du répertoire pianistique n’étant pas usurpée. Aussi, extrêmement rares sont les pianistes à s’y aventurer, à l’instar de la Toccata de Busoni, par exemple. Si l’on a en mémoire les versions aussi ardentes que poétiques de György Cziffra et de Martha Argerich, ce qu’en a fait hier Denis Matsuev tient de la performance pure. Avec ses doigts d’airain et ses bras tout en muscles, jouissant d’une puissance de marathonien, le pianiste russe en a donné une interprétation époustouflante, tenant en haleine le public, qui en a littéralement attrapé le tournis, tandis qu’un certain nombre d’oreilles en ont attrapé des acouphènes dont il reste encore ce matin des séquelles. Il faut reconnaître à Matsuev sa latitude à jouir librement de ses aptitudes techniques et sonores vertigineuses dans une partition qui laisse le champ libre à une telle performance. Zoltan Kocsis en a d’ailleurs tiré profit en faisant sonner son orchestre avec une énergie et une force conquérante, attisant lui aussi tout son potentiel sonore dans une course frénétique avec son soliste, les pupitres du Philharmonique de Saint-Pétersbourg rivalisant de virtuosité et d’éclats vertigineux avec leur compatriote pianiste.

Pour apaiser l’enthousiasme de son public qui attendait impatiemment un bis de sa part, Denis Matsuev a offert un court morceau d’introspection interprété de façon retenue mais sans pour autant traîner, d’une petite élégie pour piano seul de son compatriote Rodion Schchedrin (né en 1932).

Antonín Dvořák (1841-1904)

La seconde partie était entièrement consacrée à la première des deux séries de huit Danses slaves d’Antonín Dvořák, celles de l’op. 46 conçues en 1878. Ces pages comptent parmi les plus populaires du répertoire, que ce soit dans leur version pour piano ou celle pour orchestre. Cette dernière est néanmoins plus directement accessible tant l’orchestration de Dvořák est d’une richesse polychromique saisissante. Zoltan Kocsis a surchargé l’effectif des cordes, reprenant celui qu’il avait réuni pour les Préludes de Liszt, tandis que l’acoustique de l’église Sainte-Bernadette opacifiait les sonorités, ce qui a alourdi l’interprétation de l’œuvre, qui est apparue un peu trop éloignée de la pensée du compositeur bohémien, bien que les deux Prestos ouvra    nt et fermant ce premier cahier ont eu l’exact énergie des Furiants expressément voulus par Dvořák.

Ce concert est à écouter sur Medici-tv (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival) pendant les trois prochains mois.

Bruno Serrou



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