mardi 8 janvier 2013

CD : « KDGhZ2SA, a Six-Letter Sufi Word » impose un véritable maître de la couleur et du temps, Jean-Luc Fafchamps


Pianiste impressionnant d’habileté et de panache, pilier du remarquable ensemble belge de musique contemporaine Ictus dont il est l’un des membres fondateurs, Jean-Luc Fafchamps est l’un des compositeurs belges les plus représentatifs. Né à Bruxelles en 1960, professeur d’analyse musicale au Conservatoire royal de Mons, il a consacré ses premières œuvres aux petits ensembles le piano tient une place centrale, avant de se tourner vers des formations plus larges lui permettant de déployer son intérêt pour les harmonies non tempérées et les polyphonies de timbres. Il s’attache désormais aux grandes formations dans lesquelles son goût pour les constructions paradoxales et son sens de la synthèse peuvent s’épanouir.

Depuis 1999, Jean-Luc Fafchamps travaille sur un vaste cycle « ouvert » qui puise son inspiration dans la symbolique mystique des vingt-huit lettres de l’alphabet Soufi et de l’incantation de la Da’Wah. Le compositeur en est aujourd’hui à treize lettres. Il lui en reste donc quinze, comme il se plaît à en convenir… Conformément à la charte soufie qui attribue des caractéristiques propres aux différentes lettres, Fafchamps est en train de réaliser une véritable ode à chacune des composantes de l’alphabet arabe. Le compositeur, lors d’exécutions de ses pièces en concert, les agence de façon aléatoire avec pour finalité la formation d'un mot. Ce « work in progress » a déjà donné lieu à un certain nombre de concerts, et six de ces pièces font l’objet du présent disque. Etrange univers où se tissent d’incroyables jeux de correspondances et de rébus… Cet enregistrement réalisé au cours d’un concert donné le 16 mars 2006 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles lors du Festival Ars Musica réunit six lettres arrangées pour former le mot KDGhZ2SA. « J’ai abordé les lettres comme des oracles ouverts », convient Fafchamps, qui a conçu un oracle tel des paramètres symboliques propres aux lettres


K (Kàf) et A, qui ouvrent et concluent respectivement le disque sont les premières pièces pour grand orchestre écrites par Fafchamps, qui atteste d’entrée d’un incontestable talent de symphoniste. Loin de tout sectarisme intellectuel et musical comme de toute complaisance néo-tonale, à l’instar de l’ensemble dont il est membre qui le conduit à fréquenter assidûment toute la musique de notre temps, Fafchamps démontre une puissance d’inspiration et une maîtrise des masses instrumentales extraordinaires, un souffle épique mêlé d’un raffinement de timbres et d’harmonies stupéfiant. K (2005-2006) est une pièce d’une douzaine de minutes au mouvement luxuriant, aux sonorités opulentes, denses et nacrées, ponctuée de gestes orchestraux décalés, inattendus, porteuse d’une sensualité exubérante. Créé en mars 2006 dans le cadre du Festival Ars Musica de Bruxelles, A associe Ictus et l’Orchestre National de Lille en un enchaînement de péripéties rutilantes qui conduit à une singulière cadence métronomique des cordes de l’orchestre sur fond de solo de caisse claire. Créé dans le cadre du Festival Musica de Bruxelles en mars 2006, Z2 (Z2Dàd) est un virevoltant concerto de huit minutes pour hautbois et ensemble (flûte, clarinette, piano, percussion et quintette à cordes) se présentant tel un intermède au milieu de ses voisines plus graves ou plus imposantes. Chaque pièce impose une ambiance propre, les pages pour ensemble faisant alterner des atmosphères très tranchées, du répétitif D (Dàl) pour clarinette, percussion, piano et trio à cordes (2002) à la force envoûtante de S (2000) en passant par le lent et obsédant Gh (Ghain) pour flûte, hautbois, clarinette, saxophone, cor, deux percussions et quintette à cordes, page la plus développée du CD (16mn) créée en 2004.

Tandis que ces deux œuvres gorgées d’inventions plus spectaculaires les unes que les autres qui les placent dans la continuité de Varèse et de Xenakis sont habilement interprétées par l’Orchestre National de Lille dirigé avec vigueur et conviction par Peter Rundel, les quatre autres pages, pour effectifs plus concis, sont magistralement défendues par l’Ensemble Ictus, actuellement en résidence à Lille. 


Soixante-dix minutes de pure joie musicale, avec six merveilles sonores et d'onirisme agrégeant frénésie symphonique et intimité chambriste qui imposent un maître du temps et du timbre digne d’un peintre magnifiant une palette infinie et luxuriante qu’il agence avec un art singulier dont seul est capable un artiste de haut rang. 

Bruno Serrou
Jean-Luc Fafchamps,  KDGhZ2SA, a Six-Letter Sufi Word. 1 CD Sub rosa SR 313

Photos : DR

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire