mercredi 16 mai 2012

Radio France a reçu le Tokyo Sinfonietta dans le cadre d’échanges franco-japonais, avec une création de Jean-Louis Agobet


Paris, le CentQuatre, samedi 12 mai 2012 
 Photo :(c) Bruno Serrou
Située dans un lieu d’jeun’s où rollers, skates, ballons, raps hurlants, joutes verbales constituent un fond sonore qui couvre toute velléité musicale avec instruments naturels, les salles de concerts du CentQuatre sont des tue-musique. Pourtant, Radio France, en mal de salles depuis l’ouverture des travaux de réfection de la Salle Olivier Messiaen (ex-Studio 104 !), a domicilié une partie de ses concerts dans la salle 400 de ce lieu improbable. L’acoustique dudit 400 est d’une sécheresse si excessive que les harmoniques des instruments naturels passent par pertes et profits, les ensembles et effets de masses sont réduits à néant, et le moindre écart de justesse et d’attaque, aussi infime soit-il, prend une dimension qui frise la catastrophe au point de réduire le virtuose le plus accompli au rang d’apprenti.
Un tel lieu a dû déboussoler le week-end dernier les musiciens japonais, hôtes de Radio France, habitués à des salles irréprochables et souvent flatteuses dans lesquelles leurs confrères européens se plaisent à se produire. Ainsi m’interdirai-je de porter un jugement sur la prestation du Tokyo Sinfonietta entendue samedi dans un programme nippo-européen.
Créée voilà dix-huit ans par le clarinettiste  Yasuaki Itakura, son directeur musical et chef d’orchestre actuel formé entre autres au Conservatoire de Paris, et le compositeur Ichiro Nodaira sur le modèle du London Sinfonietta, qui servit également de référence à l’Ensemble Intercontemporain, cette formation à géométrie variable est composée d’instrumentistes virtuoses et vouée au répertoire postérieur à 1945. A l’instar de ses modèles européens, il collabore avec de nombreux compositeurs contemporains, comme Hosokawa, Nishimura, Fujikura, Muchizuki, et de véritables ambassadeurs de la musique européenne au Japon, jouant notamment Boulez, Murail, Agobet, Mantovani, Benjamin, Carter, Lindberg, Ligeti... Basé à Tokyo, il effectue des tournées internationales et se produit dans de nombreux festivals en France, Allemagne, Espagne, Hollande, Egypte, au Venezuela, etc.
Déjà entendu au festival Présences de Radio France en 2008, cet ensemble constitué de trente-deux musiciens a ouvert son programme de samedi sur une pièce du Japonais Joji Yuasa (né en 1929), médecin compositeur autodidacte,  aujourd’hui professeur émérite de composition à l’Université de Californie du Sud à San Diego. Son court Projection pour orchestre de chambre donné en création européenne est une œuvre gorgée d’énergie, de vigueur, de colorations typiquement nippones, mais apparaît un peu sage d’un point de vue harmonique (est-ce dû à la salle ?), dans la descendance de Toru Takemitsu dont Yuasa fut un proche. Ces sept minutes ont formé un violent contraste avec la partition suivante, dont l’inscription dans ce programme est apparue un brin saugrenue, puisqu’il s’agissait de la Siegfried Idyll de Richard Wagner dans l’instrumentation originelle de la création en privé en 1869 le jour-anniversaire de l’épouse du maître saxon, Cosima, dans la villa que le couple occupait à Lucerne, après la naissance de leur fils Siegfried. Ce choix a néanmoins présenté le mérite de faire goûter les qualités intrinsèques des divers pupitres du Tokyo Sinfonietta et de mesurer les sérieuses défaillances de l’acoustique déplorable de la salle 400 du CentQuatre. 
Jean-Louis Agobet. Photo : DR
Troisième œuvre du concert, le Clarinet Concertino (formulation anglaise à laquelle tient expressément le compositeur en référence à celui d’Elliott Carter) de Jean-Louis Agobet (né en 1968), qui entretient des relations privilégiées avec le Japon depuis une dizaine d’années. Bien qu’il ne pense pas qu’il soit possible de rendre musicalement hommage à de victime de catastrophes naturelles de l’ampleur du tsunami qui submergea l’an dernier un partie du nord-est du Japon, et qu’il ait commencé à composer avant l’événement, Agobet n’a pu s’empêcher d’écrire sur la partition, là où il en était alors arrivé, « 11 mars 2011 ». La continuité carterienne est chère à Agobet, alors que, dit-il, le langage contemporain a créé une discontinuité un peu excessive. Agobet cherche au contraire à garder cette continuité qu’il entend fondre au langage contemporain qui lui est propre. Il a ainsi tiré parti des qualités mélodiques de la clarinette pour mettre en exergue ces deux éléments-clefs de sa créativité dans cette nouvelle partition d’une quinzaine de minutes qu’il a dédiée à Haruyo Nishizawa, le soliste de cette création mondiale membre du Tokyo Sinfonietta qui a démontré sa grande musicalité et une virtuosité à toute épreuve.
En fin de programme, une œuvre d’une vingtaine d’interminable minutes du compositeur japonais Toshi Ichiyanagi (né en 1933), directement inspirée par les ravages du tsunami, la Symphonie n° 8 « Révélation 2011 » pour orchestre de chambre, à la volonté expressive fortement revendiquée mais qui apparaît comme un véritable pensum tant elle sonne artificiel et ampoulé.
Bruno Serrou

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