jeudi 3 mai 2012

Péter Eötvös a dirigé mercredi le second concert du cycle Szymanowski du London Symphony Orchestra et de la Salle Pleyel


Paris, Salle Pleyel, mercredi 2 mai 2012 
Le débat d’entre deux tours des Présidentielles diffusé en direct sur toutes les chaînes de télévision et de radio de France n’aura pas vidé la Salle Pleyel de son public. Ce qui est plutôt réconfortant considérant le peu d’égard des impétrants pour l’art en général et pour la musique en particulier. C’est aussi heureux, car l’affiche était du plus vif intérêt. Cette fois, Pierre Boulez, concepteur du programme mais absent pour des raisons de santé (voir le compte-rendu d’hier), avait choisi de mettre Béla Bartók en regard de Karol Szymanowski, son cadet d’un an. Deux compositeurs qui ont puisé leur inspiration autant dans la musique occidentale de leur temps, de Claude Debussy à Richard Strauss, que dans les musiques traditionnelles, celles de leurs pays respectifs, la Pologne et la Transylvanie, comme de  celles de l’Orient. Bartók, que le compositeur chef d’orchestre français porte depuis toujours, représenté  par deux œuvres des plus emblématiques et exigeantes, ce qui explique sans doute leur présence peu fréquente au concert ; Karol Szymanowski, que Boulez a découvert dans son adolescence mais qu’il a négligé au concert jusque dans les années 2010, représenté par ce qui peut être considéré comme son chef-d’œuvre, sa troisième symphonie…
 … Mais si ce concert a été pensé par Boulez, c’est son ex-collaborateur au sein de l’Ensemble Intercontemporain, Péter Eötvös, qui en a assuré l’exécution, avec l’orchestre (le London Symphony Orchestra) et les solistes originellement prévus. Eötvös est assurément le compositeur hongrois le plus proche dans l’esprit de son compatriote Bartók. C’est dire combien l’idiome bartokien lui est connu pour ne pas dire intime. A la tête d’une formation aussi virtuose et flamboyante que le LSO, Eötvös pouvait obtenir tout ce qu’il voulait et brosser ainsi  des interprétations idoines. Ainsi, avec les cordes disposées en deux groupes dans une géométrie conforme à la symétrie requise par l’auteur, l’admirable Musique pour cordes, percussion et célesta Sz. 106 fondée sur la section d’or, l’un des sommets de l’histoire de la musique composé en 1936, a brillé de tous ses feux. Les quatre mouvements de l’œuvre ont été purs enchantements de rythmes et de sons, que ce soit les deux groupes de cordes réunis dans l’Andante tranquillo du début, ou séparés dans les trois mouvements suivants, Eötvös semblant vouloir rendre un hommage appuyé aux Tziganes et à la fureur de leurs rythmes que les autorités de son pays et ses compatriotes les plus xénophobes martyrisent actuellement, et glissant de façon poignante de la lumière vers l’ombre, tout au long de l’œuvre.

C’est à juste titre que les deux partitions qui suivaient ont été réunies dans la seconde partie, chacune plaçant le violon en exergue. Le Concerto pour violon n° 2 Sz. 112 est un autre pur joyau né de l’esprit de Bartók. Créée par Zoltan Székely, son initiateur, l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam et son directeur d’alors, Willem Mengelberg, cette œuvre s'appuie sur la forme concertante classique en trois mouvements fondés pour l’essentiel sur la variation tout en s’imposant par son extraordinaire modernité, le violon, instrument du chant par excellence qui joue souvent ici du micro intervalle, dialoguant et se fondant, dans les passages les plus violents, comme dans le Concerto « à la mémoire d’un ange » de Berg, à un orchestre essentiellement percussif, à l’instar des deux premiers concertos pour piano du compositeur hongrois. Ainsi, s’agit-il ici, comme le concerto de Brahms, d’une symphonie concertante avec violon principal. La virtuosité n’en est pas pour autant absente, mais elle est également répartie entre le soliste et l’orchestre, qui regorge de couleurs d’une inventivité inouïe, souvent mystérieuses, émanant notamment des harpes et de la percussion. Le violoniste Nikolaj Znaider, également chef d’orchestre, a joué cette partition d’une quarantaine de minutes avec une partition, ce qui a de quoi surprendre et qui a suscité quelque raideur à son interprétation, techniquement parfaite mais froide et distante, malgré des sonorités pleines et nuancées. L’essence du discours bartokien se trouvait à l’orchestre, qui a rivalisé de panache, sollicité l’air de rien par un Eötvös maître du temps, du rythme, du son mais semblant aussi jouir des beautés de la formidable phalange londonienne. Cette raideur du violoniste s’est confirmée dans le mouvement lent de sonate de Jean-Sébastien Bach qu’il a donné en bis. 
Le moment attendu du concert le concluait. Découverte pour ma part au début des années 1980 dans l’enregistrement du Hongrois Antal Dorati dirigeant l’Orchestre Symphonique de Detroit, la Symphonie n° 3 « Chant de la nuit » pour ténor, chœur et orchestre op. 27 de Karol Szymanowski fut alors un véritable choc. Mais il m’aura fallu attendre plus de trente ans pour l’entendre enfin au concert. Le choc de la découverte a été conforté par la performance impressionnante réalisée par le LSO, qui a brillé de tous ses feux. Composée en Ukraine entre 1914 et 1916, créée à Varsovie en 1921, cette symphonie est une sorte de synthèse musicale des voyages de Szymanowski en Afrique du Nord et en Egypte. Illustrant des vers du poète soufi persan Djalâl al-Rûmi, elle n’a rien d’un exotisme de pacotille mais se veut au contraire cosmique, à l’instar de la quête d’un Scriabine dont l’influence est ici confortée par la forme en un mouvement unique de grande ampleur intégrant plusieurs segments. L’introduction est d’un effet stupéfiante, avec son halo sonore établi par bois, harpe et piano sur un fond de percussion qui précèdent l’entrée des cors en écho avec la mélodie des violons introduisant le ténor suivi du chœur pour une brève intervention qui s’évapore pour laisser chanter le premier violon dans l’aigu. Un premier violon dont la voix solitaire s’avère omniprésente d’un bout à l’autre de l’œuvre, remarquablement tenu hier soir par Gordan Nikolitch, soliste du LSO. La symphonie se poursuit ainsi sur une vingtaine de minutes qui s’écoulent à la vitesse de la lumière, interprétée avec passion par un solide ténor au timbre rayonnant, Steve Davislim, un London Symphony Chorus d’une puissance et d’une homogénéité exemplaire, et un London Symphony Orchestra éblouissant de nuances, de précision, de puissance. Péter Eötvös a dirigé cette fresque majestueuse avec allant et minutie.
Bruno Serrou
Photos : DR

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