lundi 15 avril 2024

Les somptueuses aurores boréales de Sibelius par Mikko Franck et l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Paris. Maison de la Radio. Auditorium de Radio France. Vendredi 12 avril 2024 

Mikko Franck. Photo : (c) Radio France

Somptueux concert de l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par son patron, le Finlandais Mikko Franck, dans le dernier volet d’un triptyque consacré aux sept symphonies du plus Finlandais des compositeurs, Jean Sibelius. Je n’aurai pu personnellement assister qu’au troisième, incapable de me dédoubler, celui de vendredi soir qui réunissait les trois dernières symphonies, les Cinquième, Sixième et Septième. Une soirée éblouissante, avec un orchestre ivre de sonorités à la fois moelleuses, sombres et scintillantes, fervent et attentif, se plongeant goulûment aux sources vives de son directeur musical. 

Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

Longtemps voué au purgatoire des musiciens en France où il a été marqué par la formule assassine du compositeur chef d’orchestre théoricien pédagogue, propagateur sectaire du dodécaphonisme le plus strict, René Leibowitz (1913-1972), qui disait de lui qu’il était « le plus mauvais compositeur de tous les temps », Jean Sibelius (1865-1957) est aujourd’hui encore trop rarement programmé. Félicitons donc ici sans attendre la direction de la Musique de Radio France, qui en programmant une intégrale des symphonies de Sibelius a pleinement répondu par cette initiative à sa mission de détecteur et de révélateur de compositeurs et d'oeuvres oubliés, négligés ou méconnus. Malgré leur concision et leur puissance expressive, les Symphonies de Jean Sibelius sont rares donnés au concert. Du moins en France dans le cadre d’une intégrale. Cela suffisait pour que l’Orchestre Philharmonique de Radio France crée l’événement. D’autant plus sous la direction de son directeur musical actuel, compatriote du compositeur, Mikko Franck, qui bien évidemment connaît tout de son aîné, au point de chanter dans son jardin et d'avoir transmis le virus sibélien à la perfection à la phalange française dont les trois concerts ont été retransmis en direct sur France Musique et dans les réseau des chaînes publiques de l’UER (Union Européenne des Radios).

Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

Je n’ai malheureusement pu assister aux trois concerts nécessaires à l’exécution des sept symphonies, auxquelles ont été ajoutées le célébrissime Concerto pour violon et orchestre, confié à Hilary Hahn qui apprécie particulièrement cette œuvre dans laquelle elle se plaît à briller à juste titre. C’est donc le seul bouquet final dont je fais ici le compte-rendu, réunissant les trois ultimes chefs-d’œuvre du genre qu’a daigné léguer Sibelius à la postérité, ayant détruit sa Huitième Symphonie avant sa mort en 1957. En effet, le cursus symphonique aura occupé vingt-sept ans de la vie du compositeur, des esquisses initiales de la Symphonie n° 1 en mi mineur op. 39 notées en 1897 à la création de la Symphonie n° 7 en ut majeur op. 105 donnée le 24 mars 1924 à Stockholm, et l’on sait qu’il composa une Huitième, qui l’occupa plus de dix ans, du milieu des années 1920 jusqu’en 1938 et dont il ne reste qu’une copie du seul premier mouvement. Le triptyque proposé par Mikko Franck et le Philharmonique de Radio France dans le troisième concert de leur intégrale, a réuni dans leur ordre chronologique les trois dernières symphonies parallèlement esquissées, commençant par la plus développée des trois, la Symphonie n° 5 en mi bémol majeur op. 82, bien qu’elle ne compte que trois mouvements, avec son demi-tour d’horloge. Bien que son auteur l’ait remaniée à deux reprises en 1916 puis en 1919, cette partition née pendant la guerre d’indépendance de la Finlande est la plus populaire des symphonies de Sibelius, qui dirigea la création de la version définitive le 24 novembre 1919 à Helsinki. Initialement conçue en quatre mouvements, l’œuvre au caractère héroïque en compte finalement trois, les deux premiers ayant fusionné en un seul tout en présentant quatre parties telle une symphonie (I - Tempo molto moderato - Largamente - Allegro moderato - Presto. II - Andante mosso, quasi allegretto. III - Allegro molto - Misterioso - Un pochettino largamente - Largamente assai). Composée en 1922-1923, créée le 19 février 1923 à Helsinki sous la direction du compositeur, la Symphonie n° 6 en ré mineur op. 104 est en revanche l’une des moins programmées du cursus symphonique sibélien, au même titre que la Symphonie n° 3 en ut majeur op. 52 (1904-1907). Sa structure en quatre mouvements (Allegro molto moderato - Allegretto moderato - Poco vivace - Finale. Allegro molto) n’en annihile pas pour autant le sentiment de liberté qui émane de son exécution, comme le souhaitait son auteur, qui relevait le fait qu’ « aucun mouvement ne suit un modèle ordinaire de sonate ». Il s’agit de la plus lyrique des pages du cursus des symphonies, une partie du matériau thématique ayant été initialement pensé pour un concerto pour violon ainsi que pour un poème symphonique consacré à la Lune. Conçue dès 1914 alors que Sibelius travaillait sur sa Cinquième Symphonie, la Symphonie n° 7 en ut majeur op. 105 constitue le point culminant de la création de Sibelius. Concise, chantant admirablement, elle se déploie en un mouvement unique. Conçue parallèlement à la symphonie précédente, achevée le 2 mars 1924, elle a été créée trois semaines plus tard, le 24 mars 1924, à Stockholm dirigée par le compositeur sous le titre de Fantaisie symphonique n° 1 avant que son auteur finisse par l’intituler Symphonie n° 7 (en un mouvement) lors de la publication de la partition le 25 février 1925. Les sept premières mesures de cet unique mouvement présentent trois éléments thématiques totalisant sept notes, à partir desquelles Sibelius déduit la totalité du matériau de l’œuvre. L’unité de la symphonie tourne autour d’ut majeur et d’ut mineur, et l’impression de diversité est obtenue par des tempi en perpétuelle évolution ainsi que par les contrastes de modes, d’articulations et de textures, la partition développant ainsi à son acmé le concept déjà exploité dans le mouvement initial de la Cinquième Symphonie, mais en beaucoup plus élaboré dans la Septième.

Mikko Franck, Nathan Mierdl (violon solo), Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

Gestique souple, décontractée mais attentif voire vigilent, toujours souriant, empli de la musique qu’il dirige comme un bain de jouvence, Mikko Franck a transmis de toute évidence à son orchestre en totale complicité le virus sibélien, l’orchestre sonnant avec une densité, une poésie enchanteresse la nature grandiose et profonde chantée par la musique de Sibelius emplie de forêts profondes, de lacs et de faune féeriques. Un plaisir pour les oreilles et pour les yeux, qui se sont plus à regarder non seulement le chef, qui semble dessiner du geste et du corps les moindres aspérités des vastes paysages finlandais, mais aussi les musiciens de l’orchestre qui gratifient l’auditeur de sonorités épanouies, amples, profondes, charnelles, souvent surnaturelles, telles des aurores boréales continuellement renouvelées. Reste à espérer que, avant son départ sous d’autres cieux, Mikko Franck puisse programmer les autres grandes pages d’orchestre de Sibelius, non seulement les nombreux poèmes symphoniques, mais aussi légendes, cantates, ouvertures, suites, musiques de scène, fantaisies symphoniques, sérénades, humoresques... Il reste tant à découvrir du fondateur de l’école finlandaise, qu’il serait dommageable que Radio France ne profite pas de la présence de Mikko Franck-le-Surdoué pour en révéler les infinies beautés…

Bruno Serrou 

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