Paris. Philharmonie de Paris, Musée de la Musique. Exposition temporaire « Révolutions Xenakis ». Philharmonie de Paris, Week-End Iannis Xenakis concerts, ateliers et rencontres en mars. Radio France, Maison de la Radio et de la Musique, Week-End Iannis Xenakis en mai
Pour le centenaire de la naissance d’Iannis Xenakis, compositeurs parmi
les plus féconds du XXe siècle, le Musée de la Musique a confié à sa
fille Mâkhi, plasticienne écrivain, et Thierry Maniguet la réalisation d’une
exposition qui présente cet homme universel sous tous ses aspects
Révolutions Xenakis, tel est le titre de l’exposition que consacre au compositeur franco-grec le Musée de la Musique pour le centenaire de sa naissance. Révolutionnaire, Iannis Xenakis (1922-2001) l’était, indubitablement et à plus d’un titre. En quête constante de renouveau, il n’aura de cesse de l'investir le plus loin possible, et de la transmettre à ceux qui l’approchaient, comme il le fera dans un une lettre datée du 29 octobre 1999 au metteur en scène Robert Wilson, à qui il écrivait « L’originalité est une nécessité absolue de survie de l’espèce humaine. »
Cet homme universel qui a révolutionné la notation musicale en utilisant des schémas et des graphiques usant souvent de papier millimétré avant de reporter ses œuvres terminées sur des partitions classiques, embrassait tous les aspects de la création. La sienne était polymorphe, se fondant sur le cosmos, le naturalisme, les mathématiques, les sciences, la philosophie, la vie dans la riche diversité de ses aspects, mêlant le tout dans sa musique continuellement en quête de nouveauté et de renouveau, remettant constamment ses acquis sur le métier.
Résistance contre les Italiens puis contre les nazis enfin contre les Britanniques, combattant pendant la guerre civile contre les nationalistes, c’est au cœur des fureurs des batailles que l’idée lui est venue de consacrer sa vie à la musique. Un musique souvent brute et révoltée, toujours expressive, reflétant ses doutes, ses rages, ses passions. Condamné à mort, évadé, déchu de la nationalité grecque qu’il ne récupèrera qu’en 1974, c’est sur le chemin de l’exil vers les Etats-Unis où vivait un oncle qu’il s’est arrêté en 1947 en France pour ne plus la quitter. Il y deviendra le collaborateur de l’architecte Le Corbusier de 1948 à 1960, et l’élève d’Olivier Messiaen, qui constatera très vite qu’il n’a rien à lui apprendre, et à qui il succèdera à l’Institut de France. « J’ai pris une très grosse responsabilité, se souviendra Olivier Messiaen, mais devant l’homme, moi qui suis professeur au Conservatoire, je lui ai dit “n’étudiez rien, faites ce que vous sentez, soyez vous-même !”»[1]. Xenakis suivra deux ou trois ans, puis il le quittera pour composer seul.
« Avant mon arrivée en France, me rappelait Xenakis en décembre 1997, j’ai pris pendant trois ans des leçons privées auprès d’un compositeur d’origine russe, Aristote Kondourov. Mais j’ai beaucoup appris par moi-même. Pendant la guerre, avec un ami musicien, nous nous arrangions toujours pour occuper des maisons pourvues d’un piano. Mon ami était un peu plus jeune que moi, et jouait fort bien de cet instrument. Je le suivais partout et je l’écoutais jouer tout en tirant par la fenêtre. » Lorsque Je lui demandais si son attrait pour la musique concrète lui venait de là, il précisait : « Et de la pluie sur la toile de tente ! Et des orages ! Et des bombardements ! Et des balles traçantes !...
Compositeur, ingénieur, architecte, mathématicien, l’un des initiateurs de l’art numérique, résistant, polyglotte profondément investi dans son temps, particulièrement sensible à la nature et, comme tous les Grecs, profondément investi de la mer, homme libre avant tout, Xenakis est un artiste universel comme il s’en trouve peu dans l’histoire de la musique. Il était aussi le musicien de l’intime, puisant ses forces dans sa cellule familiale qui tenait chez lui une place considérable. « Son imagination fertile ne s’arrêtait jamais, relate sa fille Mâkhi. C’est lui qui a poussé ma mère vers l’écriture, mais je me suis tournée vers les arts plastique à l'encontre des espoirs de mon père pour qui il n'y avait que les mathématiques d'envisageables. L’ambiance était paradoxale mais joyeuse et pleine d’humour. Il travaillait tout le temps. Mais il aimait aussi à s’occuper de moi. Il me courait après à travers l’appartement pour que je fasse ’’mes maths’’, il me mettait au piano pour jouer Bach et Bartók à l’heure du déjeuner tout en refusant que je fasse du solfège, mais il m’aidait à déchiffrer et il ne comprenait pas que je n’aie pas les mêmes limites que lui. Je faisais le maximum pour lui faire plaisir, mais comme il me poussait toujours à aller plus loin, après que j’aie réussi une équation ou un morceau de piano, au bout d’un moment je n’en pouvais plus, je voulais jouer, et il ne comprenait pas pourquoi. Si bien que j’ai fini par trouver un stratagème en m’endormant. Je l’entendais crier tandis que je somnolais. Même s’il était tout le temps en train de travailler, même quand il était plongé dans sa musique, son architecture, nous étions tout le temps ensemble, mon père, ma mère et moi. Jusqu’en 1967, date à laquelle il a eu son atelier. Là, nous ne le voyions plus avant le soir. Il était très tendre, câlin, le soir il me racontait des histoires de fantômes, et il nous faisait chanter. Quand nous étions en vacances en Corse, un substitut de la Grèce pour mon père, nous passions notre temps dans un kayac, il nous fallait tout le temps chanter, principalement des chants grégoriens, en dépit de ma mère, qui râlait. D’autant plus qu’elle ne savait pas nager, elle avait donc peur, mais elle n’a jamais voulu apprendre. » Son prénom, qui n’existe pas en tant que tel en grec, Mâkhi avoue en souriant qu’il l’a conduite « à au moins dix ans d’analyse ». En effet, Makhi signifie Bataille en grec, précise-t-elle. « Ce mot est inclus dans le prénom Andromaque, qui signifie bataille des hommes, ou tauromachie, bataille du taureau. Ma mère a juste ajouté l’accent circonflexe sur le a. »
Avec une immense tendresse et une profonde admiration, Mâkhi Xenakis a rassemblé les archives et ses souvenirs de son père dans un ouvrage paru en 2015 chez Actes Sud qu’elle vient de compléter et de remettre à jour à la suite de ses recherches en vue de l’exposition que consacre le Musée de la Musique au compositeur dans le cadre de son centenaire. Il ne s’agit pas d’une simple monographie - ce qui explique sans doute l’absence d’index, ce qui m’apparaît néanmoins regrettable. Impossible en effet pour la fille de ce couple hors normes - car il ne faut pas négliger la compagne de toujours du compositeur, Françoise Xenakis, écrivain et femme de médias qui est aussi la mère de l’auteur - d’investir dans son livre une part d’elle-même, surtout quand elle est aussi écrivain.
C’est à travers le regard de cette
enfant aimante et admiratrice de son père qu’est tiré le portrait du héros de
l’auteur, qui laisse couler au fil de l’écriture ce qui appartient au plus
secret de son être et qu’elle exprime avec une simplicité et une sensibilité à
fleur de peau, une fraîcheur d’âme, l’authenticité d’une petite fille devenue
femme puis mère et artiste. Un père génial et délicat qui vit en elle et qui la
constitue, au point qu’elle se décrit à travers lui jusqu’au plus intime de son
être. Tandis qu’elle finissait une sculpture d’Antigone, son modèle de femme, sur
la pelouse de la retraite que son père avait bâtie en Corse, elle admettait :
« […] En regardant […] Antigone, je réalise une chose incroyable. Mon père
avait souhaité que l’on disperse ses cendres dans la Méditerranée, en Corse. Et
c’est exactement dans ce golfe, là où Antigone porte aujourd’hui son regard,
qu’elles reposent. Antigone maintenant veille sur les cendres de mon
père. »
L’exposition présentée Musée de la Musique et réalisée par Mâkhi Xenakis et Thierry Maniguet, ses commissaires, invite le visiteur au cœur de l’atelier de l’artiste, dont l’intimité est restituée dans la scénographie confiée à l’architecte designer Jean-Michel Wilmotte, et propose une immersion dans la diversité de sa création, qu’il concevait comme une œuvre d’art total, à l’instar de Richard Wagner que son père admirait.
Bruno Serrou
Exposition « Révolutions Xenakis », du 10 février au 26 juin 2022. Musée de la Musique/Philharmonie de Paris. Concerts, ateliers et rencontres à la Philharmonie de Paris autour de l'oeuvre de Xenakis le week-end du 17 au 20 mars 2022. A lire : Catalogue de l’exposition Révolutions Xenakis (Coédition Editions de l’œil/Musée de la Musique-Philharmonie de Paris, 320 p.) ; Mâkhi Xenakis, Iannis Xenakis, un père bouleversant (Editions Actes Sud, 248 p.). Cinq concerts à Radio France « Week-End Iannis Xenakis » du 6 au 8 mai 2022. Voir également mon propre livre Iannis Xenakis : l'homme des défis (Editions Lemoine/Cig'art, 2003, préface de Claude Samuel)
[1]
Olivier
Messiaen, in Regards sur Iannis Xenakis,
1981 : «Iannis Xenakis est certainement l’un des hommes les plus
extraordinaires que je connaisse. On a souvent parlé de notre première
rencontre et du fait que je lui recommandais de renoncer aux études musicales
classiques. Ma position fut peut-être stupide pour un professeur du
Conservatoire, mais la personnalité qui était devant moi était un héros hors du
commun, et je n’ai fait que mon devoir. Les résultats ont confirmé ce que
j’avais perçu dès ce premier moment. Qui, en effet, savait comment adapter la
musique à un concept mathématique, traiter de problème de masse et de densité,
se servir des espaces contractés et fragmentés, si ce n’est Iannis Xenakis ?
Les nuages de glissandi et de pizzicati, les clusters d’accords
extraordinaires dans Pithoprakta, les
contorsions de Nomos Gamma ne sont
que les manifestations extérieures d’un mode de pensée qui n’est pas
radicalement neuf mais fondamentalement différent, qui de plus en plus
(particulièrement dans les œuvres les plus récentes) concilient des phénomènes
très naturels et leur explication en son.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire