jeudi 20 janvier 2022

Die Vögel de Walter Braunfels s'impose en France comme un chef-d'oeuvre à l'Opéra du Rhin 102 ans après sa création à Munich

Strasbourg. Opéra du Rhin. Mercredi 19 janvier 2022


Photo : (c) Klara Beck


L’Opéra du Rhin convie à la découverte d’un opéra postromantique de tout premier plan en création française, Les Oiseaux (créé le 30 novembre 1920 Théâtre National de Munich) de Walter Braunfels


Photo : (c) Klara Beck


Walter Braunfels (1882-1954) est de ces compositeurs célébrés en leur temps mais que l’Histoire a étouffés. Du moins jusqu’à la fin des années 1990, lorsqu’un éditeur de disques commença à publier une sélection d’œuvres de quelques-uns d’entre eux, Alexandre Zemlinsky, Erich Wolfgang Korngold, Viktor Ullmann, Hans Krása … En dépit de leur succès ces compositeurs disparurent de l’affiche à l’avènement du IIIe Reich, qui les qualifia de « dégénérés » et les réduisit au silence parce que juifs ou sortant des critères esthétiques nazis, puis négligés après 1945 par l’avant-garde qui, tout en créant de nouveaux carcans avec le sérialisme intégral, opta pour la « tabula rasa » qui les condamna à l’oubli parce qu’appartenant à l’ordre tonal qu’ils jugeaient comme l’un des éléments ayant conduit à la dictature et à l’ultra-conservatisme… Beaucoup subirent ainsi une double peine, à l’instar de Walter Braunfels…


Photo : (c) Klara Beck


En effet, loin de l’école de Schönberg voire de l’expressionnisme d’un Zemlinsky, Braunfels se situe de plain-pied dans le postromantisme. Allemand classé dégénéré après avoir refusé de composer l’hymne de l’Allemagne hitlérienne puis pour avoir un quart de sang juif par son père, quoique lui-même protestant converti au catholicisme, son œuvre a été interdite après 1933 alors qu’il était l’un des compositeurs les plus populaires d’Allemagne. Tant et si bien qu’il a fallu attendre la fin des années 1990 pour redécouvrir Braunfels et Die Vögel, dont le premier enregistrement a été publié en 1996 dirigé par Lothar Zagrozek…


Photo : (c) Klara Beck


Sur un livret adapté par le compositeur de la pièce éponyme du poète grec Aristophane, la musique à l’harmonie exacerbée est d’une expressivité paroxysmique, empreinte de naturalisme panthéiste. Les quatre rôles centraux sont un Rossignol confié à une soprano colorature, Bonespoir à un ténor héroïque, Fidèlami et Prométhée à deux barytons-basse. L’histoire conte les aventures de deux citadins las de la compagnie des hommes qui se réfugient dans le royaume des oiseaux. Ils les convainquent de bâtir pour eux leur cité idéale et deviennent maîtres du ciel en interceptant les fumées des sacrifices que les hommes élèvent aux dieux à qui ils demandent tribut. Zeus les punit par une tempête qui détruit leur ville, ce qui les incite à retourner parmi les humains… Au début de l’acte II, le climat est comparable à celui de la grande scène de l’Empereur de La Femme sans Ombre de Richard Strauss, bien qu’il soit impossible qu’ils se soient inspirés l’un l’autre les deux opéras ayant été composés en parallèle… La tempête plonge dans Le Vaisseau fantôme et la pénultième scène dans la fin du Crépuscule des dieux de Richard Wagner tandis que le finale est proche d’Ariane à Naxos de Strauss et que l’atmosphère générale annonce la musique de film dans l’esthétique hollywoodienne de Korngold...


Photo : (c) Klara Beck


La distribution réunie à Strasbourg est exemplaire, Marie-Hélène Munger, Tuomas Katajala, Cody Quattlebaum, Josef Wagner en tête, le chœur de l’Opéra impressionne toujours malgré les masques. La jeune cheffe coréenne de talent, Sora Elisabeth Lee, disciple d’Alain Altinoglu,  remplace au pied levé le directeur musical en titre Aziz Shokhakimov, positif au Covid, comme cinq solistes des pupitres des vents de l’orchestre relevés par des supplémentaires qui s’en sont sortis avec les honneurs au sein d’un Philharmonique de Strasbourg flamboyant. Mise en scène sans oiseaux de Ted Huffman, dont la direction d’acteur est au cordeau, dans un décor grisâtre de bureau open space d’Andrew Lieberman qui n’invite en aucun cas au rêve…


Bruno Serrou 

Opéra de Strasbourg jusqu’au 30 janvier, Filature de Mulhouse les 20 et 22 février. www.Operanationaldurhin.eu. L’opéra est capté par ARTE et France Musique et diffusé à partir du 10 février à 19h sur ARTE Concert où il sera disponible 1 an, et le 19 février sur France Musique. A lire, le Chant des bêtes, Essai sur l’animalité à l’opéra de Jean-François Lattarico (Editions Classiques Garnier)

 


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