lundi 1 juillet 2019

Tsar Saltan de Nikolaï Rimski-Korsakov, psychanalyse et Conte de fées

Bruxelles (Belgique). Théâtre de La Monnaie. Samedi 29 juin 2019


Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Il est des spectacles qui sont pures féeries. C’est certes très rare. Aussi, lorsque cela arrive, il faut immédiatement le relever, le glorifier, s’en féliciter. 

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles


Deux ans et demi après Le Coq d’or (voir : http://brunoserrou.blogspot.com/2016/12/la-monnaie-de-bruxelles-presente-un.html), le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles retourne à Nikolaï Rimski-Korsakov, cette fois avec un ouvrage étonnamment négligé en Occident, Le tsar Saltan. Adapté du poème éponyme d’Alexandre Pouchkine par Vladimir Bielski, cet opéra en quatre actes précédés d’un prologue créé au Solodovnikov Theatre de Moscou le 3 février 1900, est infiniment moins célèbre en Occident qu’en Russie, où il se joue devant des salles emplies d’enfants…

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Aussi, mettre en scène cet ouvrage n’est pas chose aisée, à cause de sa composante féerique. Difficile en effet d’échapper au ridicule lorsqu’il s’agit de jeter la tsarine et son fils à la mer dans un tonneau, quand la princesse-cygne converse avec le tsarévitch, et surtout lorsqu’elle le métamorphose en bourdon pour qu’il puisse voyager incognito jusqu’à la cour de son père.


Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Même si la production de La Monnaie respecte la trame de l’ouvrage, ce n’est évidemment pas ce que donne à voir Dmitri Tcherniakov. S’il respecte certes l’aspect féerique, il l’enrichit d’une large réflexion dramatique. En effet, le metteur en scène russe métamorphose le prince Gvidon, fils du tsar Saltan, en un adolescent évoluant entre l’épilepsie et l’autisme. L’agitation forcenée imposée par Tcherniakov au ténor ukrainien Bogdan Volkov tient plus du tic permanent que du silence prostré où il est censé se cantonner. 


Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Pour éviter le premier degré, Tcherniakov imbrique les niveaux de lecture. Ainsi, la malheureuse princesse Militrisa, haïe par ses sœurs jalouses de son mariage impérial - ce qui n’est pas sans renvoyer à l’histoire de Cendrillon -, et qui font croire au tsar Saltan que sa femme a engendré un monstre, est fidèlement illustrée, les costumes d’Elena Zaytseva plongeant dans l’époque du conte, tandis que des projections de dessins animés sont proprement irrésistibles. Mais cet onirisme populaire s’inscrit dans une histoire plus douloureuse, celle d’un prince autiste et malheureux, balloté par la mer avec sa mère qui ne vit que par le truchement des contes de fées. Une mère qui tente de lui expliquer le mystère de ses origines tandis qu’ils se trouvent tous les deux depuis le prologue dans le monde contemporain. Cette fusion du passé et du présent permet d’imbriquer réalisme, onirisme, réflexions philosophiques et sociales, le tout plongeant dans le monde de l’enfance.


Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Apparaissant troisième acte costumé en bourdon - la totalité de cet acte est placé sous le motif du célébrissime Vol du bourdon -, Alain Altinoglu, qui s’était déjà imposé avec Le Coq d’or en décembre 2016, est, comme avec Laurent Pelly dans ce dernier ouvrage, en totale osmose avec le propos de Dmitri Tcherniakov, variant les atmosphères conformément au propos du metteur en scène russe.

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Bogdan Volkov (Tsarevitch Gvidon) et Svetlana Aksenova (Tsarine Militrisa). Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Le chef français exalte la partition de l’éblouissant orchestrateur qu’est Rimski-Korsakov, lui instillant des couleurs étincelantes et des textures cristallines, l’Orchestre symphonique de La Monnaie étant comme transcendé. Totalement investi dans l’œuvrel’orchestre atteste d’une virtuosité presque insolente, notamment dans des solos de cordes a se damner, qui témoignent des progrès accomplis sous la houlette du directeur musical.

Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

La distribution est en symbiose totale avec le metteur en scène, totalement engagée dans le propos du metteur en scène, tous réalisant une performance de comédie et de chant extraordinaire. A commencer par la rouerie des deux sœurs, Stine Marie Fischer (Tkatchikha) et Bernarda Bobro (Povarikha), de l’incarnation plus parlée que chantée de Carole Wilson (Babarikha), à la voix d’airain d’Ante Jerkunica en Tsar Saltan, en passant par la voluptueuse vocalité de la princesse-cygne d’Olga Kulchynska, et jusqu’à plus petit rôle, tous sont à féliciter pour leur performance. Mais il faut surtout saluer la prestation de Svetlana Aksenova, tsarine bouleversante en mère brisée par la douleur de son fils, le tsarévitch Gvidon, remarquablement campé par Bogdan Volkov qui entre avec une aisance incroyable dans la peau de l’adolescent enfermé dans son monde incapable de communiquer sa souffrance et qui, à partir du deuxième acte, impose sa voix lumineuse.


Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Tsar Saltan. Production de Dmitri Tchreniakov pour La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles

Quant aux chœurs du Théâtre de La Monnaie, lui aussi très investi, ils apparaissent légèrement en retrait, non pas pour ses qualités intrinsèques, mais à cause du metteur en scène, qui les disperse un peu partout dans la salle, ce qui les contraint à chanter parfois dos au chef, mais ils s’en sortent néanmoins avec les honneurs.

Reste à espérer que ce beau spectacle soit repris sans trop attendre.

Bruno Serrou

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