vendredi 21 juin 2019

Don Giovanni à Paris et à Strasbourg, classicisme bon teint au Palais Garnier, bestialité à l’Opéra du Rhin


Paris. Opéra de Paris-Garnier. 11 juin 2019. Strasbourg. Opéra national du Rhin. 15 juin 2019

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mise en scène par Ivo van Hove à l'Opéra de Paris. Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris

Les productions nouvelles du chef-d’œuvre de Mozart, deux conceptions diamétralement opposées qui laissent une impression d’inachevé

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mise en scène par Ivo van Hove à l'Opéra de Paris. Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris

Pour sa seconde mise en scène à l’Opéra de Paris (1) après Boris Godounov, Ivo van Hove, tout en restant dans un libéralisme outré, s’échappe du quartier de La Défense de Michael Haneke à Bastille de 2006  à 2015 pour investir une rue de Séville avec moult points de fuite où Giovanni et ses adversaires se dissimulent ou s’échappent. L’éclairage est sombre jusqu’à la morale finale où fleurs et tissus colorés font leur apparition. Vêtus en costumes contemporains, les protagonistes s’activent donc dans une Séville d’aujourd’hui, obscure et grise. Une fois de plus quelque protagoniste s’immisce dans le public, ce qui devient un tic.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mise en scène par Ivo van Hove à l'Opéra de Paris. Etienne Dupuis (Don Giovanni) et Philippe Sly (Leporello). Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris

L’intérêt de cette production est la gémellité Don Giovanni/Leporello, au point de rendre crédible la confusion d’Elvire. Silhouette, costume, voix sont saisissants d’analogie. Saluons d’ailleurs la remarquable prestation d’Etienne Dupuis et de Philippe Sly. Le Masetto de Mikhaïl Timosshenko est tout aussi saisissant, à l’instar de l’impressionnant Commandeur d’Ain Anger. La Donna Anna de Jacquelyn Wagner est noble et la voix brillamment tenue, la Zerline d’Elsa Dreisig est spontanée. Seule l’Elvire de Nicole Car déçoit. Philippe Jordan, qui dirige un orchestre onctueux, manque d’allant et d’élasticité. 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mise en scène par Marie-Eve Signeyrole à l'Opéra national du Rhin. Photo : (c)  Klara Beck / Opéra national du Rhin

Mais le directeur musical de l’Opéra de Paris démontre depuis le clavecin une réelle vitalité face à l’atone Christian Curnyn, qui plombe la production de l’Opéra du Rhin (2), alourdie encore par un pianoforte. Ce que fait le chef britannique est tout simplement honteux, tant l’encéphalogramme est plat. Ce qui est en totale contradiction avec ce que donne à voir Marie-Eve Signeyrole, qui elle-même prend le contrepied de la subtilité du propos de Mozart et Da Ponte.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mise en scène par Marie-Eve Signeyrole à l'Opéra national du Rhin. Photo : (c)  Klara Beck / Opéra national du Rhin

Car ici, au-delà de la simple suggestion de l’enfer par des fumigènes sortant du sol de l’Opéra Garnier, le Dissoluto est un monstre véritable, une bête fauve qui malmène les femmes et toute la valetaille qu’il croise avec une férocité démesurée, à l’encontre du séducteur qu’il est censé être. En outre, le spectacle pose une nouvelle fois la question d’une vidéo omniprésente avec gros plans et actions hors scène, ajouts et actualisation du livret et de la musique, avec bruitages et autres satellites qui font redondance et vont à l’encontre de l’œuvre.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mise en scène par Marie-Eve Signeyrole à l'Opéra national du Rhin. Photo : (c)  Klara Beck / Opéra national du Rhin

Mais au moins la production rhénane a-t-elle le mérite d’interroger le public qui souvent reste bouche bée. Le remarquable Leporello de Michael Nagl est à la fois valet, double raté de Giovanni - le tout aussi excellent de Nikolay Borchev -, et M. Loyal, présentant en allemand, français ou italien chaque scène pour guider le spectateur. Crimes, viols, brutalités schizophréniques, partouzes, tout y passe, au cœur d’un bar de grand hôtel. Là aussi, la distribution est excellente (superbe Anna de Jeanine De Bique), à l’exception de l’Elvira criarde et chevrotante de Sophie Marilley, et de l’Ottavio mollasson d’Alexander Sprague.

Bruno Serrou

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