lundi 22 juin 2015

Pierre Boulez et l'Opéra

Pierre Boulez entouré de Rolf Liebremann et de Patrice Chéreau. Photo : DR

Le texte ci-dessous a été écrit pour la plaquette de la remise des prix de l'Académie du Disque lyrique au Théâtre du Châtelet mercredi 24 juin 2015, qui rendait hommage à Pierre Boulez à travers sa discographie lyrique et son oeuvre vocale réunies en coffrets par ses trois éditeurs, Sony Classical ex-CBS, Erato/Warner et DG.

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Compositeur, chef d’orchestre, penseur, pédagogue, essayiste, organisateur, administrateur - avant et après l’Ircam et l’Ensemble Intercontemporain, il a travaillé sur deux réformes de l’Opéra de Paris qui n’aboutiront pas, à l’instar de la fameuse salle modulable de l’Opéra-Bastille qui devait servir de lieu expérimental pour une nouvelle approche de la création lyrique -, homme universel doué d’une intelligence aiguë et pragmatique, passionné de littérature, de poésie, de peinture, Pierre Boulez est l’un des artistes les plus marquants et les plus influents de notre temps. Né à Montbrison (Loire) voilà 90 ans le 26 mars 1925, il porte très haut les couleurs de la France artistique et musicale dans le monde, autant comme compositeur qu’en tant que chef d’orchestre. Il a en effet dirigé les fameux « big five » nord-américains, de l’Orchestre de Cleveland, que lui confia George Szell en 1967, au Philharmonique de New York, dont il a été dix ans le directeur musical après le départ de Leonard Bernstein, en passant par les Orchestres Symphonique de Chicago, dont il est l’invité privilégié, et Philharmonique de Los Angeles. En Europe, il a été le patron de l’Orchestre Symphonique de la BBC, et il est très souvent invité par les Orchestres Philharmonique de Berlin et de Vienne et de la Staatskapelle de Berlin, ainsi que des Orchestres National de France et de Paris.

Pierre Boulez et Jean-Louis Barrault en 1959, Théâtre de l'Odéon. Photo : (c) Lipnitzki / Roger Viollet

Côté opéra, s’il n’a lui-même jamais composé pour la scène lyrique qu’il a longtemps vouée aux gémonies avant d’espérer collaborer avec de grands écrivains comme Samuel Beckett, Jean Genet, Bernard-Marie Koltès et Heiner Müller, Boulez s’est plu à travailler avec les grands noms de la mise en scène, à commencer par Wieland Wagner avec qui il collabora une première fois dans Wozzeck de Berg à Hambourg, avant que ce petit-fils de Richard Wagner l’appelle une première fois en 1966 à Bayreuth pour diriger Parsifal à la suite du décès de Hans Knapperbusch au mois d’octobre de l’année précédente. Il dirigera ce même Parsifal jusqu’en 1970. Avec Wieland Wagner, il avait également prévu une nouvelle production de Salomé… Mais la mort prématurée de ce dernier en octobre 1966 stoppa net leurs nombreux projets communs. Début 1967, il dirige à Osaka son unique Tristan et Isolde, dans la célèbre mise en scène de Wieland Wagner. 

Pierre Boulez et Wieland Wagner travaillant sur la partition de Parsifal de Richard Wagner à Bayreuth en 1966. Photo : DR

Mais le décès du metteur en scène en octobre 1966 met un terme à cette première période lyrique. En 1976, Wolfgang Wagner le rappelle à Bayreuth pour diriger le Ring du centenaire. C’est lui qui recommande à Bayreuth pour l’occasion le jeune Patrice Chéreau. A eux deux, avec cette production en constante évolution jusqu’à son ultime reprise de l’été 1980, ils vont révolutionner la scène lyrique mondiale jusqu’à aujourd’hui. En 1979, Rolf Liebermann offre aux deux hommes la création à l’Opéra de Paris de l’intégrale en trois actes de Lulu d’Alban Berg, qui avait laissé à sa mort l’acte final incomplet. C’est d’ailleurs avec le chef-d’œuvre du même Berg, Wozzeck, que Boulez avait fait ses débuts en 1963 dans une fosse d’orchestre, tandis que son protecteur Jean-Louis Barrault faisait lui aussi dans cette même production ses premiers pas dans la mise en scène lyrique, à l’Opéra de Paris sur l’invitation de Georges Auric, son directeur d’alors, qui les appellera de nouveau en 1966 pour une reprise de cette production. Il retrouvera Patrice Chéreau en 2007 dans De la maison des morts de Janacek qui se révèlera être son ultime spectacle lyrique. 

Pélléas et Mélidande de Claude Debussy dans la production de l'Opéra de Cardiff dirigée par Pierre Boiulez et mise en scène par Peter Stein. Photo : DR

Auparavant, il dirige Pelléas et Mélisande au Covent Garden de Londres en 1969, ouvrage qu’il retrouve en 1992 avec la complicité de Peter Stein dans une production donnée à Cardiff et à Paris, Théâtre du Châtelet, où il avait dirigé Huit chants pour un roi fou de Peter Maxwell Davies en 1984. En 1995, il dirige Moïse et Aron de Schönberg à Amsterdam avec de nouveau Peter Stein, le Château de Barbe-Bleue de Bartók mis en scène par Pina Bausch au Festival d’Aix-en-Provence 1998 qui lui offre également le triptyque Pierrot lunaire de Schönberg / Tréteaux de Maître Pierre de Falla / Renard de Stravinski mis en scène par Klaus Michael Gruber en 2006. En 2004 et 2005, Boulez fait ses dernières apparitions dans la fosse mystique de Bayreuth dans Parsifal dans une mise en scène malheureusement trash de Christoph Schlingensief.

De la maison des morts de Leos Janacek dans la production du Festival d'Aix-en-Provence dirigée par Pierre Boulez et mise en scène par Patrice Chéreau. Photo : (c) Festival d'Aix-en-Provence

Dans sa propre création, la voix, qu’elle soit pour soliste(s) et ensemble ou pour chœur avec ou sans ensemble instrumental, occupe une place capitale, avec des œuvres comme Visage nuptial, le Soleil des eaux, le Marteau sans maître, Pli selon pli, Über das, über ein verschwinden et Cummings ist der Dichter, mais elle est toujours traitée tel un instrument de musique comme un autre, le compositeur s’arrangeant toujours pour que le texte se fasse musique au risque d’être inintelligible, malgré un choix drastique de poètes, puisqu’il s’agit rien moins que de Stéphane Mallarmé, René Char ou EE Cummings.

Toutes ces œuvres et la majorité de ces productions lyriques ont été heureusement sauvegardées par le disque, certaines par le DVD, par les labels Sony, DG et Erato. Ces trois éditeurs ont réuni leurs enregistrements en trois gros coffrets à l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de Pierre Boulez, l’un des chefs d’orchestres les plus enregistrés de l’histoire du disque.

Bruno Serrou

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