mercredi 26 novembre 2014

Deux créations au Théâtre des Bouffes du Nord, un opéra de FrédéricVerrières, "Mimi", et le Quatuor à cordes n° 3 de François Meïmoun

Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, mercredi 19 et lundi 24 novembre 2014

Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart

Le Théâtre des Bouffes du Nord est en passe de devenir la salle la plus ouverte à la création musicale contemporaine de la place de Paris. La promiscuité du public et des musiciens est exceptionnelle, si bien que l’écoute pousse à l’intimisme, avec les interprètes et avec les œuvres jouées. L’acoustique est chaude, à condition que le fond du plateau soit occupé par des instrumentistes ou caché par un rideau, sinon le son tend à se disperser et à se perdre dans les hauteurs… En moins d’une semaine, ce lieu rendu célèbre par Peter Brook a offert l’opportunité d’entendre deux œuvres paradoxales péchant par excès d’encrage de l’air du temps, la première puisant sans vergogne dans la musique populaire, voire la muzak, la seconde dans la tradition savante française…

Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart

Mimi de Frédéric Verrières

Comme il l’a fait en avril 2011 pour le premier, The Second Woman, le Théâtre des Bouffes du Nord a commandé et produit le deuxième opéra de Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi sous-titré à l’instar de la pièce d’Henry Murger (1822-1861) dont le livret s’inspire Scènes de la vie de bohème. A l’instar de The Second Woman, libre adaptation du film Opening Night (1977) de John Cassavetes, Mimi est une transposition libre du célébrissime chef-d’œuvre de Giacomo Puccini (1858-1924), La bohème (1892-1895). C’est la même équipe qui signe la réalisation de cette Mimi, du compositeur à l’ensemble instrumental, Court-Circuit, en passant par le librettiste, Bastien Gallet, le chef d’orchestre, Jean Deroyer, le metteur en scène, Guillaume Vincent, et les scénographes, James Brandily pour le décor, Fanny Brouste pour les costumes et Sébastien Michaud pour les lumières.

Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Camélia Jordana (Mimi 1). Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart

N’ayant pas, lorsqu’il puisa son inspiration dans le cinéma, de musique particulière comme modèle possible, la bande de Bo Harwood étant sans saveur particulière, Verrières avait ouvertement puisé pour The Second Woman dans le répertoire, de Haendel à Berg, en passant par Verdi et Puccini... Un Puccini évidemment omniprésent dans Mimi, tour à tour traité avec révérence, métamorphosé par des pots-pourris, écartelé, déformé jusqu’à être plus ou moins reconnaissable, passant des chanteurs à l’orchestre puis aux haut-parleurs diffuseurs d’enregistrements historiques, exploitant notamment la voix de Luciano Pavarotti sans le moindre traitement mais sèchement fractionnée. Le découpage de Mimi est fidèle à celui de La bohème, mais les trois actes s’enchaînant sans interruption, séparés seulement par des scènes de genre aux attributs bouffes et au tour de cabaret. 

Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Camélia Jordana (Mimi 1). Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart

Comme le titre l’indique, c’est sur le personnage de Mimi qu’est centrée l’action, au point d’être dédoublé, tandis que celui de Musette se voit développé, alors qu’apparaît curieusement un personnage venu d’Alban Berg, l’homosexuelle comtesse Geschwitz venue de Lulu (1929-1935), synthèse d’un diptyque de Frank Wedekind écrit entre 1895 et 1902, c’est-à-dire au moment où l’opéra de Puccini était en train de naitre. Les hommes, représentés par les seuls Rodolphe et Marcel, sont réduits à la portion congrue. Moins raffiné et spirituel que celui de The Second Woman, pourtant signé par le même Bastien Gallet, le livret de Mimi est plus contraint, moins spontané et imaginatif, à l’instar de la partition, trop systématiquement emplie du modèle et, lorsqu’elle parvient à s’en libérer, trop encline à aller dans le sens du vent, avec un usage excessif et laborieuse du rock et de la pop’, voire de la variété la plus commerciale, dance music, techno-punk, remix et autres qualificatifs dont la liste n’est pas limitative.

Frédéric Verrières (né en 1968). Photo : DR

Bref, considérant la réussite de The Second Woman, j’avoue ma déception, qui est grande, face à cette Mimi fatras et foutras qui se déploie dans un décor du même acabit dont l’assise est constituée de matelas de tout gabarit sur lesquels se meuvent les protagonistes avec plus ou moins d’aisance, entourés d’un monceau d’accessoires en tout genre, d’une Vierge venue de Lourdes à un train avant d’Austin Morris et à des écrans de télévision diffusant diverses captations scéniques de La bohème de Puccini, tandis que la mise en scène de Guillaume Vincent est plus proche de la farce potache que de l’humour véritable, de la dérision et de la réflexion sur l’amour. Seule Caroline Rose, voix rauque façon Nina Hagen star de l’émission populaire de TF1 The Voice en walkyrie dézinguée meneuse de revue au fort accent allemand, est irrésistible. Il convient également de relever la prestation de la chanteuse pop’ Camélia Jordana, « révélation » d’une autre émission grand public, Nouvelle Star de M6, qui surprend elle aussi par son naturel et le plaisir évident qui émane de sa personne en brune Mimi 1 à la voix caverneuse.

Frédéric Verrières (né en 1968), Mimi. Photo : (c) Victor Tonelli - Artcomart

A leurs côtés, des chanteurs lyriques, Pauline Courtin en Musette à la voix bien en place, Judith Fa, Mimi 2 plus gracile et touchante, Christophe Gay, Marcel portant perruque et vêtu d’un short et d’un… marcel gravé des portraits de Manuel Valls et de Fleur Pellerin et portant perruque, et Christian Helmer Rodolphe à la voix caverneuse, tous fluctuant entre voix lyrique et de variétés. En fond de plateau, sur une estrade, l’ensemble Court-Circuit s’illustre dans la partie qui lui est dévolue, sans doute la moins de cet ouvrage, tant elle manque de spontanéité et de personnalité, s’avérant trop « cross over » et se forçant à l’air du temps, mais que Jean Deroyer essaie néanmoins de tirer vers le haut.

Quatuor à cordes n° 3 de François Meïmoun

Le Quatuor Ardeo à l'issue de la création du Quatuor à cordes n° 3 de François Meïmoun. Photo : (c) Editions Durand-Salabert-Umusic classical

Cinq jours après Mimi, les Bouffes du Nord étaient le cadre de la création du Quatuor à cordes n° 3 de François Meïmoun (né en 1979). A 35 ans, cet élève angevin de Michaël Levinas est un homme particulièrement actif. Editeur, écrivain, compositeur en résidence au Festival de Chaillol,  chercheur à l’Ecole des Hautes Etudes, auteur d’un nombre déjà conséquent de partitions pour tout type d’effectifs, Meïmoun en est déjà à trois quatuors à cordes, genre pourtant réputé particulièrement difficile et exigeant à concevoir, tant il ouvre aux champs de tous les possibles. Pour ce troisième essai, qu’il a conçu pour les seize cordes du Quatuor Ardeo, avec qui il a été en contact suivi pendant toute la genèse de l’œuvre, et dont les quatre archets se font ici aussi singuliers que fondus en une seule entité, Meïmoun a choisi de prendre pour socle le Quatuor à cordes de Maurice Ravel, dont on distingue clairement la griffe dans le court thème énoncé dès les premières mesures, fluide de matériau et particulièrement chantant, qui se propage tout au long des quinze minutes que dure l’œuvre à la trajectoire d’un seul tenant et joué sans interruption, totalement empreinte de classicisme mais ne négligeant pas les tendances actuelles, du spectral au bruitisme, mais sans saturation. Cette œuvre, dont les timbres et les couleurs sont en mutation continue, reflète un savoir-faire incontestable mais il y manque encore une prégnante originalité et un tempérament absolu que ce jeune compositeur ne tardera assurément pas à acquérir.

François Meïmoun (né en 1979). Photo : (c) François Meïmoun

Le Quatuor Ardeo a donné de cette ce nouvel opus de François Meïmoun une interprétation que l’on peut estimer idéale, les musiciennes s’impliquant sans restriction dans cette partition qu’elles ont jouée après le Quatuor à cordes en la mineur op. 13 que Félix Mendelssohn-Bartholdy a achevé deux mois avant la mort de Beethoven, en 1827. Il s’agit donc ici aussi d’une œuvre de jeunesse, le compositeur hambourgeois étant alors âgé de 17 ans. Les Ardeo, qui alternent les postes de premier et de second violons dont l’une vient de prendre ses fonctions au sein du quatuor, n’ont pas démontré ici une totale cohésion, les timbres des instruments contrastant parfois violemment et manquant de chair, se montrant de temps à autre acides et peu puissants. 


Le Quatuor Ardeo. Photo : (c) Quatuor Ardeo

Ce manque de présence, notable aux violons, a sans doute été dû aux matelas de Mimi rassemblés en un énorme tas derrière l’alto et le violoncelle et qui ont laminé la propagation du son à travers l’espace, alors que celui des deux violons rebondissait sur le cadre de scène et le rideau limitant le plateau. En seconde partie de leur concert, le Quatuor Ardeo a donné une transcription pour seize cordes que François Meïmoun a réalisée des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Mais les quarante-cinq minutes d’exécution prévues et l'heure tardive à laquelle commencent concerts et spectacles aux Bouffes du Nord m’ont empêché d’écouter cette réalisation, me devant de filer à l'anglaise à l'entracte pour attraper le dernier train qui me ramène chez moi depuis la gare de Lyon...

Bruno Serrou

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