vendredi 13 juin 2014

"Simon Boccanegra" crépusculaire pour fin de saison de l’Opéra de Lyon

Lyon, Opéra national de Lyon, samedi 7 juin 2014

Verdi, Simon BoccanegraAndrzej Dobler (Boccanegra), Ermonela Jaho (Amelia). Photo : (c) Bertrand Stofleth

Simon Boccanegra est l'un des chefs-d'œuvre les plus accomplis de Giuseppe Verdi, surtout dans la révision qui scella la fructueuse collaboration du compositeur avec le poète compositeur Arrigo Boito, qui donna Otello et Falstaff. C’est d’ailleurs dans cette version que l’ouvrage est généralement programmé. Avec pour toile de fond Gêne au plus intense des querelles des Guelfes et des Gibelins, Simon Boccanegra, le plus politique et humain des opéras de Verdi est aussi l’un des plus sombres, et la prédominance de voix graves ajoute à la noirceur du propos.

Verdi, Simon Boccanegra, Prologue. Photo : (c) Bertrand Stofleth

Pour sa dernière production de la saison, comme de coutume depuis l’arrivée de Serge Dorny à sa tête, l'Opéra de Lyon frappe un beau coup, quoique loin des splendeurs de la légendaire production de Giorgio Strehler pour la Scala de Milan présentée à Garnier en 1978 et reprise la saison suivante. Dans un décor mobile simple de Patrick Bannwart, la mise en scène de David Bösch vaut surtout par une direction d’acteur au cordeau. Côté scénographie, une curiosité un rien agaçante, l’emploi de slogans écrits en anglais, clamés en italien dans un théâtre français... L’impressionnante citerne réversible du prologue qui s’ouvre ensuite regroupe tous les éléments de l’action et présente une image saisissante, celle de Boccanegra tenant dans ses bras en hurlant le cadavre de sa promise. Retournée, cette citerne devient avec son échafaudage le palais du Doge de Gènes tour à tour salle de délibération et appartement privé de Boccanegra, et cette pleine lune qui de sa lumière grise enveloppe les protagonistes d'un voile d'acier. L’axe de la conception de Bösch est la mort, l’absence et le pardon ; ici la mort de la femme et la perte de la fille. La vision de ce trinôme dramatique est si intense et tangible qu’elle ne cesse de bouleverser d’un bout à l’autre de l'ouvrage.

Verdi, Simon Boccanegra. Pavel Cernoch (Adorno), Ermonela Jaho (Amelia), Andrzej Dobler (Boccanegra), Riccardo Zanellato (Fiesco). Photo : (c) Bertrand Stofleth

Dominée par le baryton polonais Andrzej Dobler noble et incandescent Boccanegra, déchirant jusque dans ses légères défaillances vocales parfois proches de la fêlure, instille une touchante vulnérabilité à cet être particulièrement mélancolique, la distribution confirme un remarquable ténor à la voix ample, étincelante et étoffée, Pavel Cernoch, qui campe un Adorno lumineux à la ligne de chant insolente d’assurance. Ermonela Jaho, soprano généreux au timbre d’or qui n'est pas sans rappeler celle de Mirella Freni qui fit ce rôle sien à l'époque d'Abbado et de Strehler, est une Amelia Grimaldi incandescente. Riccardo Zanellato est un Fiesco un peu terne mais solide, Ashley Holland (le jaloux Paolo Albiani) et Lukas Jakobski (Pietro son homme de main) forment un duo de méchants des plus crédibles. Le chœur fait un sans-faute.

Verdi, Simon Boccanegra, final. Pavel Cernoch (Adorno), Ermonela Jaho (Amelia), Andrzej Dobler (Boccanegra), Riccardo Zanellato (Fiesco). Photo : (c) Bertrand Stofleth

Dans la fosse, le jeune chef italien de trente ans Daniele Rustioni impose sa vision avec une conviction conquérante. Il dirige en effet un Simon Boccanegra si intense et sonnant si somptueusement, que l’on se surprend à se retourner régulièrement vers les tuners fixés sur le parapet du premier balcon. Il sollicite avec panache la partition particulièrement foisonnante de Verdi, le geste large, le bras vigoureux, ferme et sûr. Il chante avec les chanteurs qu’il ne couvre malgré les tempêtes qu’il déchaîne au sein de l’orchestre de l’Opéra de Lyon, qui se donne sans réserve et s’avère aussi précis dans tout le nuancier, tandis que les solos foisonnent à satiété (la clarinette).

Bruno Serrou

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