mardi 3 juin 2014

La Traviata de Verdi sans ressort de l’Opéra de Paris portée par l’impressionnant Germont-père de Ludovic Tézier

Paris, Opéra national de Paris-Bastille, lundi 2 juin 2014


La Traviata est l’un des opéras les plus célèbres et ressassés du répertoire. Chef-d’œuvre incontestable et incontesté, cet ouvrage créé à Venise en 1853 peut subir tous les traitements imaginables il n’en garde pas moins son essence. Et c’est heureux, car l'on déchante à Bastille sept ans tout juste après la remarquable proposition, ravageuse et décoiffante, de Christoph Marthaler au Palais Garnier, qui, en juin 2007, suscita certes la controverse – l’on se souvient de la tondeuse à gazon dans la ferme refuge de Violetta Valery et Alfredo Germont –, mais qui avait le mérite de chercher judicieusement à exalter la pérennité du drame inspiré de la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils – la pute au grand cœur qui accepte son triste sort et se rachète dans la rédemption par l’amour – remarquablement mis en musique par Verdi, le metteur en scène bernois signant pour la circonstance une véritable mise en abîme du mythe de la mondaine au cœur pur qui n’avait cependant rien d’une actualisation stricto sensu.

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Francesco Demuro (Alfredo), Diana Damrau (Violetta). Photo : (c) Opéra national de Paris/Elisa Haberer

La « nouvelle » production de La Traviata mise en scène par Benoît Jacquot présentée cette fois à Bastille retourne à la tradition héritée du XIXe siècle, respectant la volonté de Verdi de placer l’action à l’époque de la composition, donc contemporaine de la genèse de l’œuvre, avec robes à crinolines signées Christian Gasc, servante venue des colonies, lit géant pour parties carrées demeurant vide de tout débat – la « Dévoyée » ira jusqu’à agoniser puis mourir sur un étroit divan planté au pied de son grand lit – escaliers monumentaux, chêne immense digne de celui à l’ombre duquel saint Louis rendait justice, le tout se perdant sur le vaste plateau de Bastille, au point que Sylvain Chauvelot scinde en deux son décor du deuxième acte, l’action de chacun des deux tableaux se déroulant sur l’une des moitiés de la scène, la maison de campagne de Violetta à jardin et l’appartement de l’amie Flora côté cour, chaque moitié restant dans la pénombre durant le déroulement de l’action de l’un puis de l’autre tableaux, ce qui vaut aux figurants du second de rester une demi-heure debout ou assis (pour les plus chanceux) sans broncher en attendant leur tour… 

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata, Acte II, Tableaux 2. Photo : (c) Opéra national de Paris/Elisa Haberer

Il eut mieux valu d’ailleurs qu’il restent ainsi, car lorsqu’ils se mettent à bouger, c’est pour voir apparaître une guirlande noire de choristes serrés comme des sardines sur le praticable et le grand escalier qui y accède, tandis qu’au pied de ce dernier, les inévitables travestis qui « font si modernes » envahissent l’avant-scène réunissant six bohémiennes barbues (merci Conchita Wurtz, vainqueur de l’Eurovision de la chanson 2014) et autant de toreros aux courbes féminines.

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Diana Damrau (Violetta), Ludovic Tézier (Giorgio Germont), Acte II, Tableau 1. Photo : (c) Opéra national de Paris/Elisa Haberer

Dans les vastes espaces ainsi aménagés au sein d’éléments de décors plus ou moins laids, les mouvements se font lourds et la direction d’acteur se réduit forcément au service minimum. Les chanteurs font ce qu’ils peuvent, noyés dans cette surface quasi sidéral, entrées et sorties leur demandant de longues odyssées à travers le plateau. Cette production vaut principalement pour son troisième acte, grâce à la belle performance dramatique et vocale de Diana Damrau, bouleversante de bout en bout, certes, mais qui se libère peu à peu au cours des actes comme si elle cherchait (judicieusement) à se préserver pour l’acte final. A ses côtés, l’Alfredo manquant de charisme à la voix légère et tendue mais manquant de chair de Francesco Demuro. Face au couple d’amants, l’extraordinaire Germont-père de Ludovic Tézier, impérial dans ce rôle peu flatteur pour la gente masculine auquel il donne noblesse et grandeur de sa voix suprêmement chantante et gorgée de lumière. 

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata, Acte II, Tableau 2. Photo : (c) Opéra national de Paris/Elisa Haberer

Les seconds rôles sont tenus de façon idoine, particulièrement la Flora d’Anna Pennisi, l’Annina de Cornelia Oncioiu, le Gaston de Gabriele Mangione et le Grenvil de Nicolas Testé. Les chœurs sont bien tenus, et il convient de saluer l’absence de décalages – il faut dire que la mise en scène serre leurs rangs au point d’en faire une entité pour le moins compacte. Si l’orchestre fait lui aussi un sans-faute, bien coloré et ne couvrant pas les chanteurs, il convient de l’en féliciter, car la direction de Daniel Oren – directeur musical désigné de l’Opéra d’Israël, où il succède à David Stern – est envahissante, avec force gestes amples et appuyés jusqu'à la caricature, au point de gêner l’écoute et rythmiquement molto pesante, faisant excessivement ressortir les houm-pa-pa caractéristiques de la première maturité de Verdi dont La Traviata est l’un des joyaux.

Bruno Serrou


1 commentaire:

  1. Avez-vous vu la version particulièrement glauque réalisée à Bruxelles en 2013 ? Avec les prostituées seins nus, la pédophilie à peine suggérée et la fellation dans un décor de containers ? Je crois que j'aurais de loin préféré l'Opéra de Paris !

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