vendredi 14 juin 2013

La « Songplay » "I Was Looking at the Ceiling…" de John Adams au Châtelet, un tremblement de terre qui fait pschitt, malgré la subtile mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti

Paris, Théâtre du Châtelet, mardi 11 juin 2012

John Adams, Iwas Looking at the Ceiling... Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Après El Nino en 2002 et Nixon in China en 2012 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/04/coup-de-vieux-pour-nixon-in-china-de.html), en attendant The Flowering Tree en mai 2014, le Théâtre du Châtelet poursuit son exploration de l’œuvre de l’Américain John Adams (né en 1947) avec une nouvelle production de l’opéra « actualité »-comédie musicale I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky (Je regardais le plafond et soudain je vis le ciel) mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti. 

Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Créé en 1995 sur un livret de la poétesse d’origine jamaïcaine June Jordan, cette œuvre décrit à chaud l’avant et l’après immédiats de sept jeunes américains de milieux et de conditions divers - exilée latino sans papier, délinquant, pasteur et étudiante noirs, flic gay, journaliste voyeuriste WASP (1), avocat d’origine vietnamienne - tremblement de terre de Northridge qui détruisit moins d’un an plus tôt une partie de la ville de Los Angeles. « Cette partition minimaliste est très difficile à exécuter, comme toutes les partitions d’Adams », constate Alexander Briger, chef d’orchestre australien pourtant aguerri en matière de musique contemporaine. Associant jazz, gospel, rock, pop, elle réunit dans la fosse huit musiciens qui jouent d’instruments populaires (batterie, contrebasse/guitare-basse, guitare-électrique/acoustique, clarinette/clarinette basse, saxophone alto/ténor, 3 synthétiseurs) sans jamais improviser, tout en en donnant l’impression. A l’instar des instrumentistes, les chanteurs, bien que de tradition classique, doivent être capables de jouer et chanter dans l’esprit du jazz et du rock, « donc donner l’impression d’improviser tout en sachant lire la musique, ce qui n’est pas si répandu », convient Briger.

John Adams (né en 1947)

Depuis Nixon in China, John Adams se plait à collaborer avec son compatriote Peter Sellars. C’est avec le metteur en scène que le compositeur a conçu l’essentiel de son œuvre scénique. I Was Looking… ne fait pas exception. Créée le 13 mai 1995 à la Zellerbach Playhouse de l’Université de Californie à Berkeley, la production incunable de cette œuvre a été donnée à Paris, Théâtre de Bobigny, MCC93 en 1995, quatre ans après la première française de leur Nixon in China

Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Ni opéra, ni comédie musicale, ni classique, ni pop, mais tout cela à la fois et d’obédience minimaliste, cette « Songplay » enchaîne les numéros sans transition ni modulation, enchâssant  vingt-trois chansons sans rapports les unes avec les autres et d’inspiration diverses (gospel, rythmes latino-américains, hard blues rock, crooner, hard rock, cool jazz, free jazz, rock’n’roll, funk, swing, bebop, ballade, blues, scat, hard rock…) mais qui constituent par leur seul enchaînement une véritable intrigue. L’on y trouve pêle-mêle Supertramp, Steve Wonder, Joe Cocker, Thelonious Monk, Herbie Hancock, Whitney Houston, Queen, fondus dans le minimalisme adamsien et curieusement associé à Witold Lutoslawski… Bref, l’œuvre parfaite pour l’actuel Théâtre du Châtelet, qui pratique assidument le genre cross over, au grand plaisir d’un public d’inconditionnels.

Le tremblement de terre de Northridge à Los Angeles (1994). Photo : DR


Si l’on admire le savoir-faire et la concentration des musiciens dans la fosse, qui se contentent pourtant d’égrainer ce qui ressemble à un catalogue édulcoré de genres musicaux, et l’engagement des chanteurs, tous sonorisés, il faut avouer que le spectacle tient uniquement par ce qui est donné à voir. Giorgio Barberio Corsetti signe une mise en scène magistrale, rehaussée par une scénographie qu’il a conçue avec Massimo Troncanetti faite de simples blocs figurant des bâtiments - le moment du tremblement de terre est impressionnant - continuellement repeints en fonction du lieu de l’action (immeubles, église baptiste, hôpital, tribunal, prison, ruines), de couleurs vives et d’images mouvantes réalisées par le vidéaste Igor Renzetti, le tout remarquablement éclairé par Marco Giusto. La direction d’acteur fait que l’on croit volontiers aux mésaventures des personnages. Il fallait bien cela pour faire tenir cent-trente minutes de rang le spectateur dans son fauteuil (plusieurs sièges se sont vidés à l’entracte), tant l’action est saturée de bons sentiments et de clichés, et la musique n’accroche guère, restant continuellement dans la demi-teinte, n’osant pas être franchement ce qu’elle veut être, ni véritablement pop, ni vraiment rock, moins encore free jazz, ni réellement improvisée, ni proprement savante, ni même minimaliste…

Bruno Serrou

1) White Anglo-Saxon Protestant

1 commentaire:

  1. Quel courage d'être resté jusqu'au bout!!!
    Moi j'ai vu la production de Sellars à Bobigny et je suis sorti avant même l'entre acte... Pourtant j'aime bien les autres grands opéras de Adamas et je trouve la pièce avec l'arbre magistrale (vu à Wien pour l'année Mozart).
    Malgré l'amour que je peux porter à Giorgio (qui avait mis en scène Le Luthier à l'époque) je n'ai pas fait le déplacement pour cela...
    ciao
    Gualtiero

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