Paris. Théâtre du Châtelet. Samedi 1er février 2020
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Depuis le 17 octobre 2019, le peuple chilien fait face à une féroce répression. Le Chili semble en effet plonger de nouveau, après presque trois décennies de retour à la démocratie, aux pires jours du régime dictatorial du général Augusto Pinochet (1973-1990). L’ultra libéralisme de ce dirigeant auto-désigné a conduit à la paupérisation extrême du peuple chilien au profit d’un petit nombre d’oligarques, jusque dans l’enseignement qui est extrêmement cher, des classes de primaire à l’université, les établissements les plus qualifiés étant financièrement inaccessibles au commun des mortels.
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Pérennisées par l’arrivée en 2018 du président Sebastian Pinera qui a donné carte-blanche aux militaires et à la police, les inégalités de plus en plus saillantes dans le pays ont conduit à une situation sociale singulièrement tendue. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été une augmentation du prix des transports en commun dans la capitale chilienne, Santiago, ce jour d’octobre 2019. Le pays a été déclaré en état d’urgence le 19 octobre 2019. Un Chilien sur deux gagne moins de 450€ par mois, tandis qu’un pour cent des Chiliens les plus riches concentreraient 26,5 % du produit intérieur brut. Le bilan provisoire arrêté fin décembre 2019 s’élèverait à 26 morts dont un enfant, 3557 blessés et plus de 5000 arrestations, parmi elles 1496 ont subi des tortures, dont 207 viols, femmes, hommes, adolescents et enfants confondus. Plus encore qu’en France durant les manifestations des gilets jaunes, les lésions oculaires irréversibles sont nombreuses, avec plus de 350 victimes.
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Depuis ce même mois d’octobre, la diaspora chilienne organise dans le monde entier des manifestations de solidarité, généralement non loin des représentations chiliennes à l’étranger (ambassades, consulats), notamment à Paris, mais aussi dans d’autres villes de France.
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Après plusieurs manifestations de soutien dans les rues de Paris, les associations de Chiliens vivant en France, Solidarité Chili France et le collectif IMPACT CHILI, ainsi qu’Amnesty International France-Amériques, ont organisé samedi 1er février 2020 une journée de soutien au peuple chilien « dans ses demandes de dignité, d’égalité et de solidarité, et d’amplifier l’élan de solidarité internationale pour le respect des Droits de l’Homme, dans un pays qui le bafoue et face à un gouvernement qui nie l’évidence. » Cette journée de solidarité autour du monde de la culture et, en particulier de la musique et du cinéma - deux modes d’expression artistique particulièrement efficients dans la lutte du peuple chilien, la première avec les chants de résistance entonnés durant les manifestations, le second pour témoigner au monde de ce qui se passe actuellement au Chili grâce notamment au collectif de cinéastes et de vidéastes OjoChile -, s’est déroulée au Théâtre du Châtelet, et a attiré plus de 1700 personnes, en l’espace de huit heures, de 14h30 à 22h30.
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Une organisation remarquable, assurée par une équipe de plus d’une centaine de bénévoles, et la participation de plus de soixante intervenants, cinéastes, peintres, journalistes, musicologues et de musiciens classiques, jazz, traditionnelles et populaires, autour de concerts, de rencontres, de réflexions et d’échanges. Ont été proposées huit heures de projections, concerts, installations, expositions de peinture, performances, trente-cinq choristes et musiciens du Chœur Saint Michel d’Orgue, dix artistes des Souffleurs, Commandos Poétiques, onze danseuses du Collectif Cuerpo Acción. La Performance de LAS TESIS sur la Place du Châtelet, a réuni plus de cinquante femmes qui scandaient El violador eres tú (Le violeur c’est toi) face à des Parisiens curieux et attentifs, et deux passionnants débats, l’un consacré à Musique et Résistance avec les compositeurs Philippe Hurel et Sebastian Rivas et les musicologues Delphine Grouès et Laurent Feneyrou, et animée par le signataire de ces lignes Bruno Serrou, l’autre à Image et Résistance avec Michèle Arrué, spécialiste de cinéma et histoire de la Cône sud, Sylvie Blocher, artiste, Carmen Castillo écrivaine et cinéaste, et Patrice Loubon commissaire d'exposition, galerie NegPos, animée par le programmateur critique de cinéma Miquel Escudero Dieguez.
Maria-Paz Santibanez. Photo : DR
La grande animatrice de cette journée a été la pianiste de renom international Maria-Paz Santibanez. Particulièrement sensible à ce qui se passe dans son pays, elle-même victime de la répression sous la dictature de Pinochet lorsqu’elle était étudiante à l’Université de Santiago, passant près de la mort en 1987 après qu’un policier lui eût tiré une balle dans la tête deux ans avant la fin de ses études de concertiste, ce qui l’obligea à tout recommencer pour retrouver ses aptitudes pianistiques en Tchéquie puis en France à l’Ecole normale de musique de Paris. Depuis lors, elle est particulièrement engagée sur le plan politique et social. Au point qu’en 2014, l’ex-présidente du Chili Michelle Bachelet, l’a nommée Attachée culturelle auprès de l’ambassade du Chili à Paris, fonction qu’elle a occupée jusqu’à la fin du mandat présidentiel de Mme Bachelet en 2018. « Trente ans plus tard, constate Maria-Paz Santibanez, dire que la situation est presque la même est un cauchemar que nous ne pensions pas possible, mais il l’est ! »
Maria-Paz Santibanez, Nicolas Tzortzis, Esteban Benzecry et Cristina Vilallonga (de gauche à droite). Photo : DR
Tout aussi engagée dans la création contemporaine, Maria-Paz Santibanez a passé pour l’occasion la commande d’une œuvre collective pour piano et casseroles (ustensiles utilisés en masse par les manifestants) intitulée Impact : tes yeux, tes droits à huit compositeurs, le Franco-Argentin Esteban Benzecry, le Français Philippe Leroux, le Catalan Hector Parra, les Chiliens Marco Pérez-Ramirez et Macarena Rosmanich, le Grec Nicolas Tzortzis, la Catalane Cristina Vilallonga et le Chilien Patricio Wang. Seuls trois d’entre eux ont pu être prêts dans les temps impartis, Cristina Vilallonga avec Hierve la noche, toque de queda (La nuit bouillante, couvre-feu), Nicolas Tzortzis avec Réportage et Esteban Benzecry avec Ojos (Yeux), trois pièces qui plongent pleinement dans la révolte et l’injustice qui emportent actuellement le Chili. Les cinq autres pièces seront honorées peu à peu, l’ensemble de l’œuvre étant programmée en Europe et en Amérique latine, à commencer par le Royaume-Uni. Avant ces trois morceaux du collectif, Maria-Paz Santibanez a ouvert son récital sur une autre création mondiale, Sirilla chilota (para Ilorar los ojos mutilados de Chile) (Sirilla chilota, pour pleurer les yeux mutilés du Chili) du Chilien Eduardo Caceres, suivie de deux Préludes (Ce qu’a vu le vent d’ouest, clin d’œil au vent qui emporte vers l’Europe les échos des souffrances des Chiliens, et La terrasse des audiences au clair de lune), deux pages de Claude Debussy, compositeur dans lequel la pianiste chilienne excelle de façon exceptionnelle.
Didier Meu (contrebassiste de l'Ensemble Court-Circuit). Photo : DR
Un musicien de l’Ensemble Court-Circuit, le contrebassiste Didier Meu, s’est littéralement confronté à l’inénarrable La musique adoucit les sons de Jacques Rebotier, tandis que le Duo Barocco-Tango constitué du violoncelliste David Louwerse et du bandonéoniste Guillaume Hodeau ont donné deux pages d’Astor Piazzolla, Tango Remenbrances arrangé par le violoncelliste états-unien Yo-yo Ma, et un Grand Tango.
Patrick Messina (clarinette). Photo : DR
Le premier concert de la journée a réuni le clarinettiste Patrick Messina et le pianiste David Abramovitz dans des pièces de compositeurs états-uniens (pays qui soutient les dictateurs chiliens avec une constance consternante), Samuel Barber, Aaron Copland et George Gershwin, le pianiste Jean-Louis Callard dans un programme virtuose, le premier mouvement de la Ve Symphonie de Beethoven arrangée par Franz Liszt et le Troisième Moment musical de Serge Rachmaninov, enfin la pianiste Aline Piboule dans un récital de musique française du XXe siècle, la compositrice qui l’on commence à redécouvrir Mel Bonis, deux pages de Maurice Ohana et un arrangement du finale de La Mer de Claude Debussy par Yann Ollivo, que la pianiste a exaltés de ses sonorités d'une richesse harmonique impressionnate.
Bruno Serrou
Je présente mes excuses pour la faute d'orthographe dans le titre de l'article qu'il m'est hélas impossible de corriger sans risquer le blocage de l'accès, le lien étant automatiquement corrigé donc inaccessible par un clic sur un lien déjà largement diffusé. Lire donc :
"Impressionnant succès pour la journée de solidarité au peuple Chilien organiséE par le collectif IMPACT CHILI Théâtre du Châtelet"
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