samedi 21 janvier 2023

L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et son directeur musical Aziz Shokhakimov ont créé l’événement à Paris avec une 3e Symphonie de Mahler de feu

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 20 janvier 2023

Aziz Shokhakimov, Ingrid Roose, Anna Kissjudit, le cor de postillon solo au nom non communiqué, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Choeur d'enfants et de femmes de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est une extraordinaire Troisième Symphonie de Gustav Mahler que  l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et son jeune directeur musical Aziz Shokhakimov ont offert au public parisien venu en nombre ce vendredi à la Philharmonie de Paris.

Aziz Shokhakimov et l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Photo : (c) Nicolas Rose

La phalange rhénane et son chef ouzbek ont offert une interprétation de feu dirigée d’un geste ample, précis, énergique et respirant ample, pour imposer vision onirique et sans pathos. La totalité des pupitres strasbourgeois sont à saluer tant leurs couleurs, leur justesse, leur homogénéité, leur fondu ainsi que la rigueur et le naturel des reliefs ont été exceptionnels.

Photo : (c) Nicolas Rose

Conçue en 1895-1896, cette Troisième Symphonie en ré mineur est la plus longue de toutes les partitions de Mahler, avec ses cent dix minutes de développement réparties en six mouvements, qui constituent en fait deux parties, le mouvement liminaire ayant à la fois la dimension et la structure d’une symphonie entière. Originellement conçue en sept mouvements (le septième sera intégré à la symphonie suivante), cette œuvre immense plonge dans la genèse de la vie terrestre, avec un morceau initial qui conte l’émergence de la vie qui éclot de la matière inerte, magma informe aux multiples ramifications et en constante évolution, et qui contient en filigrane la seconde partie entière. Cette dernière évolue par phases toujours plus haut, les Fleurs, les Animaux, l’Homme et les Anges, enfin  l’Amour. Le royaume des esprits ne sera atteint que dans le finale de la Quatrième Symphonie, originellement pensé comme conclusion de cette Troisième.

Photo : (c) Nicolas Rose

Du chaos initial jusqu’aux déchirements de l’amour qui conclut la symphonie en apothéose sur des martellements épanouis de quatre timbales comme autant de battements de deux cœurs humains épris l’un de l’autre et transcendés par l’émotion, l’évolution de l’œuvre a été admirablement construite, y compris les diverses séquences qui s’enchevêtrent dans le Kräftig, Entschienden initial qui sont trop souvent sèchement différenciés, ce qu’a su éviter avec magnificence le jeune chef ouzbek Aziz Shokhakimov en donnant à cette première partie de la symphonie unité et équilibre à ce matériau polymorphe qui, sous sa direction, va sous s’épanouissant vers un même objectif lui instillant un élan porteur en germes de l’extraordinaire expressivité des mouvements suivants, menuet inclus, dans lequel Mahler entendait ménager une plage de repos après les déchirements et les soubresauts qui précédent. Le somptueux scherzo avec cor de postillon obligé dans le lointain était magnifique d’onirisme, avec les bois gazouillant avec une fraîcheur communicative et une section des cors se délectant à dialoguer avec leur confrère placé dans la coulisse dans de délicieux pianissimi. L’émotion atteignait une première apnée dans le Misterioso du lied O Mensch sur un poème extrait de la quatrième partie de l’Also sprach Zarathoustra de Friedrich Nietzsche, avec un orchestre grondant dans le grave avec une infinie douceur enveloppant la belle voix charnelle et tendre de la mezzo-soprano hongroise Anna Kissjudit, et conduisant à la joie des Anges sur un poème extrait du Knaben Wunderhorn confiée aux seules voix de femmes et d’enfants de l’excellent Chœur de l’Orchestre de Paris. Enfin, l'immense crescendo final, "Langsam. Ruhevoll. Empfunden" (Lent. Calme. Profondément senti), où Aziz Shokhakimov atteint le comble de l’émotion dans une plage confondante de beauté tour à tour contenue et exaltée, ménageant un impressionnant crescendo d'une demie heure venu des abysses de la terre qui conduit à la plénitude de l’amour conquis de haute lutte, entre doutes et passions. Il faiudrait siter les noms de tous les pupitres, à commencer par les premiers d'entre eux e dire un mot sur chacun d'eux tant ils ont été vaillants et irréprochables, mais l'instrumentarium réuni par Mahler est trop riche pour une énumération... Limitons nous nommer la premier violon solo, Charlotte Juillard, la cheffe d'attaque des seconds violons, Anne Fuchs, le premier alto, Alexander Somov, le premier violoncelle, Fabien Genthialon, la première contrebasse, Stephan Werner, la première flûte, Anne Clayette, le premier hautbois, Samuel Retaillaud, la premièrte clarinette, Jérémy Oberdorf, le premier basson, Rafael Angster, le premier cor, Nicolas Ramez, la première trompette, Vincent Gillig, le premier trombonne, Nicolas Moutier, le tuba, Micaël Cortone D'Amore, les timbaliers Denis Riedinger et Clement Losco, et la première harpe, Manon Louis... Il est indéniable que l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg s’est situé ce vendredi soir au sommet de la hiérarchie des formations symphoniques internationales. 

Anna Kissjudit, Aziz Shokhakimov, Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Photo : (c) Nicolas Rose

Une soirée à marquer d’une pierre blanche. Ce qui démontre s’il en est encore besoin que nous avons en France d’excellentes formations symphoniques en régions ! Si seulement les édiles en avaient conscience et ne s’autorisaient pas de saboter pour cause d’élitisme ce qu’ils ont de meilleur dans le domaine culturel qu’ils confondent avec celui du divertissement…

Orchestre Philhamonique de Strasbourg, Choeur d'enfants et de femmes de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Dans une salle comble, le public a malheureusement applaudi chaque mouvement, empêchant de ce fait le chef d’enchaîner les cinq morceaux de la seconde partie de la symphonie comme le prévoit la partition.

Bruno Serrou


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