Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 13 et mardi 14 janvier 2025
Pour les dix ans de son inauguration le 14 janvier 2015, la Philharmonie a
invité le London Symphony Orchestra et son chef émérite à vie Sir Simon Rattle,
qui apprécie particulièrement la grande salle parisienne au point d’avoir
souhaité un lieu comparable à Londres à l’époque où il était directeur musical
de la phalange londonienne (2017-2023), pour deux concerts qui auront attiré la
foule des grands jours. La première des
deux soirées a présenté trois partitions qui sont autant d’indiscutables
chefs-d’œuvre signés de trois grands « B » de l’histoire de la
musique dont deux de nos contemporains, Johannes Brahms, Pierre Boulez et George
Benjamin, tandis que la seconde était plus diversifiée, avec deux pages de
compositeurs britanniques des XXe et XXIe siècles, Michael
Tippett et Mark Anthony Turnage, associés à un quatrième « B » en la
personne de Beethoven…
Admirateur de Pierre Boulez (1) à qui il a consacré l’un de ses CD pédagogiques à l’époque où il était le directeur musical du City of Birmingham Symphony Orchestra, Sir Simon Rattle, qui vient de se voir attribué le Prix de la Fondation Ernst von Siemens pour la musique 2025 qu’avait également reçu Pierre Boulez en 1979, a ouvert son premier programme sur l’une des pièces les plus significatives du fondateur de l'IRCAM dans le cadre de son centenaire. Il a choisi le scintillant Eclat pour quinze instruments répartis sur l’ensemble du grand plateau de la Philharmonie. Créé le 26 mars 1965, jour du quarantième anniversaire de son auteur, à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), celle-là même où enseigna Arnold Schönberg de 1936 à 1944, par des membres du Los Angeles Philharmonic Orchestra dirigé par Boulez en personne, Eclat se fonde sur la résonance et son hétérogénéité, réunissant des instruments aux sonorités aux coloris variables, très courtes et feutrées, comme la guitare et la mandoline, jusqu’aux plus longues et amples, comme le piano ou les cloches-tubes, et sur la fulgurance, jouant de la virtuosité la plus éblouissante jusqu’au temps suspendu. Cette œuvre de moins d’une dizaine de minutes est écrite pour flûte, cor anglais, trompette, trombone, vibraphone, glockenspiel, cloches tubes, harpe, célesta, piano, cymbalum, mandoline, guitare, alto et violoncelle se verra associée une seconde partie en 1966-1970, réalisée pour vingt-cinq instruments, la partition se présentant dès lors sous forme de diptyque intitulé de Eclat/Multiples dont la création a été donnée à Londres le 21 octobre 1970, chacun des volets pouvant être joué indépendamment l’un de l’autre. Dans l’enceinte de la Salle Pierre Boulez, Eclat a sonné clairement, les quinze membres du London Symphony Orchestra prenant un évident plaisir à faire sonner leurs instruments avec délectation, Simon Rattle donnant à l’ensemble de l’exécution une suave sensualité.
En création française, le LSO, Simon Rattle et, en soliste, Barbara Hannigan ont offert en présence de l’auteur les magistraux Interludes and Aria conçus par George
Benjamin (né en 1960) - Pierre Boulez célébrait son « oreille fabuleuse »
(2) -, à partir d’extraits orchestraux suivis
d’une aria pour soprano et orchestre de
l’opéra Lessons of Love and Violence (voir
https://brunoserrou.blogspot.com/2023/10/le-poignant-opera-lessons-in-love-and.html)
avec l’extraordinaire Barbara Hannigan, authentique chef-d’œuvre du théâtre lyrique du XXIe siècle,
d’une force implacable sur l’amour, le pouvoir, leur violence, les renoncements
qu’ils suscitent. Les extraits sélectionnés par le compositeur pour cette suite
de concert tirée de l’opéra éponyme permettent de goûter avec délectation
l’écriture orchestrale fascinante du compositeur britanoique, ainsi que son art
de la vocalité dans l’aria confiée au personnage d’Isabel, surtout
interprété par l’éblouissante cantatrice cheffe d’orchestre canadienne, qui
chante ces pages avec un naturel confondant et un plaisir particulièrement
communicatif.
En seconde partie de ce premier
concert, Simon Rattle et le LSO ont donné l’ultime chef-d’œuvre symphonique de
Johannes Brahms, la Quatrième Symphonie
en mi mineur op. 98 d’une beauté
sonore admirable, magnifiée par les timbres ronds et fruités de tous les
pupitres de cette remarquable phalange avec laquelle Pierre Boulez se plaisait
à se produire tellement il était convaincu par les qualités intrinsèques de
chacun des pupitres de la formation britannique, qui lui avait offert pour ses
soixante-dix ans en 1995 une tournée mondiale, dont une série de concerts Salle
Pleyel à Paris. Mais aussi somptueuse soit-elle, cette interprétation m’est
apparue peu évocatrice, le chef britannique restant dans la démonstration et le
plaisir de l’ouïe, sa conception manquant de lyrisme au profit de la virtuosié. En bis,
orchestre et chef ont offert une Danse
hongroise du même Brahms.
Le second concert a été l’inverse du premier, le moment le plus attendu de la soirée étant pour ma part étant la seconde partie. En effet, structuré de la même façon que le premier, la musique de notre temps précédant l’œuvre classico-romantique, ce sont deux compositeurs britanniques des XXe et XXIe siècles qui ont ouvert le programme. Mais, si avec Sir George Benjamin, c’est le meilleur de la musique du Royaume-Uni qui a été donné à entendre, avec Sir Michael Tippett et surtout Mark Anthony Turnage, né la même année que Benjamin, ce fut moins convaincant. Tandis que la seconde partie était entièrement occupée par le chef-d’œuvre concertant de Ludwig van Beethoven, la Concerto pour piano et orchestre n° 4 en sol majeur op. 58 de 1805-1806, avec en soliste un fabuleux Krystian Zimerman, qui en a donné une interprétation de rêve, d’une plénitude absolue - le Rondo vivace final d’un élan solaire -, avec en sus une variation sur Happy Birthday à la fin de la cadence de l’Allegro moderato initial pour célébrer les dix ans de la Philharmonie, tandis que la totalité de l’exécution durant, un dialogue d’une homogénéité confondante entre le piano et l’orchestre trahissait l’entente cordiale qui lie le chef et le soliste, qui a donné en bs une pièce de Claude Debussy et le finale de la Sonate n° 3 de Frédéric Chopin.
En première partie, la suite de quatre Danses rituelles de Sir Michael Tippett (1905-1998) extraites du deuxième acte de l’opéra The Midsummer Marriage (Le mariage de la Saint-Jean, 1947) créées le 13 février 1953 par l’Orchestre de Chambre de Bâle dirigé par Paul Sacher, un long, très long tunnel d’un concerto pour guitare électrique avec deux mouvements lents sans reliefs sur cinq (Brooklyn Blues et Aria qui se suivent) de Marc-Antoine Turnage (né en 1960), présent avec son chapeau vissé sur le crâne, ce qui fait qu’en deux jours le London Symphony Orchestra a donné à entendre aux Parisiens le meilleur (George Benjamin) et le moins bon de la musique contemporaine du Royaume-Uni. Il semblerait que le dédicataire interprète de cette création mondiale du Concerto pour guitare « Sco » de Mark Anthony Turnage, commande conjointe du London Symphony Orchestra, de la Philharmonie de Paris et de celle de Luxembourg pour les soixante-dix ans de Sir Simon Rattle, le jazzman John Scofield, que j’avoue avoir découverte durant ce concert, qui a donné la première moitié de son patronyme au titre de l’œuvre, Sco. De fait, la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris était comble, et l’écoute de grande qualité, le public étant de toute évidence constituée de connaisseurs - aussi, je présente à ces derniers les humbles excuses du béotien que je suis de toute évidence.
Bien qu’écrite pour grand orchestre, avec ajout
d’un saxophone soprano et d’une guitare basse électrifiée, le son amplifié de
la guitare solo électrique (ou lead guitar) écrase quasi continuellement
l’orchestre, qui appartient trop clairement à un autre univers qui se confronte
à celui du soliste électrifié pour qui plusieurs passages sont laissés à son
inspiration du moment, le compositeur n’ayant écrit pour lui dans plusieurs
séquences que l’indication « Solo », John Scofield contrairement à
toute attente, lui qui fut le partenaire de Gerry Mulligan, Chet Baker et
Charles Mingus, apparaissant comme tétanisé au moment où Turnage lui offre des
plages d’improvisation.
Bruno Serrou
1) https://youtu.be/fBVvUQXRY7k
2) A propos de Pierre Boulez, George
Benjamin déclare dans les colonnes du quotidien britannique The Guadian daté mercredi 8 janvier
2025 : « Sa musique a une sensibilité et un style très particuliers.
Ses œuvres sont d’une extrême beauté et précision. Sa production n’est pas
énorme mais la gamme est large. »
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