lundi 20 janvier 2025

Mystique récital de Barbara Hannigan et Bertrand Chamayou Cité de la Musique

Paris. Cité de la Musique. Grande Salle. Samedi 17 janvier 2025 

Barbara Hannigan, Bertrand Chamayou
Photo : (c) Ondine Bertrand / Cheeese

Vivifiant mais trop court concert Barbara Hannigan / Bertrand Chamayou samedi soir à la Cité de la Musique trentenaire réunissant les splendides Chants de Terre et de Ciel composés en 1938 par Olivier Messiaen pour sa femme Justine Delbos à la naissance de leur fils Pascal, suivi du mystique Poème-Nocturne (1911) et du prométhéen Vers la flamme (1914) pour piano d’Alexandre Scriabine, préludant au cycle de neuf mélodies en finnois Jumalattaret (Déesses) (2012) de l’Etatsunien John Zorn (né en 1953), qui, après trois premiers volets convenus, devient plus aventureux par la suite, avec jeux sur les cordes, clusters, sonorités chatoyantes,, ligne de chant plus libre et ornée. L’entente soprano/pianiste est cordiale voire fusionnelle 

Barbara Hannigan, Bertrand Chamayou
Photo : (c) Ondine Bertrand / Cheeese

Il est des récitals de mélodies qui sont de véritables bijoux. L’affiche est si prometteuse sur le papier, tant et si bien que l’on est séduit avant même d’y assister, et le résultat se situe au-delà des espérances, au point de faire oublier à l’auditeur épris d’inouï qu’il écoute des pages plus ou moins conformistes. C’est ce qu’ont offert samedi la merveilleuse soprano canadienne Barbara Hannigan et le génial pianiste français Bertrand Chamayou, même si l’on savait à l’avance que le temps de déplacement pour se rendre sur les lieux du concert allait être beaucoup plus long que le concert lui-même. Malgré l’exigence du programme, qui ne donnait pas dans l’ordinaire de ceux généralement proposés par les têtes d’affiche des Liederabend, la Grande Salle de la Cité de la Musique était fort remplie. Ce qui démontre combien les programmes « grand public » ne sont pas seuls à même d’attirer les foules, y compris avec des divas. C’est en effet avec les Chants de Terre et de Ciel d’Olivier Messiaen (1908-1992) que le duo Hannigan-Chamayou, qui a enregistré l’œuvre au disque (1), a ouvert la soirée. Créé à l’Ecole Normale de Musique de Paris le 23 janvier 1939 par la soprano dramatique Marcelle Bunlet, créatrice des Poèmes pour Mi (1937) et des Harawi  (1946), et le compositeur au piano, ce cycle de six mélodies pour soprano et piano d’une trentaine de minutes a été composé en 1938 sur des poèmes du compositeur, qui évoque ici ses émotions personnelles d’une paternité nouvelle, à l’occasion de la naissance de son fils Pascal, et son intense spiritualité catholique. D’où la présence d’onomatopées, de babillages de nourrisson, d’évocations surréalistes, de questionnements sur la foi, le tout dans un assortiment de mots plus ou moins déconcertant dont la fonction est de donner consistance au chant dans chacun des volets du cycle, Bal avec Mi (pour ma femme), Antienne du silence (pour le jour des Anges gardiens), Danse du bébé-pilule (pour mon petit Pascal), Arc-en-ciel d’innocence (pour mon petit Pascal), Minuit pile et face (pour la mort), Résurrection (pour le jour de Pâques). La voix lumineuse de Barbara Hannigan, portée par son talent naturel d’actrice conversant avec le piano riche en timbre et en nuances de Bertrand Chamayou, a donné de ces Chants toute leur teneur tour à tour badine, extatique, spirituelle, méditative.

Barbara Hannigan, Bertrand Chamayou
Photo : (c) Ondine Bertrand / Cheeese

En guise d’interludes entre deux cycles de mélodies, Bertrand Chamayou a interprété seul de façon admirablement raffinée, faisant sonner son Steinway avec une souplesse tout en exaltant d’amples sonorités toutes en résonances, deux sublimes pièces pour piano seul d’Alexandre Scriabine (1872-1915), le mystique Poème-Noctune op. 61 (1911) et l’extraordinaire Vers la flamme op. 72 (1914).

Barbara Hannigan, Bertrand Chamayou
Photo : (c) Ondine Bertrand / Cheeese

 Rejoint par Barbara Hannigan, tous deux se sont lancés dans le second cycle de mélodies de la soirée, cette fois d’un compositeur vivant, le musicien polyvalent new-yorkais (saxophoniste, clarinettiste, pianiste, claviers électroniques, jazzman, improvisateur, bruitiste, world music, trash, etc., etc., etc.) John Zorn (né en 1953) et ses Jumalattaret (Déesses). Composées en 2012, ces neuf mélodies entourées d’une Ouverture et d’un Postlude, se fondent sur des extraits de l’épopée finlandaise du Kalevala rendue célèbre sous nos latitudes par Jean Sibelius, et chantent la gloire de neuf déesses issues du chamanisme sami. De ce véritable kaléidoscope de divinités, Barbara Hannigan a brossé d’authentiques portraits généreusement différenciés, autant vocalement que théâtralement, en faisant de véritables saynètes d’opéra miniatures, que ce soit les plus convenues, comme les deux premières, ou les plus libres d’inspiration et de témérité (relative), où elle impose sa maîtrise exceptionnelle de la conduite du chant en toutes circonstances, à l’instar du piano de Bertrand Chamayou, qui se libère petit à petit du carcan imposé dès l’Ouverture, pour s’exprimer joyeusement sitôt que le compositeur se fait plus téméraire, jouant des clusters et des cordes dans le coffre du Steinway avec habileté.  

Bruno Serrou

1) 1 CD Alpha Classics, avec Poèmes pour Mi et La mort du Nombre (avec Charles Sy et Vilde Frang)

 

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