Paris. Cité de la Musique. Grande Salle. Samedi 17 janvier 2025
Vivifiant mais trop court concert Barbara Hannigan / Bertrand Chamayou samedi
soir à la Cité de la Musique trentenaire réunissant les splendides Chants de
Terre et de Ciel composés en 1938 par
Olivier Messiaen pour sa femme Justine Delbos à la naissance de leur fils
Pascal, suivi du mystique Poème-Nocturne (1911) et du prométhéen Vers la flamme (1914) pour piano d’Alexandre Scriabine, préludant au cycle de neuf
mélodies en finnois Jumalattaret (Déesses) (2012) de l’Etatsunien John Zorn (né en
1953), qui, après trois premiers volets convenus, devient plus aventureux par
la suite, avec jeux sur les cordes, clusters, sonorités chatoyantes,, ligne de
chant plus libre et ornée. L’entente soprano/pianiste est cordiale voire
fusionnelle
Il est des récitals de mélodies qui
sont de véritables bijoux. L’affiche est si prometteuse sur le papier, tant et si
bien que l’on est séduit avant même d’y assister, et le résultat se situe au-delà
des espérances, au point de faire oublier à l’auditeur épris d’inouï qu’il
écoute des pages plus ou moins conformistes. C’est ce qu’ont offert samedi la
merveilleuse soprano canadienne Barbara Hannigan et le génial pianiste français
Bertrand Chamayou, même si l’on savait à l’avance que le temps de déplacement pour
se rendre sur les lieux du concert allait être beaucoup plus long que le
concert lui-même. Malgré l’exigence du programme, qui ne donnait pas dans l’ordinaire
de ceux généralement proposés par les têtes d’affiche des Liederabend, la Grande Salle de la Cité de la Musique était fort
remplie. Ce qui démontre combien les programmes « grand public » ne sont
pas seuls à même d’attirer les foules, y compris avec des divas. C’est en effet avec les Chants
de Terre et de Ciel d’Olivier Messiaen (1908-1992) que le duo
Hannigan-Chamayou, qui a enregistré l’œuvre au disque (1), a ouvert la soirée. Créé
à l’Ecole Normale de Musique de Paris le 23 janvier 1939 par la soprano dramatique
Marcelle Bunlet, créatrice des Poèmes
pour Mi (1937) et des Harawi (1946), et le compositeur au piano, ce cycle
de six mélodies pour soprano et piano d’une trentaine de minutes a été composé
en 1938 sur des poèmes du compositeur, qui évoque ici ses émotions personnelles
d’une paternité nouvelle, à l’occasion de la naissance de son fils Pascal, et
son intense spiritualité catholique. D’où la présence d’onomatopées, de
babillages de nourrisson, d’évocations surréalistes, de questionnements sur la
foi, le tout dans un assortiment de mots plus ou moins déconcertant dont la
fonction est de donner consistance au chant dans chacun des volets du cycle, Bal avec Mi (pour ma femme), Antienne du silence (pour le jour des
Anges gardiens), Danse du bébé-pilule (pour
mon petit Pascal), Arc-en-ciel d’innocence
(pour mon petit Pascal), Minuit pile
et face (pour la mort), Résurrection (pour
le jour de Pâques). La voix lumineuse de Barbara Hannigan, portée par son talent
naturel d’actrice conversant avec le piano riche en timbre et en nuances de
Bertrand Chamayou, a donné de ces Chants toute
leur teneur tour à tour badine, extatique, spirituelle, méditative.
En guise d’interludes entre deux
cycles de mélodies, Bertrand Chamayou a interprété seul de façon admirablement raffinée,
faisant sonner son Steinway avec une souplesse tout en exaltant d’amples
sonorités toutes en résonances, deux sublimes pièces pour piano seul d’Alexandre
Scriabine (1872-1915), le mystique Poème-Noctune
op. 61 (1911) et l’extraordinaire Vers
la flamme op. 72 (1914).
Rejoint par Barbara Hannigan, tous deux se
sont lancés dans le second cycle de mélodies de la soirée, cette fois d’un
compositeur vivant, le musicien polyvalent new-yorkais (saxophoniste,
clarinettiste, pianiste, claviers électroniques, jazzman, improvisateur, bruitiste,
world music, trash, etc., etc., etc.) John Zorn (né en 1953) et ses Jumalattaret (Déesses). Composées en 2012, ces neuf mélodies entourées d’une Ouverture et d’un Postlude, se fondent sur des extraits de l’épopée finlandaise du Kalevala rendue célèbre sous nos
latitudes par Jean Sibelius, et chantent la gloire de neuf déesses issues du
chamanisme sami. De ce véritable kaléidoscope de divinités, Barbara Hannigan a
brossé d’authentiques portraits généreusement différenciés, autant vocalement que
théâtralement, en faisant de véritables saynètes d’opéra miniatures, que ce
soit les plus convenues, comme les deux premières, ou les plus libres d’inspiration
et de témérité (relative), où elle impose sa maîtrise exceptionnelle de la
conduite du chant en toutes circonstances, à l’instar du piano de Bertrand
Chamayou, qui se libère petit à petit du carcan imposé dès l’Ouverture, pour s’exprimer joyeusement
sitôt que le compositeur se fait plus téméraire, jouant des clusters et des
cordes dans le coffre du Steinway avec habileté.
Bruno Serrou
1) 1 CD Alpha Classics, avec Poèmes pour Mi et La mort du Nombre (avec Charles Sy et Vilde Frang)
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