Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 6 janvier 2025
Superbe et émouvante ouverture de l’année « Pierre Boulez 100 » à la
Philharmonie de Paris qu’il a inspirée par l’Ensemble Intercontemporain qu’il avait
fondé en 1976 dirigé par son directeur musical portant les mêmes prénom et
initiales, Pierre Bleuse, premier chef à occuper cette fonction que le
compositeur n’a pas nommé lui-même, dans un programme somptueux joué avec des
solistes qui ont travaillé avec le maître au sein de l’EIC, Pierre-Laurent
Aimard, Jean-Guihen Queyras,, Sophie Cherrier, Emmanuelle Ophèle, Hidéki
Nagano, Dimitri Vassiliakis, et des plus jeunes, Gilles Durot, Aurélien
Gignoux, Valeria Kafelnikov dans Mémoriale (…explosante-fixe… Originel),
Messagesquisse, la Sonatine pour flûte et piano mis en regard de En blanc et
noir de l’un des maîtres de Boulez,
Claude Debussy, et reflet de l’intérêt porté par le compositeur chef d’orchestre
aux plus jeunes générations, la création mondiale de Nothing Ever
Truly Ends pour ensemble de Charlotte Bray et surtout le grand œuvre du maître
donné avec énergie et onirisme, Répons
réalisé à l’IRCAM, magnifique de magie sonore et d’éclat
Après une conférence de presse organisée dans l’après-midi au ministère de
la Culture présidée par la ministre et présentée par son Commissaire général, Laurent
Bayle, qui fut un proche collaborateur de Pierre Boulez en tant que directeur
de l’IRCAM puis responsable du projet puis de la réalisation de la Philharmonie
de Paris inaugurée le 11 janvier 2015, nombreux ont été les participants à la
première manifestation « Pierre Boulez 100 », donnée par l’Ensemble
Intercontemporain Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Il y aura
dix ans le 11 juin prochain, le chef-d’œuvre de la musique avec informatique en
temps réel qu’est Répons de Pierre
Boulez faisait son entrée dans l’enceinte de la Philharmonie de Paris inaugurée
cinq mois plus tôt, avec l’Ensemble Intercontemporain dirigé par son directeur
musical de l’époque, le compositeur allemand Matthias Pintscher, cinq ans après
que sa prédécesseur Susanna Mälkki l’eût dirigé en présence de Pierre Boulez à
la Cité de la Musique. La genèse de Répons
a commencé en 1979, avec l’arrivée dans les murs de l’IRCAM de la fameuse 4X,
premier ordinateur conçu pour la musique avec transformation du son en temps
réel. Ceux qui ont assisté aux premières exécutions de cette œuvre qui restera
à jamais en l’état de « Work in Progress »,
se souviennent du gigantisme de ce premier ordinateur désormais installé dans
le Musée de la Musique qui se déplaçait dans un énorme camion et qui demandait
une quantité impressionnante d’heures de montage, tandis qu’aujourd’hui, un
simple ordinateur portable suffit…
Le 15 avril 2010, à la Cité de la
Musique, le compositeur assistait ce soir-là assis parmi le public à
l’exécution de sa partition par son Ensemble Intercontemporain, pour lequel il
avait composé cette somptueuse partition réalisée au tournant des années 1980 à
l’IRCAM dont elle est devenue l’un des symboles qu’il avait dirigée à chaque étape
de son évolution de « Work in
progress » dont il disait n’être parvenu qu’à la moitié de sa durée
envisagée, le plan initial prévoyant un développement global sur quatre vingt
dix minutes. Susanna Mälkki était au pupitre. L’œuvre est entrée le 11 juin 2015
dans l’enceinte de la Philharmonie pour les quatre vingt dix ans de son auteur,
en relation avec une exposition réalisée par Sarah Barbedette (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/remarquable-retrospective-pierre-boulez.html).
Répons est le fruit d’une commande de la Südwestfunk de Baden-Baden
pour le Festival de Donaueschingen, où sa première mouture a été créée le 18
octobre 1981 sous la direction du compositeur. L’œuvre est dédiée à Alfred
Schlee pour son quatre-vingtième anniversaire longtemps directeur des Editions
Universal de Vienne, et contient un hommage au mécène Paul Sacher, dont Boulez
utilise les lettres du nom comme partie du matériau sonore. Le titre fait
référence au répons de la musique liturgique médiévale dont le compositeur
reprend l'idée de prolifération à partir d'un élément simple, et de dialogue
entre jeu individuel, les six instruments solistes (deux pianos, harpe,
xylophone, vibraphone, cymbalum) répartis au-dessus du public et autour de
l’ensemble et spatialisés par l’informatique en temps réel à travers six
haut-parleurs, et jeu collectif, l’ensemble instrumental (deux flûtes, deux
hautbois, deux clarinettes et clarinette basse, deux bassons, deux cors, deux
trompettes, deux trombones, un tuba, trois violons, deux altos, deux
violoncelles, contrebasse), uniquement acoustique. Deux autres états de la
partition ont suivi, une version élargie, créée à Londres en 1982, et une
« deuxième version », créée à Turin en 1984. Répons reste inachevé, un inachèvement relatif cependant, car
lorsqu’on parlait de la partition à son auteur, il évoquait la forme de la
spirale, à la fois close et achevée, et toujours en évolution…
Contrairement à ce que faisait souvent
Pierre Boulez qui se plaisait à donner l’œuvre à deux reprises dans la même soirée séparées par
un entracte afin que le public puisse changer de place pour en goûter les
effets acoustiques variable selon l’endroit où l’on est assis, ce qui n’est pas
possible dans une salle de plus de deux mille cinq cents fauteuils, cette
partition d’une cinquantaine de minutes était précédées par trois œuvres de
Pierre Boulez mises en perspective avec une pièce pour deux pianos de l’un de
ses maîtres et une création d’une compositrice de la génération des années
quatre-vingt rappelant combien le maître était aussi un pédagogue soucieux de l’avenir.
Contrairement à la première
expérience de Répons dans la grande salle
de la Philharmonie, où j’avais éprouvé une certaine frustration en raison de
mon placement derrière les enceintes acoustiques, m’empêchant d’écouter l’œuvre
dans les conditions prévues par le compositeur, en tétraphonie (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2015/06/repons-de-pierre-boulez-fait-son-entree.html),
cette fois j’ai pu goûter de façon quasi parfaite, en tout cas sans ressentir
la moindre frustration si ce n’était le fait de ne voir que quatre (harpe,
xylophone, piano, cymbalum) des six instruments solistes relayés par l’informatique
en temps réel, entendant heureusement tourner sans problème le son du second
piano et du vibraphone à travers le matériel de diffusion, ce dont je n’avais
pas pu bénéficier en 2015, les haut-parleurs étant alors implantés devant moi
et non pas derrière, comme cette fois. Les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain jouent cette musique avec
un plaisir évident et une aisance stupéfiante, semblant jouir des résonances
sublimes et éclatantes de l’écriture boulézienne, respirant cette fois large
dans les résonnances en raison d’une spatialisation quasi parfaite des claviers
et cordes frottées et frappées, et de la virtuosité lumineuse des instruments
acoustiques aux sonorités magnifiées par l’acoustique chaude et limpide de la
Philharmonie qui exaltent une sensualité prodigieuse sous la direction à la
fois énergique, précise, souple, claire de Pierre Bleuse, qui s’avère en osmose
totale avec la musique scintillante et éclatante du fondateur de l’ensemble
dont il est le directeur musical.
En première partie de concert, trois œuvres avec solistes
de Pierre Boulez représentant quarante ans de création, de 1946 à 1985. C’est
la plus récente de la trilogie que Pierre Bleuse a commencé le programme, une œuvre
concertante de six minutes pour flûte et huit instruments (deux cors, trois
violons, deux altos et violoncelle), Mémoriale
(…explosante-fixe… Originel), élégie écrite à la mémoire du premier
flûtiste de l’EIC de 1980 jusqu’à sa mort cinq ans plus tard, proche du
compositeur, le Canadien Larry Beauregard (1956-1985). Mémorial, que Boulez a été intégré au cycle …explosante-fixe… qui devait subir quantité de métamorphoses à
partir de la première version de 1972 en écho à la disparition d’Igor
Stravinsky le 6 avril 1971, a été créé le 29 novembre 1985 Théâtre des
Amandiers à Nanterre par Sophie Cherrier dialoguant avec ses collègues de l’Ensemble
Intercontemporain sous la direction du compositeur. Mémoriel reprend le matériau d’Originel
sous forme d’un bloc sonore de sept sons, la forme adoptant « le principe
des interruptions alternatives issu entre autres des symphonies d’instruments à
vent de Stravinsky, écrites à la mémoire de Debussy », comme le précise
une notice de programme du Festival de Lucerne écrite en 2003 par Robert
Piencikowski. Trente ans après sa création par Sophie Cherrier, c'est Emmanuelle Ophèle qui
en a donné le 6 janvier une onirique interprétation, entourée de ses collègues
qui pour la plupart n’avaient pas encore intégré l’EIC.
Messagesquisse, sans doute l’une des œuvres les plus immédiatement
accessibles de Pierre Boulez, du moins pour les auditeurs, répond à une
commande de Mstislav Rostropovitch, qui renonça à jouer la partition, qui sera
créée le 3 juillet 1977 dans le cadre du Festival de La Rochelle par Pierre
Pénassou au pupitre soliste entouré de deux membres de l’Ensemble
Intercontemporain (Philippe Muller et Ina Joost), deux violoncellistes de
l’Orchestre de la Radio Hilversum et deux musiciens de l’Orchestre
Philharmonique de Lorraine. Dans cette œuvre de sept minutes subdivisée en
trois sections d’une force expressive et d’une originalité singulière, la
partie soliste est dupliquée de diverses façons par les six autres violoncelles subordonnés
au leader. Au début de la pièce, les tutti
entrent « en escalier » tel un fugato, chaque nouvel intervenant
imitant la partie principale en écho, puis tenant la note. La musique se
décompose ainsi comme à travers un prisme. Boulez utilise le morse pour créer
un rythme à partir des lettres du nom du mécène Paul Sacher. Ce rythme est
d’abord présenté sur la seule note de mi bémol tel un canon rythmique. Le
violoncelle solo présente des cellules dérivées une à une de Sacher, et les
entrées du rythme du morse correspond au début de chaque nouvelle cellule. Chacune
de ces dernières est décalée par une lettre du nom du dédicataire, jusqu’à ce
que finalement, après avoir présenté toutes les cellules, le violoncelle solo
reprenne le rythme de l’accompagnement des six violoncelles avec une partie
supplémentaire tenant un mi bémol. La partie centrale est d’une énergie et d’un
panache extraordinaires, à donner le tournis, demandant de la part de ses
interprètes une maîtrise technique et une agilité extrêmes. Quarante ans après
sa genèse, Messagesquisse reste une
œuvre d’une originalité singulière, et s’impose toujours davantage comme un référent
absolu. Ce que confirme amplement l’interprétation qu’en a faite Jean-Guihen
Queyras, ex-membre de l’EIC, entouré des deux titulaires actuels, Eric-Maria
Couturier et Renaud Déjardin, et de quatre musiciens supplémentaires, Cyprien
Lengagne, Yi Zhou, Imane Mahroug et Angèle Siracusa, en a donné sous la
direction de Pierre Bleuse une version brillamment chantante et précise,
donnant à l’œuvre la dimension d’un classique.
En écho aux pages de Mémoriel
qui renvoient à Claude Debussy, Pierre-Laurent Aimard, qui fut pendant
dix-huit ans, de sa création en 1976 à 1994, membre de l’Intercontemporain, s’est
associé à Hidéki Nagano, l’un de ses successeurs à partir de 1995, pour jouer
de concert la suite en trois volets constituant le recueil En blanc et noir que Debussy a composé pour deux pianos en 1915 que
les deux pianistes ont inscrit dans sa modernité porteuse d’avenir toute en
abstraction et en résonances polytonales. Aimard était rejoint par Emmanuelle
Ophèle, autre pilier de l’Intercontemporain, pour la célèbre Sonatine pour flûte et piano que Pierre
Boulez composa en 1946 à la suite d’une commande de Jean-Pierre Rampal et
considérait comme sa première œuvre véritablement aboutie, précédant de peu sa Première Sonate, dans laquelle le
compositeur rend hommage à la Symphonie
de chambre op. 9 d’Arnold Schönberg avec son mouvement unique incluant les
quatre parties de la symphonie classique enchaînés sans transition. Les deux
interprètes en ont donné toutes les tensions et les sonorités heurtées qu’ils
ont néanmoins adoucies pour en amoindrir l’agressivité, tout en rendant avec
brio la diversité des intonations, la fusion ou les tensions entre les deux
instruments.
Autre facette marquante de la personnalité de Pierre
Boulez, son intérêt et le soutien actif qui apporta aux jeunes générations de
compositeurs qu’il développa dès les années 1950 dans son enseignement à
Darmstadt puis à l’Académie de Bâle. Pour ce faire, l’Ensemble Intercontemporain
a commandé une œuvre nouvelle à la compositrice britannique Charlotte Bray. Née
en 1982 à High Wycombe dans le Buckinghamshire, violoncelliste de formation,
disciple des compositeurs Mark Anthony Turnage au Royal College of Music de
Londres, d’Oliver Knussen, Colin Matthiews et Magnus Lindberg, elle est
actuellement compositeur en résidence à l’Orchestre de Chambre de Genève jusqu’à
la fin de la saison 2025-2026, elle reçoit des commande de nombre d’institutions,
notamment en France l’Orchestre de Paris, le Festival d’Aix-en-Provence et l’Ensemble
Intercontemporain pour lequel elle a composé pour cette ouverture du centenaire
de Pierre Boulez Nothing Ever Truly Ends pour
grand ensemble (deux flûte, la première aussi flûte alto, la seconde aussi
flûte piccolo, hautbois, aussi cor anglais, deux clarinettes, la seconde aussi
clarinette basse, basson, aussi contrebasson, deux cors, trompette, trombone,
tuba, trois percussionnistes, célesta, harpe, trois violons, deux altos, deux violoncelles,
contrebasse). Très portée sur les problématiques contemporaines comme la
condition des femmes et la terreur islamiste, la compositrice reprend le titre
de cette œuvre d’une dizaine de minutes qui signifie en français Rien ne finit vraiment jamais au livre
de l’écrivain irlandais Colum McCann (né en 1965), American Mother (2023), dans lequel la compositrice puise son opéra
du même titre pour quatre chanteurs et orchestre dont la création est prévue le
31 mai 2025 à l’Opéra de Hagen, et qui conte l’histoire de Diane Foley et sa
lutte désespérée pour son fils prisonnier du groupe terroriste Etat islamique.
La pièce réalisée pour l’Ensemble Intercontemporain se présente comme une
déploration d’où émerge des flashs de lumière émanant du célesta, du
glockenspiel, du cymbalum et de cloches à main. Cette partition séduit dès l’abord
mais finit rapidement par épuiser son énergie et son élan créatif au point de
devenir statique et diffuse, malgré la réalisation irréprochable de l’Ensemble
Intercontemporain magnétisé par Pierre Bleuse.
Le centenaire Pierre Boulez se poursuit ce mardi soir au
Théâtre des Champs-Elysées avec l’orchestre Les Siècles dirigé par Franck Ollu.
Bruno Serrou
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