Paris. Philharmonie. Studio. Jeudi 16 janvier 2025
« Piano x 3 » jeudi soir Studio de la Philharmonie de Paris, avec une trinité réunissant trois générations de pianistes « Heisser », le Père, Jean-François Heisser, père du deuxième professeur du troisième, le Fils, Charles Heisser, fils du premier et élève du troisième, le Saint-Esprit, Jean-Frédéric Neuburger élève du premier professeur du deuxième, dans un récital à trois pianos au programme fort original (Wagner, Feldman, Mozart, Dallapiccola), une création de Neuburger et deux versions du magnétique Concerto pour trois claviers de JS Bach, la seconde avec un finale jazz arrangé par Charles Heisser
Musicien de haut rang, Jean-François
Heisser se fait étonnamment rare à Paris. Pianiste, chef d’orchestre, pédagogue,
directeur de festival, il faut dire que ce brillant musicien est extrêmement actif,
autant comme soliste que comme directeur musical de l’Orchestre de Chambre
Nouvelle-Aquitaine (anciennement Orchestre Poitou-Charentes) et directeur du
Festival de l’Orangerie de Sceau. Tandis que paraît chez Mirare un disque Ravel
dans le cadre du cent-cinquantenaire du maître de Ciboure qu’il dirige et joue
en soliste (1), c’est un tout autre répertoire et avec un dispositif original
qu’il s’est produit jeudi 16 janvier 2025 Studio de la Philharmonie. Trois
pianos joués par autant de pianistes qui ont une histoire et un acquis communs.
En effet, les membres du trio sont affectivement et esthétiquement très proches,
puisqu’il s’agit de filiation à la fois au sens propre du terme et musicalement.
L’aîné, Jean-François Heisser, a pour enfant Charles Heisser dont la mère est
la pianiste Marie-Josèphe Jude, tandis que Jean-Frédéric Neuburger est à la
fois l’un des anciens élèves du père au Conservatoire de Paris avec qui il se
produit régulièrement en concert, et le professeur du fils, également au
Conservatoire de Paris. C’est dire combien les trois artistes se connaissent
bien.
Six mains, trente doigts, deux cent
soixante quatre touches réunies sur trois pianos installés côte à côte, tel
était le dispositif qui entendait emporter les auditeurs d’un soir, parmi
lesquels deux compositeurs de renom, Philippe Manoury et Martin Matalon (2), dans
un univers sonore de la dimension d’un gigantesque piano-orchestre. La gageure,
considérable, était relevée dès le début de ce concert d’une heure avec la transcription
pour trois pianos du prélude des Maîtres
Chanteurs de Nüremberg de Richard Wagner (1813-1883) dont les motifs
conducteurs de l’opéra entier apparaissent en toute clarté et auxquels le trio
a donné avec panache la lumineuse jubilation, l’élan pétulant de vie. Plus heurté,
mais au plus large nuancier et plus dilué dans le temps, Extensions IV du compositeur new-yorkais Morton Feldman (1926-1987),
proche de John Cage, est expressément écrit en 1953 pour trois pianos, John Cage
étant parmi les interprètes de la création le 30 avril 1957 au Carl Fischer
Concert Hall de Manhattan. Initialement composée pour orgue mécanique, la Fantaisie en fa mineur KV. 608, l’une
des œuvres ultimes de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), a suscité l’enthousiasme
de Ludwig van Beethoven pour ses audaces harmoniques d’une extrême difficulté d’exécution,
que la transcription pour trois pianos n’amenuise pas, au contraire, puisqu’elle
permet d’en souligner la complexité de réalisation qui, ici, n’a rien de « mécanique »,
tout en jouant avec cette dernière particularité confiée à trente doigts. Excellant
autant comme compositeur que comme pianiste, Jean-Frédéric Neuburger (né en
1986) a offert au trio T, pour deux
pianos et un clavier, ce dernier, tenu par Charles Heisser, faisant le lien
entre les pianos en mixant leurs sonorités, ce qui engendre un enchevêtrement
harmonique de type spectral et de légers décalages venus du jazz dont Charles
Heisser est un éminent spécialiste. Autre pièce du plus vif intérêt, l’Allegro molto sostenuto de Luigi
Dallapiccola (1904-1976), mouvement initial de la Musica per tre pianoforti « Inni » (Musique pour trois pianos « Hymnes ») composé en 1935 et
créé à Genève le 30 mars 1936 par Luigi Dallapiccola, Nikolaï Orloff et
Jean-Marc Pasche, permet, en dépit de l’écriture pointilliste réservée à chaque
piano, de susciter une polyphonie serrée entre les trois piano jouant ensemble
ou se répondant les uns les autres, les trois interprètes du concert se
plaisant clairement à jouer cette œuvre rare d’un compositeur qui l’est
malheureusement tout autant, du moins en France, peut-être parce qu’il est trop
proche de la Seconde Ecole de Vienne. Mais c’est avec l’absolu chef-d’œuvre qu’est
le Concerto pour trois claviers en ut
majeur BWV 1064 de Johann Sebastian Bach (1685-1750) que le Trio HNH a
conclu son réjouissant programme, retournant au climax enjoué du début du
concert initié par le prélude des Meistersinger.
Heisser-Neuburger-Heisser ont joué cette partition avec un bonheur particulièrement
communicatif, Jean-Frédéric Neuburger au centre tenant le rôle moteur dans l’exécution
luxuriante des trois mouvements, avec un Adagio
somptueusement chantant, tandis que le second Allegro allait être joué deux fois, la première conformément à la
volonté de son auteur, la seconde « improvisée » sous la conduite du jazzman
Charles Heisser qui a eu droit à sa minute d’improvisation avant d’être rejoint
dans la phrase finale par ses deux comparses pour le bonheur du public qui aura
eu le plus grand mal à quitter la salle tant le bonheur des musiciens aura été
communicatif…
Bruno Serrou
1) 1 CD Maurice Ravel avec le Concerto en sol majeur, que Jean-François Heisser dirige
du piano, et les versions orchestrales de Ma
Mère l’Oye, Le Tombeau de Couperin et
Pavane pour une infante défunte.
Mirare MIR582
2) Martin Matalon vient de mettre le
point final à son Concerto pour piano et
orchestre « Trame XV »
commandé par Jean-François Heisser et l’Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine
qui en donneront la création mondiale le 14 mars prochain
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