Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 10 janvier 2025
Programme très court mais intense et varié autour des thèmes et
anniversaires 2025 proposé avec ferveur par l’Orchestre de Paris et son
directeur musical Klaus Mäkelä. Pierre Boulez pour son centenaire d’abord avec
sa fanfare Initiale pour l’inauguration d’un musée à Houston
conçue par son ami Renzo Piano, architecte du Centre Pompidou, tandis que la
Cité de la Musique inaugurée voilà trente ans était réalisée par Christian de
Portzamparc, partie intégrante de la Philharmonie de Paris inaugurée voilà dix
ans, suivie de La Consécration de
la Maison de Beethoven dirigée en « guest star » par Gustavo Dudamel, présent à
Paris avec son Orchestre Simon Bolivar, puis un magnifique Veni Creator (Gloria) de Poulenc célébrant
la Philharmonie avec Klaus Mäkelä et le Chœur de l’Orchestre de Paris avec la
voix colorée d’Elsa Benoit, avant Les
Tableaux d’une exposition de Moussorgski dans l’orchestration de Maurice Ravel, en ouverture du
cent-cinquantième anniversaire de la naissance du maître de Ciboure
Honneur tout d’abord à la personnalité centrale de cette année de célébrations musicales, avec une courte pièce de Pierre Boulez, qui comptait Maurice Ravel, né voilà cent-cinquante ans, parmi ses compositeurs favoris, dirigeant son œuvre pour orchestre avec passion, la programmant très souvent et l’enregistrant à plusieurs reprises dans des interprétations qui sont toutes d’absolues références, et à qui la France en général et Paris en particulier doivent la création entre autres de la Cité de la Musique inaugurée voilà trente ans et de la Philharmonie de Paris, qui a été ouverte au public il y a tout juste dix ans… C’est à l’occasion d’une autre inauguration, celle du musée de la Dominique et John de Menil Collection de Houston conçue par l’architecte Renzo Piano dans la mégapole texane que Pierre Boulez composa sa fanfare Initiale pour septuor de cuivres (deux cors en fa, trompettes en si bémol et trombones, un tuba) répartis en deux groupes créée le 4 juin 1987 par le Choralis Brass, trente-trois ans avant que l’Orchestre de Paris l’inscrive à son répertoire sous la direction de Klaus Mäkelä le 20 janvier 2021. Composée en 1987, révisée en 2010, cette partition de cinq minutes possède les ingrédients, à commencer par son titre qui suggère un geste musical liminaire, pour engendrer un développement, à l’instar de pièces comme Incises ou Notations pour piano. Ce que Pierre Boulez n’aura pas entrepris, ou n’aura pas eu le temps de réaliser. C’est du haut de la Salle qui porte le nom du compositeur, sous les tuyaux extérieurs du grand orgue, que Klaus Mäkelä a dirigé la pièce, les deux trompettes encadrant les deux cors et les deux trombones, le tuba au centre du dispositif.
Tandis que son directeur musical redescendait vers le plateau, l’Orchestre de
Paris lançait sous la conduite du Vénézuélien Gustavo Dudamel, autre chef à
l’énergie sur-vitaminée à l’instar de son cadet finlandais, l’ouverture Die Weihe des Hauses (La consécration de la maison) op. 124 que Ludwig van Beethoven a composée
à Baden en Basse-Autriche durant l’été 1822 pour la réouverture du théâtre viennois
de Josefstadt rénové, où elle a été créée quelques semaines plus tard, le 3
octobre. Beethoven y rend hommage à Haendel dont il adopte clairement le style
dans la fugue finale.
Gustavo Dudamel parti dans les coulisses, Klaus Mäkelä en émergea pour diriger le Chœur et l’Orchestre de Paris dans le Gloria de Francis Poulenc (1899-1963). Une action de grâce au Créateur qui, sans outrage ni déification qui eût conduit Pierre Boulez à rire aux éclats, peut fort bien célébrer sa créativité artistique et institutionnelle, lui qui ne cessa d’initier des projets et de les conduire jusqu’à leur terme, sa musique, certes, mais aussi orchestres (Domaine musical, Ensemble Intercontemporain), centres de recherche et de création (IRCAM), de diffusion (Cité de la Musique, Philharmonie) et de pédagogie (Conservatoire de Paris à La Villette, Musée de la Musique, médiathèque musicale)… Si d’aucuns peuvent s’étonner de la programmation d’une œuvre de Poulenc dans ce cadre de ces célébration de l’œuvre boulézien, c’est oublier combien le compositeur parisien suivait de près l’activité de son cadet d’une demi-siècle et de son Domaine musical dont il était un fervent défenseur comptant parmi les abonnés dès 1953, payant au-delà des tarifs de souscription bien qu’il soit musicalement éloigné de l’avant-garde mais voyant en Boulez un authentique musicien dont l’insolence polémique lui rappelait ses jeunes années au sein du Groupe des Six où il se plaisait à railler Debussy et Ravel qu’il considérait comme des vieilles barbes. Abonné de la première heure aux concerts du Domaine musical, Poulenc affirmait : « Il y a une atmosphère touchante à ces concerts. Toute une jeunesse s’entasse debout aux places à 150 francs. Je ne comprends pas qu’on puisse ignorer un tel courant. » Il a une franche admiration pour Pierre Boulez, dont il suit la carrière avec attention, se rend à Darmstadt pour assister à la création de la Troisième Sonate pour piano, et lorsqu’il écoute la musique de Boulez, il la compare à celle de ses confrères : « Suis-je un con de penser que rien de tout cela ne vaut Soleil des eaux de Boulez ? C’est pourtant mon avis très sincère » (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2018/02/francis-poulenc-ma-musique-est-mon.html).
Longtemps éloigné de la foi chrétienne quoique de confession catholique,
Poulenc y retournait à la suite d’une visite du sanctuaire de Rocamadour un jour
de l’été 1936 où il découvrit la célèbre statue de la Vierge noire. Dès lors,
il ne cessa de composer des œuvres d’inspiration religieuse, dont le Gloria, qu’il élabore à la suite d’une
commande de la Fondation Serge Koussevitzky et qui est créée le 20 janvier 1961
par la soprano Adele Addison, le Chœur Pro Musica et l’Orchestre Symphonique de
Boston dirigés par Charles Münch, tandis que la première audition française est
donnée le 14 février 1961 par la soprano Rosanna Carten, les Chœurs René Duclos
et l’Orchestre National de France dirigés par Georges Prêtre. Klaus Mäkelä, l’Orchestre
de Paris et son chœur mixte enrichi de la voix chaleureuse d’Elsa Benoit ont donné de cette œuvre de vingt-cinq minutes
en six parties une interprétation fervente, lui offrant sa part d’intériorité
spirituelle, sa grâce, certes, mais aussi son tour populaire non dénué d’humour,
conformément à ce qu’en disait le compositeur qui avouait avoir « pensé
simplement, en l’écrivant, à ces fresques de Benozzo Gozzoli (1420/1424-1497) où
les anges tirent la langue, et à ces graves dominicains que j’ai vus un jour
jouer au football ».
C’est à travers Modest Moussogski
(1839-1881) et ses Tableaux d’une
exposition que l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä ont ouvert en seconde
partie de concert le cent-cinquantenaire anniversaire de la naissance de
Maurice Ravel, qui vit le jour le 7 mars 1875 à Ciboure, village de la Côte
Basque sur la rive sud de La Nivelle qui le sépare de Saint-Jean-de-Luz. Destinée
par son auteur au seul piano (mais quel piano ! un sublime piano sonnant
tel un orchestre au grand complet), cette partition composée en trois semaines de
juin 1874, moins d’un an avant la naissance de son orchestrateur basque, a été
orchestrée par quantité de compositeurs et d’interprètes. Mais la plus
somptueuse reste celle de l’orchestrateur de génie qu’est Ravel, qui la réalisa
en 1922 peu avant sa création le 19 octobre de la même année à l’Opéra de Paris
par les Concerts Koussevitzky dirigé par leur fondateur et mécène. Il faut dire
que s’agissant d’une déambulation au sein d’une exposition consacrée à Saint-Pétersbourg
au peintre russe Viktor Hartmann (1834-1873), l’œuvre suscite l’émergence d’idées
de couleurs que le piano est certes capable d’évoquer mais que seul l’orchestre
peut en donner ampleur, diversité, contrastes, surtout de la part d’un
coloriste comme Ravel, la seule version « qui vaille en Russie »
assurait le chef d’orchestre Yuri Temirkanov. Le compositeur français, au-delà
de l’orchestre romantique, attribue de nombreux rôles solistes à des instruments
rarement sollicités à ce point, saxophone alto, contrebasson, tuba et harpes,
et élargit la section de la percussion, mettant notamment en évidence célesta,
xylophone, cloches tubes et cloche d’église. La vision ample et somptueusement colorée
de Mäkelä s’appuie avec délectation sur la vaste palette de timbres et de
nuances de son Orchestre de Paris, capable de réaliser une véritable
pyrotechnie, quel que soit le pupitre, des ppp
de velours jusqu’à des fff d’airain,
sans la moindre défaillance. Cette ample partition de trente-cinq minutes se
présente tel un grand poème en dix saynètes soudées par le superbe thème russe
richement harmonisé de la Promenade
qui se présente à quatre reprises dans le cours de l’œuvre. Le chef russe et son
infaillible phalange ont réussi la gageure de donner une vie propre à chaque
tableau grâce au prégnant pouvoir de suggestion de cette exécution d’une énergie
singulière soutenue par une assise rythmique ferme et des sonorités grondantes,
notamment dans Catacombae. Sepulcrum Romanum. C’est à peine s’il
manquait une conception plus grinçante et grimaçante du Ballet des Poussins dans leurs Coques et de la Cabane sur des Pattes de Poule. Les sonorités
« léchées » de l’Orchestre de Paris ont suscité des couleurs pleines
et sensuelles.
Bruno Serrou
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