Paris. Opéra National de Paris-Bastille. Mercredi 12 mars 2025
Au terme de vingt ans de règne de la production de Robert Wilson, l’Opéra de Paris « ose » enfin une nouvelle approche de Pelléas et Mélisande mue par une excellente direction d’acteur de Wajdi Mouawad, et, dans la fosse, la direction poétique d’Antonello Manacorda, particulièrement à l’écoute de ses chanteurs et de son orchestre pour un Pelléas et Mélisande de Claude Debussy musicalement au cordeau. Distribution équilibrée avec les excellents Huw Montague Rendall (Pelléas), Sabine Devieilhe (Mélisande), remarquablement entourés de Gordon Bintner (Golaud), Jean Teitgen (Arkel), Sophie Koch (Geneviève). Direction d’acteur efficace de Wajdi Mouawad, scénographie trash avec cadavres animaliers au pied d’un praticable où s’expriment pour l’essentiel les protagonistes
Dans la musique de Claude Debussy, l’élément liquide est omniprésent, la mer et ses embruns mais aussi la course de la vie et des rêves des êtres sur le plateau et dans la fosse. C’est ce que met en évidence dans Pelléas et Mélisande avec une justesse et une poésie à fleur de peau le chef franco-italien Antonello Manacorda, actuel directeur artistique de la Kammerakademie de Postdam (1) membre fondateur du Mahler Chamber Orchestra avec Claudio Abbado dont il était le premier violon. Chef « omnivore », excellant dans tous les répertoires, du baroque au contemporain, qu’il soit allemand, anglais, français, italien, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra National de Paris, l’une des phalanges qui connaît le mieux les arcanes du chef-d’œuvre de « Claude de France » et qu’il a déjà dirigé dans deux opéras de Mozart, Manacorda exalte avec une impressionnante maîtrise du temps et du son la dimension immémoriale de l’immense partition de Debussy, la déclamation vocale étant transcendée en chant véritable par le flux instrumental digne d’un océan respirant large dans des tempi d’une lenteur judicieuse qui permet à l’auditeur de savourer les délectables sonorités debussystes.
La Mise en scène de Wajdi Mouawad, qui avait signé à Bastille en septembre 2021 une production d’Œdipe de Georges Enesco au sein déjà d’une scénographie d’Emmanuel Clolus (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2021/09/dipe-de-georges-enesco-fait-enfin.html), particulièrement en phase avec le texte de Maeterlinck et au service de la musique de Debussy, est au plus près de l’action, avec une brillante direction d’acteur, particulièrement la violence de Golaud, les élans de Pelléas, le côté éperdu et hors du monde de Mélisande (le finale du quatrième acte est magistral, tandis qu’il ne se passe rien dans la passage où les ovins prennent le chemin de l’abattoir). Pour occuper l’espace, comme c’est trop systématiquement le cas désormais, le metteur en scène fait appel à la vidéo, qui n’apporte pas grand-chose au développement de l’action, certaines images étant en outre empruntées à Bill Viola. Les protagonistes se meuvent le plus souvent sur un praticable placé au-dessous de l’écran, ce qui permet cette scène saisissante de la tour où Mélisande apparaît comme suspendue dans les airs. A ces images onirique répondent des visions cauchemardesques, cela dès le début où tandis que Golaud ère dans la forêt, un monstre hante la scène avant-même le début du prélude, plus tard, à l’avant-scène, des équarrisseurs s’en prennent à la carcasse d’un cheval bientôt rejoint par d’autres carcasses d’animaux puis par le cadavre de Pelléas, qui, à la fin, rejoindra Mélisande libérés tous deux des affres de l’existence terrestre… Le tout ne faisant jamais obstacle à la juste expression de la partition de Debussy.
D’une musicalité étincelante, malgré un timbre manquant légèrement de chair, la soprano française Sabine Devieilhe est une Mélisande particulièrement touchante, bouillonnant de l’intérieur mais toute en fragilité incandescente dans sa robe d’une blancheur immuable. Face à elle, le Pelléas ardent et généreux du baryton britannique Huw Montague Rendall, qui s’impose vaillamment dans ce rôle que ce fils des chanteurs Diane Montague et David Rendall a déjà tenu l’été dernier au Festival d’Aix-en-Provence. Le Golaud perpétuellement en colère du baryton-basse canadien Gordon Bintner n’en est pas moins d’une profonde humanité, tandis que la brillante mezzo-soprano française Sophie Koch est trop clairement sous-employée dans le rôle Geneviève, aux côté de l’excellente basse française Jean Teitgen, qui campe un impressionnant Arkel. Le court rôle du Médecin est parfaitement tenu par Amin Ahangaran, membre de la Troupe lyrique de l’Opéra de Paris, tandis que le petit Yniold est incarné avec allant par le jeune Vadim Majou de la Débutrie, soliste de la Maîtrise de Radio France.
Bruno Serrou
1) Paris retrouvera Antonello
Manacorda, cette fois avec son orchestre brandebourgeois au Théâtre des
Champs-Elysées le 30 avril prochain dans Der
Freischütz de Carl Maria von Weber en version concertante
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