jeudi 20 mars 2025

Le Tonhalle-Orchester Zürich et Paavo Järvi dans une alerte « Rhénane » de Schumann, un espiègle concerto grosso de György Ligeti et une création blafarde de John Adams

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 18 mars 2025 

Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich
Photo : (c) Bruno Serrou

Merveilleuse phalange que le Tonhalle-Orchester Zürich dirigé avec élégance et vivacité par son directeur musical Paavo Järvi, dans une « Rhénane » fluide et flamboyante de Robert Schumann, après un malicieux Concert Roumain de György Ligeti tout de grâce malicieuse, précédant la première française du Concerto n° 3 pour piano et orchestre de John Adams, « After the Fall », monochrome tout en gris aux plans planes et trainant en longueur, par un pianiste, l’Islandais Víkingur Ólafsson, sans imaginaire pictural à la palette sonore atone, jouant tout en arpèges et sans le moindre accord plaqué et tenu, faisant en outre un usage modéré des pédales 

Vikingur Ólafsson (piano), Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich
Photo : (c) Bruno Serrou

Paavo Järvi, qui fut un excellent directeur musical de l’Orchestre de Paris de 2010 à 2016, s’illustre dans tous les répertoires, à l’exception de la création contemporaine où il choisit généralement les compositeurs les plus consensuels et le moins téméraires qui se puisse trouver, comme s’il craignait les langages et les techniques les plus complexes à régler et à mettre en place dans les temps impartis de plus en plus contraints par les timings des répétitions. Ce qui est regrettable, car à le voir diriger en concert avec une aisance et une clarté de chaque instant, tout indique qu’il est capable de briller quelles que soient styles et idées créatrices. Le programme que le chef estonien a offert cette semaine avec son Orchestre de la Tonhalle de Zürich dont il est le directeur musical depuis 2019, confirme cette impression qui ne cesse de susciter les regrets qui émane de cette brillante personnalité au potentiel évident.

Julia Becker (violon solo), Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich
Photo : (c) Bruno Serrou

Ainsi en est-il du choix de l’œuvre concertante donnée mardi en création française, le Concerto n° 3 pour piano et orchestre de John Adams (né en 1947) intitulé « After the Fall », c’est-à-dire à la fois Après l’Automne et Après la Chute… D’automne, il n’en est pas question, du moins à l’audition, si ce n’est de façon cachée ou alambiquée, quant à la chute… Quoi qu(il en soit, cette partition n’ajoute rien à la gloire de son auteur, si ce n’est la simplicité de la pièce qui confine à la platitude, malgré le fait que son interprète et dédicataire ait eu besoin d’une « tourneuse de pages » assise à la place du premier violon pour appuyer à temps sur le bouton égrenant les pages de la liseuse électronique placée sur le pupitre du soliste. Pour ce concerto simplissime d’environ vingt-cinq minutes, il n’a pas fallu pour le financer moins de neuf institutions-commanditaires de sept pays différents de deux continents, les San Francisco Symphony, Tonhalle-Orchester, Philharmonie de Paris, Elbphilharmonie de Hambourg, Philharmonia de Londres, Symphonique de Göteborg, Los Angeles Philharmonic, Société des Amis de la Musique de Vienne et les Wiener Symphoniker… Composé en 2024 pour le pianiste islandais Vikingur Ólafsson (le premier l’avait été pour Emmanuel Ax en 1996, le second pour Yuja Wang en 2018) censé posséder, d’après le signataire de la partition, « un éventail extrêmement large de possibilités expressives », ce que le compositeur ne met pourtant pas clairement en évidence, tandis qu’Adams se complait à citer Pierre Boulez en évoquant ce que son aîné disait du « temps des avant-gardes, de l’exploration étant définitivement passé, viendrait celui du perpétuel retour, de l’amalgame et de la citation », usages que réfutait pourtant Boulez avec la plus vive énergie. La référence boulézienne est des plus surprenantes, sinon incompréhensible, à moins que ce soit de la part d'Adams pour faire hiatus et susciter la controverse, fort inutile au demeurant tant la distance entre Adams et son aîné est abyssale, à commencer par l’univers sonore aussi contraint, terne et fermé chez l’Etats-Unien qu’il est riche, dense, ample, varié, sensuel, créatif et lumineux chez le Français. Créé le 16 janvier 2025 au Davies Symphony Hall de San Francisco par le dédicataire et le San Francisco Symphony dirigé par David Robertson, ex-collaborateur de Pierre Boulez comme directeur musical de l'Ensemble Intercontemporain, pour un orchestre comprenant trois flûte (la deuxième également flûte alto, la troisième aussi piccolo), deux hautbois, deux clarinettes, clarinette basse, deux bassons, quatre cors, deux trompettes, trois trombones, célesta, deux harpes, percussion (tam-tam, grosse caisse, vibraphone, huit gongs) et les cordes, se présente comme un hommage à Johann Sebastian Bach, tout en étant censé puiser dans les « pulsations rythmiques rappelant Stravinski et Bartók » ainsi que « les couleurs délicates de Ravel associées à quelques expériences modernes », ce qu’il est impossible de vérifier à l'audition. Et c’est bien évidemment une page du Cantor de Leipzig que le pianiste donnera en bis à l’issue du concerto…

Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich, Ivo Gass (cor solo), Tonhalle-Orchester Zürich
Photo : (c) Bruno Serrou

Le manque d’idées et la platitude du propos du concerto de John Adams sont apparus d’autant plus prégnants qu’il était donné après un concerto grosso que le Hongrois György Ligeti (1923-2006) composa sur le modèle du Concerto pour orchestre de son compatriote Béla Bartók, le Concert românesc (Concerto roumain) en quatre mouvements pour petit orchestre que Ligeti composa en 1951, à l’âge de 28 ans. De nationalité hongroise, le compositeur était né dans une ville de Transylvanie qui était alors passée sous le contrôle de la Roumanie, avant que la région passe à son tour sous le joug nazi auquel le Juif Ligeti réussit par miracle à échapper. En 1949, il étudiera le folklore roumain, et révisera le catalogue des œuvres de Bartók empli de transcriptions et adaptations de musiques traditionnelles particulièrement transylvaniennes. Le concerto de Ligeti est ainsi empli d’allusions aux musiques populaires roumaines, notamment en tournures harmoniques, au sein desquelles le compositeur glisse vaillamment quelques éléments de modernité rapidement détectés par les sbires communistes alors au pouvoir en Hongrie qui en interdirent la création à l’issue de la première répétition à Budapest, ville que Ligeti quitta durant les événements de 1956 pour s’installer en Autriche, tandis que l’œuvre ne sera créée que le 21 août 1971 dans une ville du Wisconsin aux Etats-Unis au nom digne d’un western, Fish Creek, par l’orchestre local dirigé par Thor Johnson, tandis que le compositeur en fera la révision dans les années 1990. Les nombreux soli de cordes et de bois ont permis aux pupitres du Tonhalle-Orchester de s’illustrer avec brio, tandis que la nature espiègle du compositeur a été mise en évidence avec bonheur par Paavo Järvi.

Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich
Photo : (c) Bruno Serrou

De la Symphonie n° 3 en mi bémol majeur dite « Rhénane » op. 97 composée en cinq mouvements en décembre 1850, soit neuf ans après la Quatrième, est la dernière des quatre partitions du genre laissées par Robert Schumann (1810-1856) qui concluait le concert, Paavo Järvi et son Tonhalle-Orchester ont offert une interprétation onirique et pleine d’allant, éclairée de l’intérieur par une ardente luminosité, allégeant la trame trop souvent embrumée pour magnifier les lignes et les harmonies, le tout servi par un orchestre moins fourni que celui de la symphonie de Brahms (cordes 14, 12, 10, 8, 6, bois et trompettes par deux, quatre cors, trois trombones, timbales), exaltant l’onirisme (somptueux Andante dans lequel Schumann dépeint la cathédrale de Cologne avec en son sommet le choral confié aux cuivres rutilants de l’orchestre suisse), et l’expressivité de l’œuvre tout en soulignant sa rythmique vigoureuse. Admirablement écrite, la partie des cors est favorisée, ce à quoi les quatre titulaires de la phalange zurichoise ont su tirer profit pour s’illustrer. La caractéristique majeure de Järvi qui est de veiller à la clarté et au moelleux des textures a permis de donner au mouvement lent central une limpidité quasi chambriste.

Bruno Serrou

 

 

 

 

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