Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 19 mars 2025
Concert rutilant de l’Orchestre de Paris mercredi soir à la Philharmonie de Paris dirigé avec un plaisir de la narration particulièrement communicatif par Nathalie Stutzmann, avec un Emmanuel Ax onirique en peintre-poète dans le Concerto n° 4 de Ludwig van Beethoven, et une phalange parisienne conquérante, virtuose et somptueusement colorée dans le « Ring ohne Worte » (Anneau du Nibelung sans paroles) de Lorin Maazel d’après la Tétralogie de Richard Wagner, compositeur avec lequel l’orchestre et sa cheffe invitée excellent
Dans le Quatrième Concerto pour piano et orchestre en sol majeur op. 58 de
Beethoven, Emmanuel Ax, à soixante-quinze ans, a exalté l’énergie et la
noblesse de l’œuvre du « Titan de Bonn », se faisant poète dans le (trop
bref) mouvement lent, exaltant des sonorités lumineuses de son clavier, tandis
que Nathalie Stutzmann, de sa conception chambriste, ne confinait pas
l’orchestre au rôle d’accompagnateur mais l’élevait bel et bien à celui de
partenaire, profitant avec bonheur des somptueux pupitres solistes de l’Orchestre
de Paris ainsi que de ses tutti, qui
ont enveloppé le clavier de leurs timbres onctueux. Le pianiste américain d’origine
ukrainienne, pourtant souvent réticent aux bis,
en a offert un sans hésiter au public qui l’acclamait, exaltant encore des colorations
bien dans la continuité de celles du concerto de Beethoven.
Désormais familière de Bayreuth,
où elle a dirigé Tannhäuser avec
grand succès, si bien qu'elle est invitée pour le cent-cinquantième anniversaire du
Festspielhaus en 2026 à diriger la première production de l’histoire du
Festival de Bayreuth de l’opéra de jeunesse Rienzi
(1837), Nathalie Stutzmann a retrouvé en l’Orchestre de Paris une formation familière du Ring de Wagner dans lequel il a eu l’occasion
de s’illustrer dès 1983 en gravant des extraits symphoniques avec son directeur de l’époque, Daniel Barenboïm, et de façon exhaustive dans la fosse du Théâtre du
Châtelet en 2005-2006 sous la conduite de son directeur musical de l'époque,
Christoph Eschenbach, dans une mise en scène de Robert Wilson. Aussi, à défaut
d’un Ring entier, c’est une sélection
des passages symphoniques parmi les « plus significatifs » réunis
sous forme de suite pourtant le titre Der
Ring ohne Worte par le grand chef d’orchestre états-unien Lorin Maazel
(1930-2014), lui aussi éminent connaisseur de la création de Richard Wagner qu’il
fut à trente ans le premier Américain à diriger dans la fosse de Bayreuth en
1960 avec Lohengrin mis en scène par
Wieland Wagner. Malgré les frustrations que ressent naturellement tout wagnerolâtre, il faut reconnaître que
Maazel a conçu une synthèse particulièrement réussie des treize heures du cycle
entier réduites à un peu moins de soixante-quinze minutes, même si parfois les
ruptures sans transitions sont excessivement sèches voire violentes. Maazel
respecte l’orchestration de Wagner, et compense le plus souvent l’absence de la
voix, il est vrai volontairement traitée par le compositeur tel un instrument. Tandis
que Wagner lui-même avait déjà réalisé des versions de concert sans paroles de
plusieurs passages de la Tétralogie,
c’est en 1987, à la demande d’une maison de disques pour un enregistrement avec
l’Orchestre Philharmonique de Berlin - la création en concert sera donnée le 11
mai 1990 avec l’Orchestre Symphonique de Pittsburgh dont il était alors chef
principal, que Maazel relève le défi de réaliser une version strictement
symphonique du Ring des Nibelungen
pour entraîner l’auditeur dans un authentique voyage au sein des méandres de l’orchestration
foisonnante et des innombrables ramifications des leitmotive gouvernant l’œuvre
entier, musique, action et personnages confondus.
Du prélude de Das Rheingold (L’Or du Rhin) jusqu’au finale de Der Götterdämmerung (Le
Crépuscule des dieux), en passant par première apparition du Walhalla, descente dans le monde souterrain du Nibelheim et forge du heaume magique, le
dieu du tonnerre, Donner déclenchant la foudre à l’origine de l’arc-en-ciel
servant d’accès au Walhalla, errance de Sigmund, accueil de Sieglinde, fuite
des jumeaux et conception de Siegfried, colère de Wotan contre Brünnhilde, Chevauchée
des Walkyries, Adieux de Wotan et Enchantement du feu, effroi de Mime devant
les questions posées par Siegfried, forge de Nothung, Murmures de la forêt,
réveil, combat et mort de Fafner, lever du jour et passion de Siegfried et Brünnhilde,
Voyage de Siegfried sur le Rhin, appel de Hagen à ses hommes, Siegfried et les
Filles du Rhin, mort de Siegfried et Marche funèbre, immolation de Brünnhilde,
retour de l’Or aux Filles du Rhin, l’essentiel est là, assemblé en vingt
numéros, le flux musical s’écoulant quasi sans interruption dans le déploiement
chronologique du drame. C’est en tout cas la gageure que parfaitement réussi à
relever Nathalie Stutzmann, qui a porté le récit en un grandiose poème
symphonique et l’Orchestre de Paris aux élans wagnériens d’une extraordinaire
perfection jusqu’à l’effervescence, tenant continuellement le public en
haleine, l’oreille envoûtée par de somptueuses couleurs instrumentales et des images
sonores féeriques, tous les pupitres de la phalange parisienne rutilant de
toute part, cordes (sous la conduite de Vera Lopatina au poste de premier
violon), bois, cuivres, harpes, percussion rivalisant de timbres, de rigueur,
de virtuosité.
Bruno Serrou
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