vendredi 14 août 2015

Nikolaï Lugansky et ses Chopin éblouissants, Duo Játékok atone : bonheur et déception à La Roque d’Anthéron

La Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône), Parc de Florans, mercredi 12 août 2015

La scène du Parc du Château de Florans. Photo : (c) CGrémiot

Deux concerts dans le Parc du Château de Florans ont constitué le menu de ma seconde journée de mon court séjour à La Roque d’Anthéron. Un récital du Duo Játékok tout d’abord. Cet ensemble est constitué de deux jeunes pianistes françaises dont l’une a étudié avec Brigitte Engerer au Conservatoire de Paris. Adélaïde Panaget et Naïri Badal ont tiré le nom de leur duo des neuf volumes de pièces pour piano à quatre mains et pour deux pianos que le compositeur hongrois György Kurtag (né en 1926) a commencés en 1973 et qu’il continue aujourd’hui encore à concevoir pour sa femme et lui-même. 
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot 
L'étonnant est que les deux jeunes femmes ne font pas même allusion dans leur biographie à l’origine de leur nom de scène. Plus surprenant encore, le fait qu’elles n’aient pas même donné en bis l’une des courtes pièces qui constituent cet ensemble à un public captif qui aurait ainsi pu découvrir une musique contemporaine largement accessible malgré une écriture complexe et une structure rigoureuse, leur préférant les pages bateau que sont la Danse du sabre de Khatchatourian et un Tango de Barbe joués pour la promotion avouée de leur nouveau CD. Pourtant, ce n’est pas faute de présenter les œuvres qu’elles ont jouées, chacune prenant à tour de rôle le micro pour dire des banalités, par exemple « une valse partant dans tous les sens » pour présenter la Valse de Ravel dans sa version pour deux pianos, alors qu’il y a tant à dire sur cette œuvre composée en 1919 au lendemain de la Première Guerre mondiale et décrivant la déliquescence d’un monde courant à sa perte…
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot
Déception avec le Duo Játékok
C’est devant un parterre loin d’être rempli que les Játékok ont donné leur concert. L’on se demande d’ailleurs pourquoi le public boude plus ou moins les rendez-vous de 18h dans le parc, car les artistes affichés sont loin de jouer les utilités. Certes, une partie des gradins est surchauffée par le soleil de fin d’après-midi de l’été provençal, mais l’ombre couvre à cette heure-là déjà les trois-quarts du Parc du Château de Florans. Les deux musiciennes ont jugé à juste raison utile de présenter chacune des œuvres de leur programme avant de les jouer, se substituant ainsi à l’absence de tout texte de présentation dans les supports de communication mis à disposition du public. Mais cette initiative bienvenue n’a pas convaincu, leurs interventions s’avérant succinctes et sans informations majeures capables de canaliser l’écoute. 
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot
A l’exception de la Valse de Ravel déjà citée qui a suscité quelque élan de la part du duo, le reste du programme s’est avéré sans reliefs, tensions ni saillies, les interprétations se faisant peu nuancées et souvent atones, que ce soit les pièces pour piano à quatre mains, les célébrissimes Danses polovtsiennes extraites de l’opéra de Borodine le Prince Igor auxquelles l’orchestre est clairement indispensable, à en juger du moins par ce que les deux interprètes ont tiré de l’arrangement que leur a offert par Brigitte Engerer et dont elles n’ont pas tiré la quintessence, et la Rhapsodie espagnole de Ravel, exsangue, comme des pages pour deux piano, des Variations sur un thème de Haydn op. 56b de Brahms qui sont apparues comme un long tunnel sans fin, et qui ont précédé la Valse de Ravel déjà évoquée.
Nikolaï Lugansky. Photo : (c) CGrémiot
Le choc Nikolaï Lugansky
Cette soirée restera néanmoins l’une des plus mémorables de l’histoire du Festival de La Roque d’Anthéron. En effet, un moment de grâce attendait le public venu en nombre assister Parc du Château de Florans au concert de l’un de ses pianistes favoris, le Russe Nikolaï Lugansky, accompagné cette fois par le Sinfonia Varsovia, qui s’est montré en grande forme revigoré il est vrai par l’excellent chef russe Alexander Vedernikov. Pianiste, chef et orchestre se connaissent bien puisqu’ils ont enregistré ensemble les deux concertos pour piano de Chopin qui figuraient au programme de mercredi 12 août 2015. 
Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Le bonheur a d’ailleurs été entier dès le début du concert, la première œuvre étant jouée par l’orchestre qui a imposé dès les premières mesures ses sonorités pleines et sûres, une vélocité et une fluidité qu’on ne lui connaissait pas, donnant à l’orchestration de Robert Schumann une transparence et un grain clair que trop d’interprétations négligent. Ecrit la même année 1941 que la Première Symphonie et la mouture initiale de la Quatrième, révisé en 1845 le triptyque Introduction, Scherzo et Finale op. 52 constitue une petite symphonie sans mouvement lent que Schumann envisagea d’intituler successivement Suite puis Symphonette. La légèreté cordiale souhaitée par Schumann dans l’Introduction a été pleinement restituée par le Sinfonia Varsovia et Alexander Vedernikov, ainsi que l’aspect chevauchée céleste du scherzo et la force conquérante du finale. De telles textures enrichies d'une vélocité de bon aloi de la part de tous les pupitres ont permis à l’orchestre de Frédéric Chopin, restitué dans son authenticité, d’atteindre une texture peu usitée qui m’a surpris tant j’étais moi-même persuadé que Chopin n’avait guère attaché d’intérêt à l’orchestration de ses concertos pour se focaliser sur le seul piano. 
Nikolaï Lugansky, Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Vedernikov et le Sinfonia Varsovia ont concerté au sens littéral du terme avec le soliste, érigeant de véritables échanges avec lui et se comportant comme de véritables partenaires, donnant relief et pigmentations au piano, particulièrement dans les solos de cor, parfois à la limite, et, surtout, de basson et de flûte, soutenant ou répondant au piano en creux et en pleins. Ainsi, le jeu élégant et les timbres brillants aux aigus cristallins de Nikolaï Lugansky se sont non seulement exprimés avec leur naturel habituel mais ils ont aussi été magnifiés par le brio de l’orchestre et l’engagement d’un chef dirigeant sobrement mais avec flamme. Le doigté aérien, la noble stature, le jeu pondéré, l’élégance du geste, le phrasé d’une sensibilité inouïe, les sonorités voluptueuses du grand pianiste russe ont ainsi pu s’exprimer pleinement dans les deux concertos donnés non pas dans leur ordre numérique mais dans leur chronologie, c’est-à-dire le second en fa mineur en première partie et le premier en mi mineur après l’entracte. 
Nikolaï Lugansky, Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Souhaitant assurément conclure ses exceptionnelles interprétations des concertos de Chopin sur les ultimes accords du fa mineur, Nikolaï Lugansky a résisté un moment à l’enthousiasme du public qui lui rappelait bruyamment qu’il est impossible de ne pas sacrifier au rituel obligé des bis à La Roque d’Anthéron. Il a néanmoins fini par céder, en offrant de la célébrissime Valse en ut dièse mineur op. 64/2 une interprétation à couper le souffle.
Bruno Serrou 
Le Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron se poursuit jusqu’au 21 août 2015. 

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