La Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône), Parc de Florans, mercredi 12
août 2015
La scène du Parc du Château de Florans. Photo : (c) CGrémiot
Deux concerts dans le Parc du Château de Florans ont
constitué le menu de ma seconde journée de mon court séjour à La Roque d’Anthéron.
Un récital du Duo Játékok tout d’abord. Cet ensemble est constitué
de deux jeunes pianistes françaises dont l’une a étudié avec Brigitte Engerer
au Conservatoire de Paris. Adélaïde Panaget et Naïri Badal ont tiré le nom de
leur duo des neuf volumes de pièces pour piano à quatre mains et pour deux
pianos que le compositeur hongrois György Kurtag (né en 1926) a commencés en
1973 et qu’il continue aujourd’hui encore à concevoir pour sa femme et lui-même.
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot
L'étonnant est que les deux jeunes femmes ne font pas même allusion
dans leur biographie à l’origine de leur nom de scène. Plus surprenant encore,
le fait qu’elles n’aient pas même donné en bis l’une des courtes pièces qui
constituent cet ensemble à un public captif qui aurait ainsi pu découvrir une
musique contemporaine largement accessible malgré une écriture complexe et une
structure rigoureuse, leur préférant les pages bateau que sont la Danse du sabre de Khatchatourian et un Tango de Barbe joués pour la promotion avouée
de leur nouveau CD. Pourtant, ce n’est pas faute de présenter les œuvres
qu’elles ont jouées, chacune prenant à tour de rôle le micro pour dire des
banalités, par exemple « une valse partant dans tous les sens » pour
présenter la Valse de Ravel dans sa
version pour deux pianos, alors qu’il y a tant à dire sur cette œuvre composée
en 1919 au lendemain de la Première Guerre mondiale et décrivant la
déliquescence d’un monde courant à sa perte…
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot
Déception
avec le Duo Játékok
C’est devant un parterre loin d’être rempli que les
Játékok
ont donné leur concert. L’on se demande d’ailleurs pourquoi le public boude
plus ou moins les rendez-vous de 18h dans le parc, car les artistes affichés
sont loin de jouer les utilités. Certes, une partie des gradins est surchauffée
par le soleil de fin d’après-midi de l’été provençal, mais l’ombre couvre à
cette heure-là déjà les trois-quarts du Parc du Château de Florans. Les deux
musiciennes ont jugé à juste raison utile de présenter chacune des œuvres de
leur programme avant de les jouer, se substituant ainsi à l’absence de tout
texte de présentation dans les supports de communication mis à disposition du
public. Mais cette initiative bienvenue n’a pas convaincu, leurs interventions
s’avérant succinctes et sans informations majeures capables de canaliser
l’écoute.
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot
A l’exception de la Valse
de Ravel déjà citée qui a suscité quelque élan de la part du duo, le reste
du programme s’est avéré sans reliefs, tensions ni saillies, les
interprétations se faisant peu nuancées et souvent atones, que ce soit les
pièces pour piano à quatre mains, les célébrissimes Danses polovtsiennes extraites de l’opéra de Borodine le Prince Igor auxquelles l’orchestre
est clairement indispensable, à en juger du moins par ce que les deux
interprètes ont tiré de l’arrangement que leur a offert par Brigitte Engerer et
dont elles n’ont pas tiré la quintessence, et la Rhapsodie espagnole de Ravel, exsangue, comme des pages pour deux
piano, des Variations sur un thème de
Haydn op. 56b de Brahms qui sont apparues comme un long tunnel sans fin, et
qui ont précédé la Valse de Ravel
déjà évoquée.
Nikolaï Lugansky. Photo : (c) CGrémiot
Le choc Nikolaï
Lugansky
Cette soirée restera néanmoins l’une des plus
mémorables de l’histoire du Festival de La Roque d’Anthéron. En effet, un
moment de grâce attendait le public venu en nombre assister Parc du Château de
Florans au concert de l’un de ses pianistes favoris, le Russe Nikolaï Lugansky,
accompagné cette fois par le Sinfonia Varsovia, qui s’est montré en grande
forme revigoré il est vrai par l’excellent chef russe Alexander Vedernikov. Pianiste,
chef et orchestre se connaissent bien puisqu’ils ont enregistré ensemble les
deux concertos pour piano de Chopin qui figuraient au programme de mercredi 12
août 2015.
Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Le bonheur a d’ailleurs été entier dès le début du concert, la
première œuvre étant jouée par l’orchestre qui a imposé dès les premières
mesures ses sonorités pleines et sûres, une vélocité et une fluidité qu’on ne
lui connaissait pas, donnant à l’orchestration de Robert Schumann une
transparence et un grain clair que trop d’interprétations négligent. Ecrit la
même année 1941 que la Première Symphonie et la mouture initiale de la Quatrième, révisé en 1845 le triptyque Introduction, Scherzo et Finale op. 52
constitue une petite symphonie sans mouvement lent que Schumann envisagea d’intituler
successivement Suite puis Symphonette. La légèreté cordiale
souhaitée par Schumann dans l’Introduction a été pleinement restituée par le
Sinfonia Varsovia et Alexander Vedernikov, ainsi que l’aspect chevauchée céleste
du scherzo et la force conquérante du finale. De telles textures enrichies d'une
vélocité de bon aloi de la part de tous les pupitres ont permis à l’orchestre
de Frédéric Chopin, restitué dans son authenticité, d’atteindre une texture peu
usitée qui m’a surpris tant j’étais moi-même persuadé que Chopin n’avait guère
attaché d’intérêt à l’orchestration de ses concertos pour se focaliser sur le
seul piano.
Nikolaï Lugansky, Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Vedernikov et le Sinfonia Varsovia ont concerté au sens littéral du terme avec le
soliste, érigeant de véritables échanges avec lui et se comportant comme de
véritables partenaires, donnant relief et pigmentations au piano, particulièrement
dans les solos de cor, parfois à la limite, et, surtout, de basson et de flûte,
soutenant ou répondant au piano en creux et en pleins. Ainsi, le jeu élégant et
les timbres brillants aux aigus cristallins de Nikolaï Lugansky se sont non
seulement exprimés avec leur naturel habituel mais ils ont aussi été magnifiés par
le brio de l’orchestre et l’engagement d’un chef dirigeant sobrement mais avec
flamme. Le doigté aérien, la noble stature, le jeu pondéré, l’élégance du
geste, le phrasé d’une sensibilité inouïe, les sonorités voluptueuses du grand pianiste russe ont ainsi pu s’exprimer pleinement dans les deux concertos donnés non pas
dans leur ordre numérique mais dans leur chronologie, c’est-à-dire le second en
fa mineur en première partie et le
premier en mi mineur après l’entracte.
Nikolaï Lugansky, Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Souhaitant assurément conclure ses exceptionnelles interprétations des
concertos de Chopin sur les ultimes accords du fa mineur, Nikolaï Lugansky a résisté un moment à l’enthousiasme du public
qui lui rappelait bruyamment qu’il est impossible de ne pas sacrifier au rituel
obligé des bis à La Roque d’Anthéron. Il a néanmoins fini par céder, en offrant
de la célébrissime Valse en ut dièse
mineur op. 64/2 une interprétation à couper le souffle.
Bruno Serrou
Le Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron
se poursuit jusqu’au 21 août 2015.
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