Festival Berlioz, Vienne (Isère), Théâtre antique, vendredi 21 août
2015
Vienne, Théâtre antique. Le Te Deum d'Hector Berlioz. Photo : (c) Bruno Serrou
Le Théâtre antique de Vienne. Photo : (c) Bruno Serrou
Le lieu choisi était assez
emblématique, puisque c’est à Vienne, sous-préfecture de l’Isère plantée sur la
rive gauche du Rhône à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de La
Côte-Saint-André, que vécut la sœur cadette d’Hector Berlioz, Adèle, la
préférée d’Hector, une « amie intime » qui s’y était installée en
1845 après avoir épousé le notaire Marc Suat. Berlioz se rendit à Vienne
plusieurs fois, jusqu’en septembre 1864, soit quatre ans après le décès
d’Adèle… En outre, l’enceinte du Théâtre antique choisie pour ce premier
concert de l’édition 2015 du Festival Berlioz ramène à la passion du
compositeur pour la mythologie gréco-romaine, et marque la fusion des musiques
populaires et considérées « savantes » - élitiste pour certains
édiles -, puisque ce théâtre où seuls les gradins subsistent ainsi que quelques
bribes de colonnes, doit faire appel à l’amplification pour éviter que le son
se disperse dans toutes les directions, notamment vers la ville de Vienne,
puisque les gradins du Théâtre antique sont à flanc de montagne. Ce qui
explique son exploitation essentiellement destinée aux musiques amplifiées,
qu’elles soient « actuelles » ou plus encore au jazz. Ce lieu est en
effet le siège du festival Jazz à Vienne dont la trente-cinquième édition s’est
achevée le 11 juillet dernier.
Photo : (c) Bruno Serrou
Pour célébrer l’union
exceptionnelle mais qui pourrait perdurer des deux manifestations estivales
majeures de l’Isère que son Jazz à Vienne et le Festival Berlioz de La
Côte-Saint-André, ce dernier a intitulé cette journée « Berliozz à Vienne »,
avec deux « z », le second acrostiche renvoyant au jazz, qui finira
par apprivoiser le matériau thématique de la Symphonie fantastique du premier.
Orchestre Demos-Isère. Photo : (c) Bruno Serrou
Les trois orchestres Demos de l’Isère
Devant quelques six mille
spectateurs, ce sont produits plus de mille musiciens, chanteurs, choristes,
maîtrisiens, professionnels et amateurs de 7 à 50 ans, pour quelques huit
heures de musiques de tout genre, de l’improvisation jusqu’à la plus
« savante », en passant par le jazz, les « musiques
actuelles » et la musique de film, chaque genre se succédant, fusionnant
ou se répondant avec le plus grand naturel.
Bruno Messina, directeur de Demos et du Festival Berlioz interviewé par Manuel Houssais et l'un des Orchestre Demos-Isère. Photo : (c) Bruno Serrou
Précédée d’une courte et sans
consistance présentation des œuvres par Frédéric Lodéon, animée avec à-propos
par Manuel Houssais, animateur spectacle et culture de France-Bleu Isère, la
première partie du marathon musical du Théâtre antique de Vienne étaient
entièrement dévolue aux jeunes musiciens de l’association Demos-Isère. Demos
(Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) dirigé par
Bruno Messina et dont le siège social est à la Philharmonie de Paris, est placé
en Isère sous l’autorité de l’Aida (Agence iséroise de diffusion artistique).
Dans ce département de la Région Rhône-Alpes, Demos concerne trois-cents
enfants répartis en vingt groupes de quinze jeunes de 7 à 12 ans. Caque groupe
est porté par une structure sociale (CCAS, MJC, Maison de l’enfance, Centre de
loisirs, Service jeunesse, Centre social, etc.) partenaire du projet. Ces
jeunes forment trois orchestres symphoniques répartis sur le territoire
isérois, entre zones urbaine, rurale et montagnarde : l’Orchestre Nord-Isère
(qui regroupe les communes des Abrets, Bourgoin-Jallieu, L’Isle d’Abeau, La
Tour-du-Pin, les communautés de communes de la Vallée de l’Hien et des Vallons
de la Tour, Villefontaine), l’Orchestre Beaurepaire-Roussillon, et l’Orchestre
Grenoble-Montagne (Bourg-d’Oisans, Echirolles, Grenoble, Lans-en-Vercors et
Voiron).
Eric Villevière dirige l'un des trois Orchestres Demos-Isère. Photo : (c) Bruno Serrou
Chacune de ces trois formations a
présenté un programme travaillé pendant un an sous la conduite de musiciens
professionnels de la région Rhône-Alpes et du département de l’Isère, qui se
sont mêlés à eux au sein des différents pupitres. Devant un public bon enfant
mais un peu « disturb », dirigé par Eric Villevière, l’Orchestre
Nord-Isère, vêtu de blanc, a ouvert les festivités avec l’air traditionnel grec
Eskoutari - Apo Xeno Topo suivi d’un
extrait de Shéhérazade (Le jeune prince et la jeune princesse) de
Rimski-Korsakov et du finale de la Symphonie
n° 5 de Tchaïkovski, ce dernier
sonnant de façon beaucoup plus convaincante que ce que pouvait donner à
entendre voilà trente ans la phalange professionnelle qu’est l’Orchestre de
Catalogne et de Barcelone. Habillés de rouge, l’Orchestre Grenoble-Montagne,
lui aussi dirigé par Eric Villevière, a donné la virtuose Marche au supplice de la Symphonie
fantastique de Berlioz de façon impressionnante considérant l’expérience de
la jeune troupe, suivie de l’Air des
furies tiré du Don Juan de Gluck,
avant que les instrumentistes ne se transforment en choristes pour entonner le célèbre
chant des partisans italiens Bella Ciao
accompagnés des seuls musiciens encadrants. Habillés tels des poussins, en
jaune, les jeunes musiciens de l’Orchestre Beaurepaire-Roussillon ont fermé la
marche avec le chœur du premier acte de Lakmé de Léo Delibes, suivi de la Danse
du calumet extraite l’acte des Sauvages des Indes galantes de Rameau et, pour
conclure, une pièce qu’Henri Tournier a tirée d’un chant traditionnel indien du
nord, Yamini, celle qui comptait les
étoiles, mêlant ainsi prouesse instrumentale et vocale.
Quelques-uns des mille exécutants du Te Deum de Berlioz dirigé par François-Xavier Roth. Photo : (c) Bruno Serrou
1000 exécutants pour le Te
Deum de Berlioz
Le clou de la soirée a suivi
après trente minutes d’entracte qui aura tout juste permis un changement de
plateau nécessaire pour accueillir le millier d’interprètes requis pour le Te Deum op. 22/H118 de Berlioz. Composé
en 1849 en trois mois, peaufinée jusqu’en 1855, cette œuvre en six séquences
est la troisième des grandes fresques d’inspiration religieuse de ce
compositeur réputé athée, après la Messe
solennelle de 1824 que Berlioz prétendit perdue sans doute pour mieux lui
emprunter dans ce Te Deum, et la Grande Messe des Morts op. 5 de 1837.
Les effectifs sont moins colossaux que dans le Requiem, particulièrement l’instrumentarium, enrichi néanmoins de l’orgue,
qui compense cette différence. Une partie de l’œuvre avait d’abord été envisagé
comme sommet d’une grande symphonie à la mémoire de Napoléon Bonaparte. Cette
dernière ne verra jamais le jour, mais il en utilise un certain nombre d’idées
dans le Te Deum, qu’il aura beaucoup
de mal à imposer, l’œuvre étant refusée pour le sacre de Napoléon III, puis
pour le mariage de ce dernier, avant d’être finalement créée le 30 avril 1855 dans
le cadre de l’inauguration de l’Exposition Universelle de Paris. François-Xavier
Roth, qui a dirigé l’œuvre à la Philharmonie de Paris le 20 juin dernier à la
tête de son orchestre Les Siècles, a repris le Te Deum avec le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz…
François-Xavier Roth dirige le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz, le Gand Choeur Spirito et les Petits Chanteurs de l'Isère et de la Région Rhône-Alpes dans le Te Deum de Berlioz. Photo : (c) Bruno Serrou
Le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz
François-Xavier Roth a fondé de
toute pièce en 2003 Les Siècles, orchestre qui s’est rapidement imposé parmi
les formations majeures malgré sa volonté d’aborder tous les répertoires
orchestraux, du plus ancien au plus contemporain, sur les instruments et selon
les modes de jeu du temps de la genèse des œuvres programmées, écrivais-je
voilà un an dans les colonnes du quotidien La
Croix. Ce qui ne va pas forcément de soi et qui réclame de la part d’un
chef d’orchestre un réel sens didactique. Tant et si bien que le chef français
a vite acquis la réputation de forgeur d’orchestre. C’est donc naturellement
que Bruno Messina, sitôt nommé directeur du Festival Berlioz à La
Côte-Saint-André en 2008, s’est tourné vers lui pour créer un
orchestre-académie du festival, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz
(JOEHB). Depuis 2010, ce dernier se façonne et participe chaque été dans le cadre du festival,
le premier été avec le Te Deum, qu’il a repris hier après les Scènes de Faust, Roméo et Juliette, Béatrice
et Bénédict et, l’an dernier, la
Damnation de Faust. Cette
formation s’adresse à des musiciens qui entendent se lancer dans une carrière professionnelle d'orchestre.
« Le recrutement est international, le renom de Berlioz facilitant les
choses, se félicitait Roth l'an dernier. Une part des effectifs est constituée de musiciens
des Siècles et, pour l’essentiel, de jeunes de 17 à 28 ans en fin d’études. Cet
orchestre s’attache précisément à l’époque de Berlioz, à sa musique et aux
instruments de son temps. » Les jeunes musiciens viennent d’Europe du nord, d’Angleterre, Suisse, Allemagne, Brésil et France. « Au
total, 120 musiciens, ce qui est parfaitement berliozien, s’enthousiasme Roth.
Et cela marche fort bien avec les instruments anciens, qui apportent clarté et
transparence dans les équilibres orchestraux. Avec Berlioz, cela fonctionne à
la perfection, »
Roth précise que, contrairement à sa Symphonie
fantastique qui a une histoire interprétative continue depuis sa création, beaucoup
de partitions de Berlioz ont été mal jouées en son temps. « Puis elles sont
soit tombées dans l’oubli, soit elles n’ont pas pu être rejouées immédiatement,
rappelle Roth. Il y a donc des creux dans l’histoire des œuvres de Berlioz, et
c’est l’intérêt avec ces étudiants de pouvoir faire un focus sur cette musique,
avec des choses toutes simples comme la façon de phraser, de gérer les
équilibres, etc. Les jeunes musiciens ont moins de repères chez Berlioz que chez
Mahler, Brahms, Debussy ou Ravel. Il y a donc beaucoup à faire de ce point de vue,
et c’est passionnant. »
Photo : (c) Bruno Serrou
600 enfants chanteurs de l’Isère et 200 choristes professionnels
En plus de ces jeunes musiciens
au seuil d’une carrière au sein d’orchestres professionnels auxquels s’est
associé l’organiste Daniel Roth, son père, et le ténor Pascal Bourgeois, François-Xavier
Roth s’est associé le Grand Chœur de Spirito qui réunit deux cents chanteurs
des Chœurs & Solistes de Lyon et du Chœur Britten dirigés par Nicole Corti
et Bernard Têtu, et six cents enfants des Petits Chanteurs de l’Isère et de la
Région âgés de six à quinze ans. Dirigés par Nicole Corti et deux assistants,
les jeunes choristes en herbe ont suscité beaucoup d’émotion parmi les six
mille spectateurs assis sur les gradins surchauffés du Théâtre antique de
Vienne, et l’on a perçu quelques larmes couler des yeux lorsque ces enfants de
toutes origines sociales et culturelles chantaient à gorge déployées les
grandes mélodies berlioziennes sur le texte de la liturgie romaine. Le travail
préparatoire a été d’autant plus fouillé que Roth avait exigé l’usage du latin
du XIXe siècle. Voulant l’authenticité, Roth a en effet utilisé un
instrumentarium de l’époque de Berlioz, avec cuivres naturels, bois d’ébène et
cordes en boyaux, violoncelles sans pique, timbales en peau. Cette nuance de taille
par rapport aux instruments modernes n’a pas été perceptible à cause de la
sonorisation conçue pour les instruments amplifiés des musiques « actuelles »
et non pas pour les instruments acoustiques. Il n’empêche, le public ne pouvait
être conquis par tant d’enthousiasme, d’engagement et de volonté de bien faire
de la part des enfants - certains avaient l’air perdus, d’autres se frottaient
les yeux, épuisés au fur et à mesure de l’écoulement des cinquante minutes du Te Deum -, par la puissance des
interventions ders chœurs professionnels et par la force conquérante qui
émanait de la direction de François-Xavier Roth, tandis que la voix de Pascal
Bourgeois était particulièrement desservie par la sonorisation.
François-Xavier Roth, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz et le Gand Choeur Spirito. Photo : (c) Bruno Serrou
Deux cantates de Berlioz en l’honneur des empereurs français
La seconde partie de ce concert a
été l’occasion de découvrir deux œuvres que je ne connaissais pas, la cantate
pour basse, chœur et orchestre Le Cinq
Mai, chant sur la mort de Napoléon H 74 que Berlioz a composée en 1835 sur
un texte de Pierre-Jean de Béranger et d’en diriger lui-même la création au
Conservatoire de Paris le 22 novembre de la même année. Cette déclaration d’amour
pour l’Empereur Napoléon Ier est un véritable cri de dévotion qui
sollicite la force et la musicalité des chanteurs, particulièrement de la voix
de basse traitée en soliste et parfaitement tenu par Nicolas Courjal. Autre
découverte, du moins pour moi, L’Impériale
H 139, cantate profane pour double chœur mixte et orchestre composée en
1854 pour le sacre de Napoléon III, que Berlioz dénommera très vite « Napoléon
le Petit ». Pour finir sur une tonalité plus unanimement festive ce
concert Berlioz monographique, François-Xavier Roth a salué public et musiciens
de son jeune orchestre en confiant à ce dernier le soin de jouer seul sous sa
direction en choisissant la célébrissime Marche
de Rakoczy plus connue sous le nom de Marche
hongroise extraite de la première partie de la Damnation de Faust de Berlioz, mais la fatigue aidant au terme
de près de deux heures de concert, cette page s’est avérée plus trainante que
de coutume.
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Patrick Messina (clarinette), Ballaké Sissoko (kora) et Vincent Segal (violoncelle). Photo : (c) Bruno Serrou
Pour conclure la soirée dans une
atmosphère feutrée de cabaret, Festival Berlioz et Jazz à Vienne ont fusionné
leurs particularismes respectifs en confiant à deux musiciens de jazz, le
joueur de kora Ballaké Sissoko et le violoncelliste Vincent Segal, et à un
instrumentiste classique, Patrick Messina, première clarinette solo de l’Orchestre
National de France, frère de Bruno Messina, l’animation de l’heure d’improvisation
jazz sur un matériau tiré de la Symphonie
fantastique de Berlioz. Cette prestation en duo et en trio a pétrifié le
public qui a écouté les musiciens dans un silence quasi-religieux qui n’avait
pas été perceptible durant les deux concerts qui ont précédé, et de juger du
bien-fondé d’une sonorisation qui est apparue plus adaptée à cette musique.
Bruno Serrou
Ce samedi, 22 août, un concert de
musique de chambre en l’église Saint-André réunissant à 17h le violoncelliste
Edgar Moreau et le pianiste Pierre-Yves Hodique, un Sous le Balcon d’Hector au
Musée Berlioz à 19h et le Requiem de Cherubini précédé de Tristia de Berlioz
par Le Concert Spirituel dirigé par Hervé Niquet en l’église de Saint-Antoine l’Abbaye
à 21h.
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