jeudi 27 août 2015

Festival Berlioz VII : Nicholas Angelich, Nicolas Chalvin et l’Orchestre des Pays de Savoie au temps de Bonaparte

La Côte-Saint-André (Isère), Chapiteau de la Cour du Château Louis XI, mercredi 26 août 2015
Nicolas Chaslin. Photo : DR

A défaut de Berlioz, la présence de Nicholas Angelich, l’un des grands pianistes de la génération des années 1970, a attiré la foule des grands soirs, mercredi à la Côte-Saint-André. Néanmoins, le sujet central du concert était Napoléon Bonaparte et les relations complexes de Beethoven face à celui que le Titan de la musique entretenait avec son contemporain, qu’il considéra d’abord comme un humaniste libérateur avant de le vouer aux gémonies devant ses velléités de despote conquérant sanguinaire. Deux œuvres du « Grand Sourd » entouraient le cinquième des concertos pour piano de l’un de ses lointains disciples, Camille Saint-Saëns dont la partie soliste était confiée à Angelich.

La Bataille de Vitoria, le 21 juin 1813. Tableau de Charles et Frederick Christian Lewis. Photo : DR

Après que le traditionnel tir de canon eut retenti, signal pour les musiciens de prendre place sur le plateau du chapiteau de la Cour du Château Louis XI, l’Orchestre des Pays de Savoie et son directeur musical Nicolas Chalvin ont entonné la Victoire de Wellington ou la Bataille de Vitoria op. 91, œuvre mineure de Beethoven, qui la qualifiait lui-même de « stupidité ». Le compositeur, qui répond ainsi en octobre 1813 à une commande de Johann Nepomuk Mälzel, l’inventeur du métronome, célèbre la victoire du duc de Wellington sur les troupes napoléoniennes à Vitoria, en Espagne, le 21 juin 1813. Lors de la création de l’œuvre le 8 décembre suivant, le même soir que la Septième Symphonie, Beethoven était au pupitre du chef, tandis que ses confrères Salieri, Hummel et Meyerbeer se trouvaient dans l’orchestre. L’accueil de Wellington Sieg op. 91 fut triomphal. Comprenant deux parties, La bataille et La symphonie de Victoire, chacune subdivisée en plusieurs sections (I - Introduction, La bataille, La charge. II - Intrada, Les réjouissances, God save the King, Finale fugué), cette œuvre site deux thèmes populaires, Marlbrough s’en va-t’en guerre pour symboliser la France et Rule Britannia pour l’Angleterre, ainsi que et le God save the King. Cent quatre vingt treize coups de canon peuvent être également entendus dans le cours de l’exécution de l’œuvre. Si Beethoven préféra citer Marlbrough plutôt que la Marseillaise pour représenter les troupes de Napoléon, c’est parce qu’il ne reconnaît plus la France des Droits de l’Homme et des libertés dans l’Empire sanguinaire, belliqueux et expansionniste de Napoléon Bonaparte qui s’est accaparé la Marseillaise comme chant de bataille.

Napoléon franchissant le col du Grand Saint-Bernard en mai 1800. Tableau de Jacques Louis David. Photo : DR

Considérant les musiciens complémentaires nécessaires à l’exécution de Wellington Sieg pour une formation comme l’Orchestre des Pays de Savoie, Nicolas Chalvin n’a pas usé des fusils et canons envisagés par Beethoven, mais a bel et bien fait appel aux quatre cors, six trompettes, trois trombones, trois percussionnistes et à un contingent plus large de cordes, ici neuf premiers violons, sept seconds, cinq altos, cinq violoncelles et quatre contrebasses, effectif d’archets qu’il gardera tout au long de la soirée. Le chef français et ses musiciens ont fait tout leur possible pour donner de ces pages peu convaincantes une certaine consistance, l’attention de l’auditeur étant soutenue en outre par la rareté de ces pages au concert.   

Nicolas Chalvin et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou

Grandiose en revanche est la sublime Symphonie n° 3 en mi bémol majeur op. 55 « Eroica » du même Beethoven. Chacun de nous connaît la genèse de cette œuvre à la fois rigoureusement construite et d’une grande profondeur émotionnelle qui ouvre non seulement la période médiane de son auteur mais aussi sans doute romantisme musical, ainsi que l’histoire de la dédicace originellement destinée à Napoléon Bonaparte en qui il voyait l’incarnation des idéaux démocratiques et antimonarchiques de Liberté, Egalité, Fraternité de la Révolution française. Mais entre le début de la conception de l’œuvre au début de l’année 1802 et sa finalisation à la fin du printemps 1804, le Premier-Consul de France s’était lui-même couronné Empereur le 14 mai 1804, ce qui suscita la fureur du compositeur qui biffa avec rage sa dédicace, pour la dédier finalement à son mécène, le prince Franz Maximilian Lobkowitz, tandis que la première édition de la partition en 1806 portera la mention « à la mémoire d’un grand homme ». Lorsque Beethoven apprit la mort de Napoléon survenue le 5 mai 1821, il déclara : « J’ai écrit la musique de ce triste événement voilà dix-sept ans », se référant à la Marche funèbre du deuxième mouvement Adagio assai. Avec un effectif de quarante-quatre musiciens jouant comparable à celui dont disposait Beethoven à la création de cette œuvre à Vienne au Theater an der Wien le 7 avril 1805 (bois par deux, trois cors, deux trompettes à palettes, timbales, neuf premiers et sept seconds violons, cinq altos et violoncelles, quatre contrebasses) jouant sur instruments modernes, Nicolas Chalvin a donné une interprétation fébrile, chaleureuse, d’une force mâle, mais jamais lourde ni relâchée, pour se conclure dans la lumière et l’allégresse, laissant une heureuse sensation d’accomplissement. La Marche funèbre pouvait sembler manquer de tragique et de gravité, mais le chef français a judicieusement opté pour une conception plus mélancolique que douloureuse et mordante. Les pupitres solistes de l’Orchestre des Pays de Savoie (particulièrement le troisième cor et les bois) s’en sont donné à cœur joie, brillant de tous leurs feux, répondant aux moindres sollicitations de leur directeur musical, qui a tiré le maximum de sa formation devenue l’espace de cette belle soirée de fin d’août l’un des grands orchestres de formation Mannheim. Seul regret dans cette interprétation brûlante d’une unité et d’un élan éblouissant, un manque d’effectifs du côté des cordes graves, que l’on aurait aimé plus grondantes.

Nicolas Chalvin et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou

Entre les deux œuvres de Beethoven, l’Orchestre de Chambre de Savoie a serti un tissu à la fois moelleux et aérien au piano de Nicholas Angelich dans le Concerto pour piano et orchestre n° 5 en fa majeur op. 103 dit « l’Egyptien » de Camille Saint-Saëns, non pas parce qu'il s'agit de célébrer ici le séjour de Bonaparte en Egypte mais parce qu'il a été composé à Louxor en 1896 avant que le compositeur en donne lui-même la création le 2 juin de la même année. Il s’agit de l’un des concertos les plus populaires du répertoire.

Nicholas Angelich, Nicolas Chalvin et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou

De ses mains de bûcheron virevoltant avec une légèreté et une grâce inouïe sur le clavier. Le pianiste américain Nicholas, geste majestueux et jeu étincelant, a suscité un son plein et charnel, une noblesse de ton et une puissance impressionnante transcendées par un nuancier fabuleux, du pianississimo le plus évanescent au fortissimo le plus vigoureux, le tout sans le moindre effort apparent. Toucher aérien exaltant des sonorités de braise, extraordinairement concentré et d’une aisance impressionnante une fois assis devant son Steinway, défait de sa timidité maladive, Angelich a brossé un concerto de Saint-Saëns onirique, dense et profond, donnant l’impulsion de son autorité naturelle à l’ensemble de l’architectonique de l’œuvre, imposant les tempi du mouvement lent, Nicolas Chalvin s’effaçant devant l’assurance de son partenaire qu’il n’a jamais couvert tout en tendant à faire de cette œuvre une symphonie concertante proche de l’esprit de Brahms, malgré les effectifs limités de l’Orchestre des Pays de Savoie.

Nicholas Angelich et l'Orchestre des Pays de Savoie. Photo : (c) Bruno Serrou

Nicholas Angelich n'a pas hésité à offrir de pages de Chopin en bis, aà la grande satisfaction du public, ébahi par la performance du pianiste américain vivant en France.

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Deux concerts ce jeudi 27 août, le premier en l’église Saint-André à 17h, avec l’altiste Pierre Lenert et la pianiste Ariane Jacob, le second au Château Louis XI, à 21h, pour une création de A. Filetta, Nabulio, par l’Orchestre Poitou-Charentes dirigé par Jean-François Heisser avec le comédien Didier Sandre en récitant.   

Bruno Serrou

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