mercredi 26 août 2015

Festival Berlioz VI : Tedi Papavrami, Fabien Gabel et l’Orchestre National de Lyon et les revers de Napoléon

La Côte-Saint-André (Isère), Chapiteau de la Cour du Château Louis XI, mardi 25 août 2015

Napoléon Ier et son armée durant la retraire de Russie, en 1812. Photo : DR

Plus couru que celui de la veille, le concert de ce mardi était focalisé sur la seule figure de Napoléon Bonaparte, réduisant Hector Berlioz au rang d’auditeur. Après le coup de canon désormais traditionnel cette année, l’Orchestre National de Lyon, qui est comme chez lui à La Côte-Saint-André où il se produit tous les ans dans le cadre du Festival Berlioz, a choisi pour thématique avec Bruno Messina les exploits et surtout les défaites du premier des deux empereurs français vus de l’étranger, exclusivement par des compositeurs d’Europe orientale, mis en résonance avec une œuvre française du temps de Napoléon Ier, qui ne l’aimait guère, à cause d'une histoire de femme, bien qu’il l’engageât à la tête de son orchestre privé…

Fabien Gabel et l''Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou

L’Empereur raillé

La première œuvre du programme était aussi la plus intéressante. Il s’est agi de la Suite symphonique « Háry János » du Hongrois Zoltán Kodály (1882-1967). La fable lyrique en quatre acte pour dix-huit personnages (dont onze rôles parlés) et chœur dont elle est tirée, composée en 1925-1926 sur un livret de Béla Paulini (1881-1945) et Zsolt Harsányi (1887-1943) en langue magyare d’après l’épopée comique le Vétéran (Az Obsitos) de János Garay (1812-1853), adopte la forme du singspiel allemand sur le modèle de l’Enlèvement au sérail ou de la Flûte enchantée de Mozart mais en beaucoup plus bavard, les chansons d’essence populaire pour la plupart alternant avec de très nombreux et longs dialogues parlés. L’histoire est celle du vétéran Háry János, ex-hussard de l’armée autrichienne qui raconte dans une taverne de village ses aventures et exploits durant les guerres napoléoniennes. Il prétend entre autres qu'il a conquis le cœur de Marie-Louise d’Autriche, l’épouse de Napoléon. Il aurait ensuite défait à lui seul l’armée de son rival. Il dit avoir néanmoins renoncé à toutes ses richesses pour rentrer dans son village avec sa fiancée. La suite d’orchestre que Kodály a tirée des vingt-deux numéros musicaux de son opéra est des œuvres les plus populaires de la musique hongroise. A l’instar de l’opéra, cette partition en six mouvements (I - Prélude. Le conte de fée commence [n° 1 et 2 de l’opéra]. II - L’Horloge musicale viennoise [n° 9 de l’opéra]. III - Chanson. IV - Bataille et défaite de Napoléon [n° 13 de l’opéra]. V - Intermezzo [n° 7 de l’opéra]. VI - Entrée de l’Empereur et de sa Cour [n° 18 de l’opéra]) s’ouvre sur un éternuement, ce qui, selon le compositeur, est conforme à la tradition hongroise qui veut que « si une affirmation est suivie de l’éternuement de l’un des auditeurs, elle est considérée comme avérée ». L’orchestre convoqué par Kodály est fourni (bois par trois plus saxophone, quatre cors, quatre trompettes, deux cornets à pistons, trois trombones, tuba, cymbalum, célesta, piano, percussions, timbales, seize premiers violons, quatorze seconds, douze altos, dix violoncelles et huit contrebasses), mais il reste constamment transparent, fluide, grondant et richement coloré, l’expression festive et ludique, la richesse de timbres titillant continuellement l’oreille, l’Orchestre National de Lyon s’avérant rutilant et précis sous la direction discrète mais efficace du chef français Fabien Gabel, disciple de David Zinman et de Kurt Masur, et actuel directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Québec.

Giusepina Grassini (1773-1850) dans le rôle-titre de Zaïra de Peter von Winter en 1805. Tableau de Louise-Elisabeth Vigée-Le-Brun. Photo : DR 

Cette Suite de Kodály a résonné opportunément pour l’Orchestre National de Lyon sous le chapiteau du Château Louis XI, remplie à ras bord, car la phalange symphonique était réduite au service minimum dans l’œuvre suivante, le septième de ses treize Concertos pour violon et orchestre de Pierre Rode (1774-1830). Bruno Messina, le directeur du Festival Berlioz qui souhaitait inscrire une œuvre française du temps de Napoléon dans ce programme évoquant a posteriori les défaites de l’Empereur des Français, a sollicité Tedi Papavrami, qui, à sa grande surprise, connaissait l’existence de ce Bordelais qui fut l’élève favori de Giovanni Battista Viotti (1755-1824) et de ses œuvres exclusivement dédiées au violon. 

Tedi Papavrami (violon), Fabien Gabel et l'Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou

Le violoniste franco-albanais avait en effet travaillé ces œuvres lorsqu’il était élève au Conservatoire de Tirana, sans néanmoins avoir eu l’opportunité de les jouer en concert. C’est donc avec plaisir que Tedi Papavrami a relevé le défi lancé par Bruno Messina, pour donner du concerto retenu une interprétation de tout premier plan à une œuvre bien faite mais sans grand attrait ni personnalité affirmée, l’interprète exaltant des sonorités de braise en toute simplicité et avec une tenue d’archet et d’instrument incroyablement souple et naturelle. Tedi Papavrami est indubitablement l’un des grands violonistes de notre temps, et l’un des rares à savoir préserver un jeu brillant et aérien sans fioriture ni ostentation. Il faut son prodigieux talent pour susciter l’intérêt dans l’écoute de cette œuvre certes virtuose mais dont la musicalité n’existe que par celle de son soliste, l’orchestre peu coloré (flûte, deux hautbois, deux bassons, deux cors, cordes [12-10-8-6-4], le timbalier n’intervenant que fort occasionnellement) étant réduit au rôle de tapis de sons. 

Tedi Papavrami (violon) et l'Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou

Le seul intérêt historique quoiqu’anecdotique de cette partition est la légende qui veut que son auteur ait profité de sa situation de violon solo de la musique du Premier-Consul Bonaparte pour « piquer » la maîtresse de ce dernier, la cantatrice Giusepina Grassini - épisode qu’Abel Gance a intégré à son film Napoléon - avec qui il finit par fuir le courroux du Premier-Consul cocu à Saint-Pétersbourg… En bis, Tedi Papavrami a donné le deuxième des vingt-quatre Caprices op. 1 de Niccolò Paganini (1782-1840), celui en si mineur marqué Moderato qui sollicite les doubles cordes et adopte la forme question-réponse.

Fabien Gabel et l'Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou

Moscou, octobre 1812

La seconde partie du concert était consacrée à l’année 1812 et la débâcle de Napoléon en Russie. A l’issue de l’entracte, l’Orchestre National de Lyon au complet a donné une suite symphonique réalisée par le compositeur-arrangeur-biographe états-unien Christopher Palmer (1946-1995) de l’opéra Guerre et Paix op. 91 en deux parties et treize scènes d’une durée totale de plus de quatre heures qui occupa onze années (1941-1952) de la vie de Serge Prokofiev (1891-1953), qui en tira le livret avec sa femme Mira Mendelssohn du roman éponyme de Léon Tolstoï (1828-1910). Dans cet opéra, qui requiert la participation de soixante-six chanteurs solistes et d’une énorme masse chorale, Prokofiev a cherché à établir les rapports entre la Seconde Guerre mondiale et la résistance russe contre l’envahisseur étranger, que ce soient les armées nazies ou celles de Napoléon. Les passages du roman retenus par le compositeur avec le concours de sa femme ont été réalisés avec la certitude que les auditeurs potentiel de l’ouvrage connaissent parfaitement le roman qui l’a inspiré, et qu’à partir des fragments retenus ils seraient capables de reconstituer la totalité du drame en se souvenant des événements à peine efflorés dans l’opéra. Les épisodes s’enchaînent sans former une trame rigoureuse mais les tableaux sont élaborés selon la technique du montage cinématographique, tandis que les conflits personnels sont toujours en relation avec les conflits politiques. La suite que Palmer a tirée de l’opéra de Prokofiev est en trois partie : Le bal (Fanfare, Polonaise, Valse, Mazurka), Intermezzo (Nuit de mai) et Finale (Tempête de neige, Bataille, Victoire). Très rarement programmée en France - une seule production de l’opéra, celle de l’Opéra de Paris mise en scène par Francesca Zambello créée en 2000 et reprise en 2005 et 2010 -, dans sa forme originale comme dans forme de suite, la sélection opérée par Palmer ne donne pas la mesure de l’œuvre de Prokofiev, qui est plus diverse et contrastée que ce que donne à entendre la suite, qui s’avère trop tonitruante et monochrome. Surtout en regard de l’œuvre qui l’a suivie, l’Ouverture solennelle 1812 que Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) composa entre septembre et novembre 1880 pour commémorer la victoire russe face aux armées de Napoléon.

L'Orchestre National de Lyon et l'Ensemble à Vent de l'Isère côté cour. Photo : (c) Bruno Serrou

Tchaïkovski commence son ouverture avec le chant militaire russe Dieu, sauve ton peuple exposé d’entrée par quatre des dix violoncelles et deux des douze altos qui annonce l’entrée en guerre de la Russie contre la France. Suit le thème des armées en marche énoncé par les quatre cors, puis la victoire française à la bataille de la Moskova et la prise de Moscou évoquées par la Marseillaise dont les expositions se terminent chaque fois sur des glissandi prémisses de la défaite française confortés  par l’exposition de chants populaires russes avertissant des revers à venir de Napoléon. A commencer par la retraite de ce dernier de Moscou en octobre 1812 représentée par un diminuendo, avant que surviennent les quatre premiers coups de canon figurant l’avancée russe à travers les lignes françaises, avant que sonneries de cloches et onze salves de canon célèbrent la victoire des Russes sur les Français, tandis que l’hymne impérial russe Dieu sauve le tsar - pendant l’ère soviétique, ce dernier était remplacé par le chœur final de l’opéra de Glinka Une vie pour le tsar - engloutit peu à peu la Marseillaise. Cette page, qui a naturellement suscité l’enthousiasme du nombreux public qui l’a écouté hier, a permis aux cordes graves de l’Orchestre National de Lyon de se distinguer par la qualité de leur palette de couleurs et par leur homogénéité, mais aussi les cuivres rutilants et les bois dans leur ensemble, avant d’être rejoints au pied du plateau des deux côtés de la salle, par une quarantaine de cuivres du jeune Ensemble à Vent de l’Isère entendus le premier jour du festival qui se sont remarquablement fondus aux sonorités étincelantes de leurs aînés de l’Orchestre National de Lyon dirigé avec souplesse et à force gestes amples et fluides par Fabien Gabel.

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Ce mercredi soir, à 21h, sous le chapiteau du Château Louis XI, l’Orchestre des Pays de Savoie dirigé par Nicolas Chalvin, son directeur musical, accompagne Nicholas Angelich dans le Cinquième Concerto pour piano et orchestre « l’Egyptien » de Saint-Saëns, entre la Victoire de Wellington ou la Bataille de Vitoria et la Symphonie « Eroica », deux partitions de Beethoven.


Bruno Serrou

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