mercredi 12 août 2015

La Roque d’Anthéron ou le Royaume de Chopin

La Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône), Parc du Château de Florans, mardi 11 août 2015

Photo : (c) CGREMIOT

Le Festival international de piano de La Roque d’Anthéron reste le rendez-vous obligé de l’été des amoureux du piano. Pourtant, l’atmosphère est moins festive que l’année dernière encore. Les économies sont visibles dès l’arrivée, et l’on sent que la priorité absolue est donnée - à juste titre - à l’artistique, tout ce qui concerne le superflu étant passé par pertes et profits. L'aridité du temps se ressent jusque dans la plaquette programme réduite de moitié et qui ne compte plus de notices des œuvres jouées, ce qui suscite quelque lamentation de la part du public. Néanmoins, et c'est là l'essentiel, l’offre de concerts, priorité absolue des organisateurs, est toujours aussi foisonnante, avec trois récitals en même temps autant d'endroits différents. Ce mardi 11 août, à 18h, un récital au Parc, un autre à Lombesc, un troisième dans l'enceinte du parc. Idem le soir. Soit six rendez-vous en une soirée, et pas des moindres...

Frédéric Chopin (1810-1849). Photo de Louis-Auguste Bisson, DR

... Tandis que dans le temple de Lourmarin, lieu magnifique mais d’une touffeur si excessive qu’il arrive souvent que des spectateurs s’évanouissent, Forent Boffard offrait ce qui restera sans doute le programme le plus original et téméraire de l’édition 2015. Boffard, il est vrai, est l’un des pianistes les plus engagés dans la musique de notre temps, restant fidèle en cela à ce qu’il était au début de sa carrière lorsqu’il était membre de l’Ensemble Intercontemporain, aux côtés de Pierre-Laurent Aimard. Dans l’atmosphère surchauffée du Temple de Lourmarin, Boffard s’est félicité du public à l’écoute avide de découvertes, attentif à ses explications sur la Sonate n° 3 de Pierre Boulez dont ils sont loin d’être familiarisés, et qu’il avait entouré de la Sonate « 1er octobre 1905 » de Leoš Janacek, de la Sonate de Berg et de pages plus familières au public du festival, puisque signées Frédéric Chopin…

Miroslav Kultyshev. Photo : (c) : CGREMIOT

Chopin, qui reste le héros de La Roque d’Anthéron, l’immense majorité des pianistes s’y produisant, lui dédiant sinon un concert entier au moins une part essentielle de leur prestation et, s’il en est exclu, un ou deux de leurs bis obligés. Les festivaliers les plus fidèles - ils sont nombreux - ont ainsi pour beaucoup entendu sur la scène du Parc du Château de Florans et dans ses environs plusieurs intégrales du compositeur polono-français. Ainsi, en deux jours de festival 2015, trois concerts monographiques, deux autres pour moitié, et seulement deux sans une note de lui. Contrairement à ce qui était annoncé, le jeune trentenaire pétersbourgeois Miroslav Kultyshev a donné non pas les 24 Préludes op. 28 mais l’intégrale des 24 Etudes équitablement réparties en deux cahiers, les opp. 10 et 25

Miroslav Kultyshev. Photo : (c) : CGREMIOT

Devant un public assez clairsemé, ce Deuxième Prix du 13e Concours Tchaïkovski en 2007 (le premier prix n’avait pas été attribué) puis le Monte-Carlo Piano Masters en 2012, qui donna son premier concert avec orchestre à l’âge de dix ans (quatre ans après son premier récital) avec le Philharmonique de Saint-Pétersbourg dirigé par Yuri Temirkanov dans le Concerto n° 20 de Mozart, joue Chopin en poète raffiné du piano avec une facilité déconcertante, ce qui lui permet de faire chanter ces pièces avec un onirisme lumineux magnifié par un toucher aérien, prenant l’auditeur par la main pour le tenir en haleine d’un bout à l’autre des deux cahiers d’études qui, enchaînés presque d’un jet, ont pris sous ses doigts et avec sa sensibilité le tour d’un livre d’images de conte. En bis, il a conforté cette impression dans des pages plus figuratives, le Widmung de Robert Schumann, Feux follets, cinquième des Etudes d’exécution transcendante de Franz Liszt, et Alborada del gracioso, quatrième des Miroirs de Maurice Ravel.

Yulianna Avdeeva. Photo : (c) CGREMIOT

Plus maniérés sont apparus les Chopin de sa consœur moscovite Yulianna Avdeeva. Premier Prix du 16e Concours Chopin de Varsovie en 2010, première femme à avoir remporté cette épreuve quarante-cinq ans après Martha Argerich, cette pianiste de 30 ans connaît bien sûr parfaitement l’œuvre du compositeur polonais, mais le son est étroit et la vision glaciale, au point qu’elle semble elle-même s’ennuyer dans ces pages, donnant l’impression de faire tout ce qu’elle peut pour se convaincre de sa conception des œuvres en minaudant à force de mimiques et de gestes des bras convenus. Il convient de reconnaître que les éléments sont sont alliés contre elle. Dans la Fantaisie, un avion de chasse en rase-motte, suivi d'un canadair volant lourdement ont troublé sa prestation, tandis que das la Polonaise, une sauterelle se lovait dans les cordes du Steinway avant de se jeter violemment sur son visage, Pourtant, c'est précisément avec la Polonaise op. 44 que la pianiste moscovite est véritablement entrée dans son programme. Jusqu’à ce qu’enfin, l’entracte passé, elle se lance dans la Sonate n° 8 en si bémol majeur op. 84, dernière des trois « sonates de guerre » de Serge Prokofiev. 

Yulianna Avdeeva. Photo : (c) CGREMIOT

Dès le mélancolique Andante dolce introduisant le mouvement initial, Yulianna Avdeeva séduit par l’élégance liquide de son toucher, qui en exalte le climat mystérieux de ce passage avant de s’épanouir pleinement dans un Allegro moderato d’une solidité et d’un allant éblouissant mus par une rythmique solide comme le roc. A l’instar du finale, ardent et virtuose joué avec une impressionnante maîtrise, qui n’est pas sans rappeler la noblesse simple d’un Gilels, le créateur de cette partition le 30 décembre 1944. Deux bis ont suivi, une dense Méditation op. 72/5 de Tchaïkovski qui a permis à la pianiste de reprendre souffle avant une Valse op. 42 de Chopin plus convenue.

Bruno Serrou

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