vendredi 28 août 2015

Festival Berlioz VIII : Berlioz et Napoléon autobiographes contés par Jean-François Heisser, Ariane Jacob, Pierre Lenert et Didier Sandre

La Côte-Saint-André (Isère), Eglise Saint-André et Chapiteau de la Cour du Château Louis XI, jeudi 27 août 2015

                                Hector Berlioz (1803-1869)                    Napoléon Bonaparte (1769-1821)

S’il est deux personnalités françaises à s’être beaucoup épanchées sur leur propre sort, ce sont Hector Berlioz et Napoléon Bonaparte. Le premier s’est mis en musique comme seul le fera aussi clairement Richard Strauss, qui l’admirait au point d’élever l’autobiographie musicale au somment de l’art musical, le second a expressément tenu à ériger son propre mémorial à sa gloire en écrivant ses mémoires pour la postérité, occupant ainsi les longues journées d’un exil aux antipodes auquel les coalisés l’avaient condamné après sa défaite à Waterloo le 18 juin 1815.

Pierre Lenert (alto) et Ariane Jacob (piano). Photo : (c) Bruno Serrou

Berlioz par Pierre Lenert et Ariane Jacob

L’altiste Pierre Lenert et la pianiste Ariane Jacob se sont attachés au premier, Hector Berlioz dont le festival organisé dans son village natal de La Côte-Saint-André célèbre chaque année son œuvre, sa mémoire et son temps, en donnant l’œuvre-symbole de l’alto, Harold en Italie op. 16 H 68 pour laquelle le compositeur puise dans ses souvenirs de voyage dans les Abruzzes tout en empruntant à Lord Byron et à son roman Le pèlerinage de Child Harold (1812-1818). L’œuvre a été donnée ce jeudi non pas dans sa version originale mais dans l’arrangement que Franz Liszt en a fait pour alto et piano. En effet, ami fidèle du compositeur français, qui composa cette symphonie en quatre parties avec alto principal en 1834 pour Niccolò Paganini qui en refusa la création parce qu’elle ne mettait pas suffisamment l’alto en valeur à son goût - l’œuvre est créée le 23 novembre 1834 au Conservatoire de Paris par Chrétien Uhran et dirigée par Narcisse Giard -, en se portraiturant à travers le personnage d’Harold confié à l’instrument soliste, mais dans celle de Liszt, qui, conquis par l’œuvre, en réalisa une transcription pour piano et alto dès 1836-1837. Le compositeur hongrois remettra le manuscrit à Berlioz pour qu’il le relise, le récupèrera en 1852, et le corrigera selon les modifications que son ami portera à sa propre version, en donnant notamment à l’alto la place exacte qui lui est attribuée dans la forme originale définitive. L’on sait le talent de Liszt pour mettre tout un orchestre dans le coffre d’un piano, et l’on sait également combien l’orchestre de Berlioz, orchestrateur de génie (ce que Liszt n’était pas), est luxuriant, dense et fluide à la fois. C’est dire l’abondance de la partie piano d’Harold en Italie S. 472 de Liszt qui parvient à restituer la diversité de l’instrumentation originale, qui une flûte, un hautbois ou le cor anglais dans la Sérénade, qui un cor ou une trompette, la harpe ou les timbales, tandis que la partie d’alto reste en son état initial. Pierre Lenert, premier Alto Super Soliste de l’Opéra de Paris depuis l’âge de 19 ans, a donné de son bel instrument Vuillaume de 1865 une interprétation de sa partie onirique et évocatrice, se fondant avec souplesse au piano-orchestre déployé avec une justesse stupéfiante et une maîtrise éblouissante par sa complice Ariane Jacob, qui a donné à l’Orgie des Brigands finale une force et une exaltation sonore impressionnantes. Tandis que la pianiste se retrouvait seule devant le public dans cet ultime mouvement incarnant l'orchestre auquel Berlioz réserve l'essentiel de ce mouvement, l’altiste s’est retiré discrètement à l’arrière-scène, avant de joindre ses volutes finales dans le lointain aux derniers accords de sa partenaire, ce qui s’avère la seule solution possible à cette partie d’où l’alto est absent les neuf-dixième du temps.

Niccolò Paganini (1782-1840). Photo : DR

La première partie du récital de Pierre Lenert et Ariane Jacob était entièrement dédiée à des pages du dédicataire d’Harold en Italie, Niccolò Paganini.  Les deux artistes ont proposé dès l’abord la Sonate « per la grand viola » que le violoniste-compositeur italien écrivit pour grand alto et orchestre en 1834, la même année qu’Harold en Italie de Berlioz. Puis Pierre Lenert joua seul des transcriptions pour alto des 21e Caprice, Sonate Napoléon et 24e Caprice. L’alto de Lenert adoucit la virtuosité qui semble primer dans leur version originale pour violon, qui tend à faire passer la musique à l’arrière-plan au profit du panache, donnant à ces pièces une variété de couleurs et de ton insoupçonnée et, de ce fait, de bon aloi. En bis, Lenert et Jacob ont donné la délicate Romance oubliée S. 132 pour alto et piano de Franz Liszt.

De gauche à droite : Jean-Français Heisser, Jean-Claude Acquaviva, Bruno Coulais, Didier Sandre, A Filetta et, à l'arrière-plan, l'Orchestre Poitou-Charentes. Photo : (c) Bruno Serrou

Création mondiale de l’oratorio Nabulio de Jean-Claude Acquaviva et Bruno Coulais

Si Hector Berlioz était totalement absent du concert du soir au Château Louis XI, c’est pour s’effacer devant son impériale majesté Napoléon Bonaparte, qui, rappelons-le une fois de plus, suscitait son admiration sans ombre. Cette soirée constituait le deuxième rendez-vous phare de l’édition 2015 du Festival Berlioz. Il s’agissait en effet de la création mondiale d’une œuvre de quatre vingt dix minutes pour récitant, six voix d’hommes et orchestre (bois par deux, cor, deux trompettes, trombone, piano, harpe, célesta, timbales, percussion, cordes [10 premiers et 8 seconds violons, six altos, quatre violoncelles, trois contrebasses]). Dirigée du piano et du célesta par Jean-François Heisser à la tête de son Orchestre Poitou-Charentes, cette œuvre épique intitulée Nabulio, diminutif que les Corses insulaires donnaient à Napoléon Bonaparte enfant, se fonde sur des lettres de l'empereur et sur ses mémoires, de son enfance à Ajaccio jusqu’à sa mort à Sainte-Hélène en passant par ses conquêtes et défaites amoureuses, politiques et territoriales, l’évocation de la naissance de son fils, l’Aiglon, et de l’avenir de ce dernier, de la postérité que Bonaparte allait laisser à la France et à l'Histoire… Deux compositeurs se sont associés pour illustrer ces textes, Bruno Coulais (né en 1954), auteur de plus de deux-cents musiques de film, dont les Choristes et les Rivières pourpres, et l’auteur-compositeur-interprète corse Jean-Claude Acquaviva (né en 1965), chanteur et compositeur du groupe de polyphonies corse « A Filetta » fondé en 1978 dont il est l’une des six voix, également signataire des textes en langue corse de Nabulio

Le groupe de polyphonies corses A Filetta et les instruments à vent de l'Orchestre Poitou-Charentes. Photo : (c) Bruno Serrou

Commençant sur une longue introduction au piano de style atonal sonnant de loin en loin comme du Stockhausen, joué avec sérénité par Jean-François Heisser, la partition de Bruno Coulais qui use intelligemment du micro-intervalle tend à se faire de plus en plus tonale au fur et à mesure que se dessine le destin de Napoléon. Les polyphonies corses écrites par Jean-Claude Acquaviva ponctuent a capella les pages de Coulais, qui s’approchent de plus en plus du style de son comparse corse. Sans être novatrice, cette épopée musicale a pour elle l’originalité d’un mixage intelligent entre deux écritures musicales savantes apparemment antinomiques mais qui se fondent dans un même moule pour engendrer une œuvre particulièrement évocatrice. Surtout grâce à la présence du comédien metteur en scène Didier Sandre, pensionnaire de la Comédie Française, qui, soutenu avec attention par le pianiste-chef d'orchestre, dit avec un engagement de chaque instant servi par une diction exemplaire d'une sa voix grave et posée les textes de Napoléon, qu’il incarne avec une intensité saisissante. Seule petite réserve, l'orchestre couvre parfois le récitant au risque de le rendre incompréhensible, voire quasi inaudible. 

Didier Sandre, Jean-François Heisser et l'Orchestre Poitou-Charentes. Photo : (c) Bruno Serrou

Le groupe A Filetta s’est imposé par la beauté des voix et la maîtrise extraordinaire de leur chant qui se s’entrecroisent, s’enchevêtrent et se détachent avec une dextérité inouïe. Sous la direction ferme et claire de Jean-François Heisser, les musiciens de l’Orchestre Poitou-Charentes a servi avec assurance cette partition qui rappelle opportunément que le Festival Berlioz est naturellement ouvert à la création et qui, souhaitons-le, sera reprise au plus tôt en d’autres lieux, notamment en Corse...

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Trois concerts ce vendredi 28 août à La Côte-Saint-André, un récital Jean-François Heisser, qui propose en l’église Saint-André à 17h un programme de musique espagnole pour piano (Albéniz, Granados, Mompou, de Falla), et l’intégrale en deux concerts (19h et 21h30) des Concertos pour pianos de Beethoven par François-Frédéric Guy dirigeant du piano l’Orchestre de Chambre de Paris dans la Cour du Château Louis XI.

Bruno Serrou

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