Menton (Alpes-Maritimes), Parvis de la basilique Saint-Michel-Archange,
Musée Cocteau et Esplanade Francis-Palmero, mardi 5, mercredi 6 et jeudi 7 août
2015
Festival de Musique de Menton, le parvi de la basilique Saint-Michel-Archange et la vue sur la Méditerranée et l'Italie. Photo : (c) Bruno Serrou
Pour sa soixante-sixième édition,
l’un des plus anciens festivals de France, le Festival de Musique de Menton,
reste fidèle à sa réputation en accueillant les plus grands interprètes
internationaux, du soliste à la formation de chambre sur le célèbre parvis de la
basilique Saint-Michel-Archange qui domine la mer et dont l’escalier plonge sur
la côte italienne qui part du poste frontière rendu fameux grâce à une séquence
du film le Corniaud de Gérard Oury.
La ville de Menton et la basilique Saint-Michel-Archange. Photo : (c) Bruno Serrou
Devant des salles toujours complètes, l’édition 2015 est centrée sur le
violon, « héros » de cinq des dix concerts organisés sur le parvis, avec
les stars de l’instrument que sont Pinchas Zukerman, qui a fait l’ouverture des
festivités à la tête du Camerata de Salzbourg, Christian Tetzlaff, venu en trio
avec sa sœur violoncelliste Tanja Tetzlaff et le pianiste Lars Vogt, et Janine
Jensen. Un violon principalement classique et romantique. Mais, s’il n’est pas
question de musique post-1950, qui « risquerait d’effrayer le
public et de l’éloigner définitivement » selon les responsables de la
manifestation, le répertoire baroque se taille aussi la part belle cette année,
avec, côté violon, Fabio Biondi et son orchestre Europa Galante, et, côté voix,
le contre-ténor Franco Fagioli accompagné par l’Orchestre de Chambre de Bâle.
Parvis de Saint-Michel-Archange, concert Fabio Biondi et Europa Galante. Photo : (c) Bruno Serrou
Un double de Bach fabuleux de Fabio Biondi et Fabio Ravasi
C’est le premier que j’ai pu
écouter durant mon séjour à Menton. En soliste comme avec son ensemble qu’il a
créé en 1989, Fabio Biondi est l’un des musiciens baroques les plus ouvert et
aventureux qui se puisse trouver au sein de sa génération. Formé à la grande
école du violon italien, ce palermitain de 54 ans est aussi un grand lyrique,
faisant chanter son instrument tel un belcantiste, et dirigeant aussi bien
l’opéra que l’orchestre à l’instar de ce qui se faisait aux XVIIe et
XVIIIe siècles, des prémices de l’ère baroque au premier romantisme,
avec toujours la même élégance et un constant souci d’authenticité. C’est dans
le répertoire baroque négligé du XVIIe siècle que cet ex-enfant
prodige - il s’est imposé au public à peine âgé de 12 ans - se distingue
particulièrement, mais aussi dans le XVIIIe et le début du XIXe,
où la luminosité de son italianita
fait des étincelles. Après avoir été premier violon et conseiller artistique de
La Chapelle Royale de Philippe Herreweghe, des Musiciens du Louvre de Marc
Minkowski, d’Hespèrion XX et la Capella de Catalunya de Jordi Savall, du
Clemencic Consort de René Clemencic et d’Il Seminario musicale de Gérard Lesne,
Fabio Biondi a fondé en 1981 le Quatuor Stendhal sur instruments d’époque et est
devenu professeur au Conservatoire de Parme avant de créer en 1990 sa propre
formation, Europa Galante, ensemble à géométrie variable d’une quinzaine de
musiciens jouant sur instruments anciens qu’il dirige du violon. « Mes
interprétations résultent de recherches musicologiques sur des manuscrits
anciens, me rappelait-il après son concert de mercredi, mais elles se
caractérisent surtout par une quête poétique qui passe par la virtuosité et la
dynamique du jeu instrumental. » Si Vivaldi est au centre de son activité,
il a aussi pour ambition de faire revivre l’ensemble du répertoire italien, de
Cavalli à Donizetti, en passant par Scarlatti, Tartini, Caldara, Boccherini,
Bellini, Rossini…
Menton, vue partièle de la façade de la basilique Saint-Michel-Archange. Photo : (c) Bruno Serrou
Enchaînant la Suite d’orchestre que Georg Friedrich
Haendel a tirée du premier des quatre opéras qu’il a composés pour la scène
italienne, Rodrigo (1707), à quatre
concertos d’Antonio Vivaldi, deux de la Stravaganza
op. 4 (RV 357 et 284), et deux de l’Estro Armonico op. 3 (RV. 522 et 230), et malgré l’extraordinaire jubilation du jeu de Biondi et de
ses onze musiciens jouant debout en arc de cercle autour de la claveciniste du
groupe (quatre premiers violons, trois seconds, un alto, un violoncelle, un
violone, un théorbe), il est ressorti de ces pages une impression de très long
monolithe, les morceaux se succédant de façon rébarbative, sans rupture de ton,
de couleurs ni d’intonation, chaque œuvre semblant être la copie conforme de
celle qui la précédait et de celle qui la suivait… L’on sentait bien pourtant
que l’on entendait ces pages dans les meilleurs conditions imaginables jouées
par ses interprètes les plus convaincus et convaincants, mais, du moins pour ma
part, le ressenti s’est avéré sclérosant et lassant, et les musiciens avaient
beau faire, je perdais patience au point de ne plus tenir sur mon siège…
Menton, façade de la basilique Saint-Michel-Archange. Photo : (c) Bruno Serrou
… Jusqu’à ce qu’enfin survienne
la toute dernière œuvre du programme, le célébrissime Concerto pour deux violons en ré mineur BWV 1043 de Jean-Sébastien
Bach. Un Bach jaillissant, chatoyant, vivifiant, dynamique, chantant, les
archets des deux solistes rebondissant avec grâce et un allant extraordinaire sur
les cordes, chacun rivalisant de virtuosité et de plastique sonore, Fabio
Ravasi s’avérant l’égal de son partenaire, Fabio Biondi. Cette interprétation
d’une élégance, d’une finesse et d’une précision remarquables a porté cette
page pourtant rabâchée au pinacle, démontrant ainsi les progrès incroyables
réalisés par les musiciens baroques qui relèguent désormais les ensembles sur
instruments modernes au rang d’antiquité, impression renforcée une semaine
après l’audition de la même partition au Festival de Prades par un grand
violoniste, certes, puisqu’il s’agissait de Pierre Amoyal, mais moins aérien et
délié que son cadet Fabio Biondi, de plus accompagné par un ensemble
particulièrement décevant (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/07/pierre-amoyal-le-fine-arts-quartet-et.html).
Musée Cocteau. Un dessin de Jean Cocteau de la Collection Séverin Wunderman. Photo : (c) Bruno Serrou
Le Quatuor Hermès et Kotaro Fukuma au Musée Cocteau
Outre les grands concerts du parvis de la basilique,
d’autres propositions sont faites dans un lieu d’une toute autre nature, le Musée
Cocteau conçu par l’architecte italien Rudy Ricciotti où sont exposés les
dessins du poète de la Collection Séverin Wunderman. Ces rendez-vous permettent
à de jeunes musiciens auréolés de prix et de concours internationaux réputés déjà
engagés dans leur carrière de se faire entendre du public mentonnais. Ainsi, un
an après la violoniste Solenne Païdassi et le pianiste Frédéric Vaysse-Knitter
(voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/legende-vivante-du-piano-menahem.html), j’ai pu assister à deux concerts de
cette série.
Festival de Menton, Musée Cocteau. Le Quatuor Hermès : Omer Bouchez et Elise Liu, (violons), Anthony Condo (violoncelle), Yung-Hsin Lou Chang (alto). Photo : (c) Bruno Serrou
Le premier de ces concerts a présenté le Quatuor Hermès
découvert au Festival de Pâques de Deauville 2014 dans des œuvres de Leoš
Janacek et Thomas Adès. Constitué de deux jeunes femmes (la violoniste Elise
Liu et l’altiste Yung-Hsin Lou Chang) et de deux jeunes gens (le violoniste
Omer Bouchez et le violoncelliste Anthony Kondo), tous issus du Conservatoire
National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, formé à l’aune des Ravel et
des Ysaÿe, résident de la Fondation Singer-Polignac depuis 2013, le Quatuor
Hermès s’est rapidement imposé parmi les meilleurs quatuors d’archets de leur
génération, en France et à l’étranger, au concert comme au disque, remportant
partout où ils se produisent de francs succès confortés par plusieurs
récompenses attribuées à leur enregistrement des quatuors à cordes de Robert
Schumann paru l’an dernier. C’est justement dans deux pages de jeunesse qu’ils
ont choisi de se produire à Menton, devant un public nombreux dont la moyenne
d’âge était proche de la somme de leurs âges respectifs. Le Quatuor à cordes n° 14 en sol majeur KV. 387
est le premier des six quatuors que Mozart a dédiés à Joseph Haydn un an après
leur première rencontre en 1781. Ce n’est donc pas à proprement parler une
œuvre de jeunesse, puisque son auteur avait vingt-cinq ans au moment de la
genèse de l’œuvre et qu’il ne lui restait moins d’une décennie à vivre, mais la
fraîcheur et la spontanéité juvénile qui en émane a été restituée avec naturel
et une générosité de bon aloi. Mais c’est dans le deuxième des trois Quatuor à cordes op. 41 de Robert
Schumann que les quatre archets ont donné la plénitude de leurs moyens,
imposant leurs sonorités rondes et épanouies, leur élan et leur intelligence de
l’univers du compositeur rhénan alors en pleine maturité d’homme et d’artiste. En
bis, les Hermès ont donné une plaisante interprétation d’un arrangement pour
quatuor à cordes de la Pastorale de l’Arlésienne de Georges Bizet.
Festival de Menton, Musée Cocteau. Kotaro Fukuma (piano). Photo : (c) Bruno Serrou
Le second concert de la série Concerts au Musée auquel
j’ai assisté a été l’occasion d’écouter le pianiste japonais vivant en France
Kotaro Fukuma, lauréat du Concours de Cleveland 2003, disciple de rien moins
que Bruno Rigutto, Marie-Françoise Bucquet, Leon Fleisher, Mitsuko Ushida,
Richard Goode, Alicia de Larrocha, Maria Joao Pirès, Aldo Ciccolini… Au
programme, des pages de jeunesse de Mozart, Beethoven et Schubert, avec pour
chacun d’eux la première sonate pour piano de leur catalogue, et, pour le
troisième, l’adjonction des 10 Variations
en fa majeur D. 158. Un programme joué avec dextérité et allant, du moins autant
que j’ai pu en juger depuis le dernier rang de côté où j’étais assis d’où
l’acoustique, certes présente, s’est avérée sèche, mais plus probant dans les deux
bis, un Nocturne de Chopin onirique et
surtout un éblouissant Scherzo du
trop rare Eugen d’Albert.
Festival de Menton, Musée Cocteau. l'intérieur du couvercle du piano Bösendorfer porteur de la reproduction gravée de l'Orphée et sa lyre dessiné par Jean Cocteau. Photo : (c) Bruno Serrou
A noter que le piano sur lequel a joué Fukuma est un
trois-quarts de queue Bösendorfer dit « modèle Cocteau » en raison de
la présence de l’Orphée dessiné par
le poète gravé à l’intérieur du couvercle.
Menton, Esplanade Francis-Palmero : le Smart is Brass. Photo : (c) Bruno Serrou
« Festival off »
Parallèlement aux concerts « officiels », le
festival organise de sa propre initiative un « off » qui lui permet
de présenter des formations hors normes composées de musiciens de haut vol.
Ainsi un quintette de cuivres, le Smart is Brass, constitué de Rémy Labarthe et
Pierre Désolé (trompettes), Guillaume Begni (cor), Jonathan Reiss (trombone) et
Florian Coutet (tuba), tous cinq membres d’orchestres symphoniques et lyriques français
(Orchestre de Paris, Orchestre de l’Opéra de Paris, Orchestre de Chambre de
Paris, Orchestre National de Lyon, Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo),
a proposé sous un chapiteau planté sur l’Esplanade Francis-Palmero au cœur d’un
parc longeant la mer à quelques mètres du Bastion du Vieux Port restauré à l’initiative
de Cocteau un programme grand public constitué d’arrangements d’œuvres
célèbres, de Bernstein à Chostakovitch, de Weill à Gershwin, de Cosma à Green.
Une prestation de grande qualité mais manquant du peps requis dans un tel contexte de fête musicale populaire car jouée
de façon plus canalisée que ludique et, de ce fait, plus contrainte que déliée.
Menton, le "Off" sur l'Esplanade Francis-Palmero. Au fond, le Bastion du Vieux-Port. Photo : (c) Bruno Serrou
Paul-Emmanuel Thomas, directeur artistique du Festival de
Musique de Menton, s’est engagé à ce que la prochaine édition de la
manifestation azuréenne élargisse davantage encore son offre de concerts, qui
sera enrichie d’une nouvelle série dédiée aux plus jeunes musiciens, frais
émoulus des conservatoires et des concours internationaux, en partenariat avec
les pianos Yamaha désormais propriétaire du célèbre facteur viennois
Bösendorfer.
Bruno Serrou
Le Festival de Musique de Menton 2015 se poursuit
jusqu’au 13 août. www.festival-musique-menton.fr
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