mardi 7 mai 2024

Flamboyant bicentenaire de la IXe Symphonie de Beethoven, hymne à la fraternité universelle et de l’Europe par l’Orchestre de Paris et son chœur dirigés par Klaus Mäkelä

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 6 mai 2024

Klaus Mäkelä; Orchestre de Paris, Choeur de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris

Bicentenaire en apothéose de la IXe Symphonie de Beethoven les 6 et 7 mai 2024 (1) à la Philharmonie de Paris par un Orchestre de Paris et son Chœur des grands soirs sous la direction vive, enthousiaste, flamboyante de son directeur musical Klaus Mäkelä avec un brillant quatuor vocal, précédé du rare Chant élégiaque op. 118, et conclu sur un finale enflammé de l’Ode à la joie, hymne de l’Europe depuis 1972, événement relayé par la chaîne de télévision franco-allemande ARTE à cinq semaines des élections européennes 

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris

Créée à Vienne le 7 mai 1824 au Theater am Kärntnertor - Théâtre de la cour impériale et royale de Vienne implanté près de la Porte de Carinthie -, en même temps que l’ouverture La Consécration de la maison op. 124 et que les trois premières parties (Kyrie, Gloria, Credo) de la Missa solemnis op. 123 devant une salle comble, l’ultime symphonie de Beethoven, la Neuvième en ré mineur op. 125 a conduit son auteur à faire sa première apparition publique après douze ans d’absence. « Jamais de ma vie je n’ai entendu des applaudissements aussi furieux et sincères qu’aujourd’hui, écrira le secrétaire de Beethoven Anton Schindler à l’issue du concert. Le deuxième morceau de la Symphonie a été absolument interrompu une fois par les applaudissements, et il aura fallu le recommencer. » Pour remplir la salle, le chaland a été attiré par des affiches soigneusement amendées par le compositeur, qui retint ce texte : « Le [vendredi] 7 mai [1824] aura lieu une grande académie musicale, donnée par M. L. Beethoven. Des œuvres nouvellement écrites, composeront le programme. 1) Grande ouverture. 2) Trois hymnes avec solo et chœurs. 3) Grande symphonie avec entrée dans le finale de solos et chœurs sur l’Ode à la joie de Schiller. Les solos seront chantés par Mlles [Henriette] Sontag et [Caroline] Ungher, et MM. [Anton] Heitzinger et [Joseph] Seipelt. M. Schuppanzigh conduira l’orchestre ; M. le maître de chapelle [Michael] Umlauf dirigera l’ensemble. L’orchestre et les chœurs seront renforcés par la société musicale d’amateurs. M. L. van Beethoven prendra une part personnelle à la direction. Le prix des places ne sera pas augmenté. » Pour cette première audition des trois œuvres retenues, l’auteur, handicapé par sa surdité quasi complète, se tient debout à la droite du chef d’orchestre afin de lui indiquer le tempo de chaque mouvement.

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris, Choeur de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris

Dès 1792, Beethoven, qui a 22 ans, a le désir de mettre en musique l’Ode à la joie (Ode an die Freunde) que le poète dramaturge Friedrich Schiller (1759-1805) a publiée en 1785, commençant à noter des éléments thématiques sous quelques vers en 1798, 1804 et 1812. Depuis 1795, il est obnubilé par une mélodie qu’il utilise dans plusieurs œuvres, à commencer par un lied, puis dans l’esquisse de 1804 de l’Ode à la joie, dans la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre de 1808 et dans un second lied en 1810. En 1823, alors qu’il tient le thème de sa symphonie commencée l’année précédente comme une œuvre purement instrumentale, il a l’idée de conclure cette dernière par une partie chorale sur le texte de l’ode de Schiller. Plus de trente ans de genèse auront donc été nécessaires pour la naissance de la symphonie qui dépasse largement toutes celles qui avaient été conçues avant elle, avec plus d’un tour d’horloge, chacun de ses quatre mouvements durant à lui seul autant que nombre de symphonies entières, tandis qu’elle est la toute première à faire intervenir la voix, servant de parangon à l’évolution de la symphonie, ouvrant la porte à des Mendelssohn-Bartholdy, Hector Berlioz et Gustav Mahler entre autres, tandis que, sous le poids de cette même Neuvième de Beethoven, un Johannes Brahms hésita longuement avant de donner le jour à la première de ses quatre symphonies, tandis que Richard Wagner, auteur d’une seule symphonie de jeunesse, voyait en elle « la dernière des symphonies ».

René Pape, Siyabonga Maqungo, Angel Blue, Catriona Morison, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Héritier de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoires fondée en 1828 qui a donné la première exécution en France des symphonies de Beethoven sous la direction François-Antoine Habeneck, qui donnèrent la création française de la Neuvième le 27 mars 1831 qui conduisit Victor Hugo à qualifier la qualifier l’œuvre et son finale de « voix ajoutées à l’Homme », l’Orchestre de Paris a pour l’occasion tourné le dos à ses habitudes anglo-saxonnes, Klaus Mäkelä décidant opportunément de disposer ses effectifs à l’allemande, premiers et seconds violons se faisant face séparés par violoncelles et altos, contrebasses côté jardin derrière premiers violons et violoncelles, ce qui favorise la polyphonie, l’harmonie, les rebonds et les réponses thématiques au sein des pupitre de cordes. Les Chœurs étaient disposés derrière les cuivres et la percussion répartis sur le plateau et surélevés devant le public installé derrière eux, les solistes au milieu d’eux. Après s’être échauffé avec le court et méconnu Chant élégiaque (doucement comme tu as vécu) op. 118 pour chœur et orchestre à cordes au caractère funèbre composé sur un poème de Johann Christoph Friedrich Haug (1761-1829) en 1814 et publié douze ans plus tard, suivi d’une courte pause, l’Orchestre de Paris au grand complet (16-14-12-10-8 pour les effectifs des cordes) a vigoureusement lancé l’Allegro ma non troppo sous l’impulsion énergique de son directeur musical, Klaus Mäkelä pour une interprétation épique, vivifiante, conquérante du chef-d’œuvre beethovenien. Le jeune et brillant chef finlandais à la tête des musiciens virtuoses de son Orchestre de Paris a offert une interprétation au cordeau, donnant une impulsion saisissante aux tempi toujours changeants aussi nombreux que soudains, imbriquant divers caractères, grandeur, humanité et alternant douleur, espoir, tendresse, universalité (la partie de percussion orientalisante est apparue dans toute sa splendeur), tandis que l’unité de l’œuvre est apparue dans son évidente clarté, avec la rythmique scandée dans le mouvement initial, entrecoupée de silences impressionnants dans le Scherzo Molto vivace, tandis que l’Adagio molto e cantabile s’est avéré tendrement chantant, débouchant sur un envoûtant finale toujours plus tendu au fur et à mesure du déploiement de ses quatre séquences, avec une élaboration magnifiquement évocatrice et élaborée du thème de l’Ode à la joie, jusqu’au Presto ouvert par la voix immense et expressive de la basse saxonne René Pape, bientôt rejoint par ses trois solides partenaires solos, la soprano californienne Angel Blue, la mezzo-soprano écossaise Catriona Morison et le ténor sud-africain Siyabonga Maqungo, qui remplaçait au pied levé Mauro Peter. Là, les effectifs solistes, choraux et instrumentaux s’élevant en apothéose dans un étincelant ré majeur, grandiose et haletant. Une interprétation magistrale à la hauteur de l’événement historique que constitue le bicentenaire de l’œuvre phare la plus justement populaire de toute l’histoire de la musique dans laquelle tous les pupitres de l’Orchestre de Paris ont pu illustrer leur souverain panache technique, sonore et musicale.

Bruno Serrou

1) Pour l’occasion, la chaîne de télévision franco-allemande ARTE et son extension Internet ARTE Concert retransmettent ce mercredi 7 mai cette même symphonie dont chacun des mouvements est interprété par quatre orchestres plus ou moins en léger différé, le Gewandhausorchester (mouvement I), l’Orchestre de Paris (mouvement II), l’Orchestre du Teatro La Scala di Milano (mouvement III) et les Wiener Symphoniker (Finale) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire