Paris. Philharmonie. Cité de la Musique. Salle des Concerts. Samedi 22 novembre 2025 (20h00)
La seconde partie de soirée de l’Ensemble Intercontemporain samedi 22 novembre 2025 à la Cité de la Musique de la Philharmonie de Paris, était consacrée à la première française du quatrième opéra d’Hèctor Parra, « Orgia » (2022) d’après la tragédie éponyme de Pier Paolo Pasolini dont le texte écrit entre 1965 et 1968 a été fidèlement adapté en italien par Calixto Bieito, qui en signe également la mise en scène
Créée le 22 juin 2023 au Teatro Arriaga de Bilbao par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Pierre Bleuse, Orgia est une œuvre d’une force extraordinaire, se présentant tel un coup de poing dans l’estomac, commençant par le suicide par pendaison du protagoniste mâle, Uomo (baryton), après s’être habillé en femme conscient de son homosexualité, l’opéra se présentant sous forme de flashback faisant revivre à l’Homme son existence compliquée face à deux Femmes (Donna, sa femme, et Ragazza, fille au sens fille de joie), toutes deux sopranos avec qui il aura instauré des relations pour le moins tendues et autodestructrices, le thème de la pièce annonçant celui du film Salo ou les 120 Journées de Sodome sorti en salle en 1975, l’année de la mort de son auteur. « Dans le cas qui nous occupe, écrivait Pasolini à propos d’Orgia, c’est la différence “sexuelle” qui a ouvert une brèche dans les murs de la cité. Le sexe - sous son aspect de “différence” sadomasochiste -, ne représente donc que quantitativement le contenu d’Orgia. Il faut en effet beaucoup de ce mélange explosif pour faire s’écrouler les épais murs d’une cité qui, pour les protagonistes de la pièce, est majorité et conformisme. »
Voilà plus d’une décennie que la tragédie de Pier Paolo Pasolini (1922-1975) préoccupe Hèctor Parra (né en 1976), qui, en 2016-2017, conçut l'opéra donné samedi à Paris à partir du texte du poète italien Orgia - irrisorio alito d’aria (Orgie - souffle d’air dérisoire) pour orchestre baroque et ensemble contemporain créé à Cologne le 11 mai 2018 par Concerto Köln et Musikfabrik dirigés par Stefan Asbury. « A la lecture d’Orgia j’ai été littéralement ébloui, rappelle le compositeur au magazine culturel Transfuge. J’ai aussitôt pensé en faire un opéra, seulement, à l’époque, je n’avais pas les droits. C’est pourquoi j’ai écrit ma pièce d’orchestre qui, en une demi-heure traverse la pièce entière. Je m’y réfère à la Johannes Passion de Bach, parce que la pièce a une dimension christique. […] Toujours à l’esprit le désire de concevoir cet opéra, j’ai composé le quatuor à cordes Un concertino di angeli contro le pareti del mio cranio (1) créé à Cologne en 2021 à partir du quatrième épisode d’Orgia. » Le compositeur catalan a confié la conception du livret à Calixto Bieito, avec qui il collaborait ici pour la troisième fois, après Wilde en 2015 et Les Bienveillantes en 2019. Le dramaturge castillan a repris les vers de Pasolini sans les altérer, se bornant à resserrer l’action selon le scénario d’origine, prologue et six épisodes inclus.
La réalisation musicale d’Hèctor Parra est exemplaire, l’expressivité déchirante, hallucinée, d’un lyrisme envoûtant. Le traitement vocal est extrêmement large (du parlé-chanté à l’aria en passant par le semi-récité et le chant lyrique extrêmement rythmé et le texte toujours compréhensible, avec un usage raffiné du falcetto et du cri, une écriture d’une créativité mélodique et rythmique peu ordinaire), l’écriture vocale étant dynamique, nerveuse, à l’instar de la langue de Pasolini, qui s’inspire de la tragédie grecque d’essence éminemment onirique. Côté instrumental, le petit ensemble de pupitres par un sans cor, constitué de quatorze musiciens (dont un archiluth) (2), sonne ample et coloré comme s’il s’agissait d’un grand orchestre aux voix multiples d’une limpidité exemplaire qui s’avère être le protagoniste central de l’opéra, Pierre Bleuse, au centre du dispositif, en soulignant avec la conviction de la passion le lyrisme exacerbé qui tétanise l’assistance, tout en dirigeant avec élégance et énergie un Ensemble intercontemporain sonnant vaillamment réparti en trois groupes, le décor derrière lui constitué d’un grand lit blanc et la corde du pendu au fond du dispositif, le trio de chanteurs s’exprimant sur les accessoires et entourés des spectateurs, s’illustrant autant comme comédiens que chanteurs, public d’abord debout, puis s’asseyant peu à peu assis, certains finissant allongés, se présentant ainsi comme autant de protagonistes, d’obstacles et de « mobiliers » autour desquels les personnages se meuvent.
Pendu habillé en femme, le vaillant baryton britannique Leigh Melrose s’impose dès le début à la fois vocalement, de sa voix puissante au timbre sombre, et par sa façon de vivre sa mort choisie après qu’il eût découvert son homosexualité, s’agitant au bout d’une corde pendu au-dessus du vide toute la durée du macabre prologue au cours duquel, habillé en femme, il s’adresse au public et l’invite au spectacle, avant d’en descendre pour rejoindre dans le lit Donna, son épouse vêtue de la même robe que lui, campée par l’excellente soprano irlandaise Claudia Boyle qui, par sa vocalité d’une agilité singulière, s’illustre dans le conflit avec son mari, enfermée comme lui dans sa propre solitude avec pour seul lien commun une relation d’essence sadomasochiste dont l’apnée est l’évocation de l’infanticide, qui conduit dans l’épisode V à l’apparition d’une jeune prostituée, personnage tenu par la soprano française Jenny Daviet - qui avait chanté trois heures plus tôt la Sequenza III de Luciano Berio (voir https://brunoserrou.blogspot.com/2025/11/berio-100-les-solistes-de-lensemble.html) -, qui échappe à la folie meurtrière de l’Homme, ce dernier finissant par accueillir la mort avec jubilation.
Bruno Serrou
1) Un petit concert d’anges contre
les parois de mon crâne, traduction française du titre italien du Quatuor à cordes n° 4 d’Hèctor Parra composé
en 2020
2) flûte (aussi piccolo), hautbois (aussi cor anglais), clarinette (aussi
clarinette basse), basson (aussi contrebasson), trompette, trombone,
percussion, harpe, archiluth, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse





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