lundi 10 novembre 2025

Passionnant récital Beethoven d’Ivo Pogorelich pour Piano**** à la Philharmonie de Paris

 Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Dimanche 9 novembre 2025 

Ivo Pogorelich jouant le Nocturne op. 55/2 de Frédéric Chopin
Photo : (c) Capture d'écran Piano****

Passionnant récital monographique d’Ivo Pogorelich, jouant avec partition, à l'instr de la saison dernière, devant une salle Pierre Boulez comble de la Philharmonie de Paris produit par Piano4etoiles consacré dimanche après-midi à Ludwig van Beethoven, avec 3 grandes sonates à titres, « Pathétique », « Tempête », « Appassionata », et deux Bagatelles opp. 33/6 et 126/3. Tout en jouant avec les partitions sur le pupitre du Steinway & Sons, le pianiste croate a exalté des sonorités aux harmoniques pleines, charnues autant que lumineuses, telle la palette d’un peintre du piano auquel il donne l’immense diversité de timbres et de proportions de l’orchestre symphonique. Interprétations profondes, denses, généreuses de souffle et de variétés. La palette expressive est infinie, le chant et exaltant, empli d’humanité. En bis un somptueux Nocturne op. 5/2 de Chopin 

Ivo Pogorelich
Photo : (c) Bruno Serrou

Pour l’ouverture de sa saison 2025-2026, l’organisateur de concerts Piano 4 Etoiles a invité l’une de ses figures les plus fidèles, Ivo Pogorelich, la veille du deuxième concert de l’année, qui réunit celle qui contribua à la réputation du pianiste croate, Martha Argerich (dialoguant cette fois avec Nelson Goerner) (1), un soir du concours Chopin de Varsovie 1980 qui vit son élimination, ce qui suscita la démission de la pianiste argentine du jury. Depuis lors, Pogorelich a beaucoup changé, passant d’un être excentrique aux visions très personnelles, radicalisant sa conception des œuvres, au risque de passer pour iconoclaste. Mais s’il s’est assagi, c’est pour approfondir davantage encore sa conception des œuvres qu’il programme, leur donnant une intensité saisissante tandis que son jeu est simple, souple, direct, sans fioriture, coulant avec un infini naturel tout en pénétrant dans le piano pour lui donner le volume de couleurs et de sonorités de l’orchestre entier.

Ivo Pogorelich
Photo : (c) Bruno Serrou

A l’instar de sa première apparition à la Philharmonie dans le cadre de Piano Quatre Etoiles voilà tout juste un an (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/11/entre-ciel-et-terre-ivo-pogorelich.html), c’est de nouveau un récital entre ciel et terre qu’Ivo Pogorelich a donné à entendre dimanche. Une main gauche solide et légère à la fois, marquant à la perfection l’assise rythmique et harmonique, une main droite fruitée et onirique, jouant sur le ton de la confidence, alternant onirisme, lyrisme et tragédie avec un sens extraordinaire du discours, sur le ton de la confidence d’une intense humanité qui suscite une attention de chaque instant de la part du public. Cette fois, il avait opté pour un récital monographique consacré à Ludwig van Beethoven, dont il a choisi trois des plus célèbres sonates à titre, PathétiqueLa Tempête et Appassionata, ponctuées de deux pages moins populaires du maître de Bonn extraites de deux de ses trois cahiers de Bagatelles, offrant ainsi un parcours à travers un quart de siècle de la création pianistique beethovenienne, commençant en 1798 et terminant en 1824. Les affinités du musicien croate avec la musique du compositeur allemand sont évidentes, et ce n’est pas en vain qu’il creuse les arcanes de cette somme qu’il considère à juste titre avoir ouvert l’école moderne du piano que développera quelques années plus tard un Franz Liszt. D’entrée, la Sonate n° 8 en ut mineur op. 13 « Pathétique » de 1798-1799, la première des sonates à titre de Beethoven, Pogorelich pénètre dans un univers herculéen d’une énergie impressionnante, puissamment chantant mais toujours pourvu d’un nuancier infini, tant il ménage aussi des moments d’une densité évocatrice, illustrant avec une vérité absolue les mots du compositeur musicologue écossais Donald Tovey (1875-1940) écrits en 1931 cités par Michel Le Naour dans le programme de salle, « Rien de si puissant, ni de si tragiquement passionné n’avait été imaginé dans la musique pour piano ». Avec le deuxième volet du triptyque de Sonates pour piano op. 31 tandis que la surdité l’atteint douloureusement et contre laquelle il se bat héroïquement qui ouvre à la modernité beethovénienne par son audace et la liberté de forme et d’expression, la fameuse n° 17 en ré mineur op. 31/2 de 1802, Ivo Pogorelich offre une « Tempête » d’une intériorité bouleversante et d’une diversité vertigineuse qu’électrise le geste dramatique d’une singulière humanité tant le bouillonnement et les méandres méditatifs sont plus méditatifs que physiques. La seconde partie du récital a réuni deux des vingt-quatre Bagatelles de Beethoven. D’abord la sixième, Allegretto quasi andante en  ré majeur, du premier cahier op. 33 de 1802 à laquelle le pianiste croate donne toute sa portée poétique avec son nuancier d’une ampleur ahurissante, puis la troisième des six Bagatelles op. 126Andante en mi bémol majeur de 1824, qui, sous les doigts de Pogorelich, relève littéralement du rêve éveillé, tant le chant du piano résonne comme une voix humaine. C’est avec l’héroïque et sombre Sonate n° 23 en fa mineur op. 57 « Appassionata » de 1804/1805 que Pogorelich a conclu son récital, donnant ainsi un tour théâtral à la soirée, exacerbant un déchaînement de passions, jouant avec un naturel stupéfiant, le geste économe tout en sortant du clavier des sonorités d’une densité et une variété de timbres et de nuances, de la tendre introspection à l’explosion soudaine de violence, de tourments et de fureur, tandis qu’il illumine chaque variation du mouvement central à laquelle il donne ses justes couleurs et intentions, se jouant d’un bout à l’autre avec une aisance stupéfiante de toutes les difficultés techniques, ce qui lui permet de donner au Presto final un tournoiement qui ne cesse de s’emballer tout en étant incroyablement maîtrisé.

Ivo Pogorelich
Photo : (c) Bruno Serrou

Au terme de ce récital magistral, Ivo Pogorelich a renoncé à Beethoven pour conclure avec un bis tiré de son répertoire favori, Frédéric Chopin, avec le Nocturne en mi bémol majeur op. 55/2 de 1844, lento sostenuto auquel le pianiste croate a donné le tour d’une mélodie infinie d’une profonde et introspective nostalgie mue par le sentiment de vouloir se retirer du monde.

Bruno Serrou

1) Ivo Pogorelich et Martha Argerich sont programmés dans le même concert par Piano 4 Etoiles le 3 mai 2026 à la Philharmonie de Paris avec le Quatuor à cordes de la Staatskapelle de Berlin dans les deux Concertos pour piano de Frédéric Chopin

 

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