Théâtre des Champs-Elysées. Jeudi 6 novembre 2025
Jeudi soir au Théâtre des Champs-Elysées, la
deuxième représentation d’une nouvelle production - la première pour le nouveau
directeur du TCE, Baptiste Charroing -, de La Damnation de Faust d’Hector Berlioz, n’a pas servi au mieux
cette grande partition, d’abord à cause de l’orchestre Les Siècles, aux
attaques et aux intonations peu sûres et au chef Jakob Lehmann, dont la vision
est sans élans, ni onirique ni romantique. La distribution pèche par une
élocution française peu compréhensible, un Méphistophélès monochrome et brut de
fonderie de Christian Van Horn, le Faust de Benjamin Bernheim, qui faisait ses
débuts dans le rôle, pas toujours ferme dans le registre aigu, et la Marguerite
heureusement nuancée de Victoria Karkacheva mais à la voix manquant d’assurance
dans les registres extrêmes. Reste la mise en scène de Silvia Costa, sans
relief et mettant trop systématiquement Faust et Marguerite à l’horizontale.
Seule originalité, un orchestre dans la fosse en première partie qui se retrouve
sur le plateau en seconde partie sur un praticable derrière l’action, Faust
s’exprimant alors parfois seul depuis la fosse…
Ouvrage tenant non pas de l’opéra mais
de la musique à programme avec voix obligées, La Damnation de Faust n’a pas été envisagée par Hector Berlioz
pour la scène. Créée en concert le 6 décembre 1846 à l’Opéra-Comique, la partition
s’avère de ce fait délicate à représenter. D’autant que, dans la mouture
initiale, les Huit Scènes de Faust d’après le Faust de Goethe traduit par Gérard de
Nerval, il s’agit d’une suite de tableaux qui n’ont pas de lien entre eux. Cette
œuvre tient de ce fait davantage de l’oratorio profane dramatique plutôt que du
théâtre lyrique. Hector Berlioz ne l’a d’ailleurs jamais dirigée ni vue représentée
sous quelque forme opératique que ce soit, et il a fallu attendre près d’un
quart de siècle après sa mort pour que l’œuvre soit montée par un théâtre,
l’Opéra de Monte-Carlo en 1893.
Cette particularité octroie une totale liberté au metteur en scène qui s’y attache. En effet, ce denier peut ainsi donner libre cours à son imaginaire. Cela d’autant plus aisément qu’il est décemment impossible de se référer à quelque tradition que ce soit ou d’évoquer un quelconque respect de la volonté du compositeur. En tout cas, chacun peut y voir midi à sa porte, et évoquer à partir de cette œuvre sa propre vision de l’enfer. Ce qui n’est pas le franchement cas de ce que donne à voir la nouvelle production du Théâtre des Champs-Elysées en association avec le Palazzetto Bru Zane de Venise. C’est un savant docteur plus jeune qu’il le croit dès l’abord qui affronte le diable dans un posture le plus souvent couchée que debout que donne à voir Silvia Costa, qui place d’entrée un lit au beau milieu du plateau et qui y restera jusqu’à l’extinction des feux à la fin de la représentation, tandis que Marguerite apparaît, disparaît puis réapparait par l’entremise d’une trappe conduisant sous les combles. D’entrée, tandis que l’aube point sur les plaines de Hongrie, Faust apparaît en tenue de nuit, son lit encombré de peluches, avant d’enfiler des vêtements sortis d’un tas informe, grignote un fond d’assiette dans un coin de la cuisine de son studio, écoute la Danse des paysans sous un casque tout en noircissant un parchemin alors qu’émerge d’un poste de radio des grésillements qui parasitent l’exécution de la Marche hongroise.
Un Faust adolescent que Méphistophélès n’a même pas besoin de revigorer en lui donnant la jeunesse qu’il lui promet s’il signe le pacte qu’il lui soumet. Pendant que résonnent les chants des Fêtes pascales dans le lointain, Faust déroule un diaporama de vieilles photos de famille, la scène de l’auberge où l’emmène Méphistophélès est emplie d’enfants qui miment des buveurs qui chantent hors champ, et jouent avec des souris en cage durant la Chanson du rat, animal qu’ils maltraitent ensuite pendant l’exécution de la fugue. La seconde partie, beaucoup plus courte, se déroule dans un tribunal, les musiciens de l’orchestre sur une tribune, les choristes au pied de celle-ci, tout le monde en tenue de magistrats et d’avocats, tandis que le lit reste immuablement planté au centre de la scène. La Course à l’abîme n’est évoquée que par des sauts de puce des deux protagonistes mâles centraux, Faust s’agitant seul dans la fosse désertée par l’orchestre, avant l’apothéose finale où Méphistophélès apparaît tenant un enfant par la main avant de s’endormir bercé par Marguerite…
La pauvreté des décors desservis en outre par des lumières grises, la tristesse des costumes, l’inertie des chanteurs, solistes et choristes réunis dans un même manque de caractérisation, délaissés par une direction d’acteur utopique laissant chacun des protagonistes dans le désarroi, ne sont pas même compensés par la musicalité d’ensemble.
Pour sa prise de rôle, l’excellent ténor franco-suisse Benjamin Bernheim, qui a la vocalité, la puissance et l’héroïsme du rôle, semble comme contraint par les carences de la direction d’acteur de la metteuse en scène d’origine italienne pour exprimer pleinement la nature du personnage et le sens du texte, pas toujours compréhensible, tandis que face à lui la mezzo-soprano russe Victoria Karkacheva campe une Marguerite solaire, confiante, aimante mais que Silvia Costa se plaît à placer dans des situations déstabilisantes, la faisant sortir d’une trappe en rampant, la dissimulant sous une longue couverture noire avant de la faire déambuler sur le plateau telle un spectre désarticulé.
Dans le court rôle de Brander, le baryton bordelais Thomas Dolié, malgré un timbre chaleureux, propose une Chanson du rat peu compréhensible. La déception vient surtout de la basse new-yorkaise Christian Van Horn, voix trop grande et trop rustique qui ne s’adonne pas à la subtilité, ne parvenant pas à pas exprimer la diversité des intentions de cette figure infernale, ce qui ne lui permet pas de rendre justice aux artifices dont use et abuse Méphistophélès, brossant un diable monolithique, ni grinçant, ni ironique, ni tentateur, ni grivois.
A l’instar du Chœur de Radio France, qui, préparé par
Lionel Sow et Joël Soichez, chante continuellement sur le même ton, quels que
soient situations et rôles que lui réserve Berlioz, qu’ils soient soldats,
ivrognes, anges ou démons, heureusement avivés par la Maîtrise de Radio France préparée par Sofi Jeannin et Marie-Noëlle Maerten, plus sontanée. Côté orchestre, l’évidence depuis plusieurs mois,
est que Les Siècles manque indéniablement de la présence de son fondateur,
François-Xavier Roth, du moins à chacune de ses prestations auxquelles j’ai pu
assister. Ce n’est en tout cas pas Jakob Lehmann qui aura brillé à sa tête, dirigeant
l’ensemble de La Damnation de Faust de
façon plane, gommant saillie, variété rythmique, tensions, élan, flamme (pas même
infernale), éclats, nivelant couleurs, tensions, reliefs, tandis que les
attaques instrumentales manquent généralement de franchise et de précision.
Bruno Serrou
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