Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Jeudi 13 novembre 2025
Concert magique ce soir de l’Orchestre de Paris dirigé par son Chef principal désigné Esa-Pekka Salonen dans un programme d’une grande variété mais intelligemment structuré. Prélude de la Troisième Partita pour violon de Johann Sebastian Bach divinement joué depuis le paradis par la jeune Iris Scialom, formait prologue à une courte pièce d’orchestre de Salonen « FOG » emplie de la page du cantor, puis un fantastique Concerto pour piano n° 2 de Serge Prokofiev par une fabuleuse Yuja Wang, doigts d’airain de mains de fée, suivi de trois bis dont deux lieder de Franz Schubert arrangés par Franz Liszt. La seconde partie était vouée à l’extase, débutée par l’extase d’amour et de mort, le Prélude et Mort d’Isolde de Richard Wagner d’une beauté inouïe, qui a rappelé combien Salonen a d’affinité avec cet opéra qu’il a si somptueusement dirigé à l’Opéra national de Paris et que j’aurais bien écouté ce soir en son entier tant il se trouvait de magie dans les 20minutes que l’Orchestre de Paris et Esa-Pekka Salonen nous ont offert, puis l’extase fantasmatique avec un fantastique Poème de l’Extase d’Alexandre Scriabine (quintette de trompettes et octuor de cors à tomber à genoux)
Devant succéder à son cadet et compatriote Klaus Mäkelä en septembre 2027, non pas au titre de directeur musical mais à celui de chef principal de l’Orchestre de Paris, le compositeur chef d’orchestre finlandais Esa-Pekka Salonen, qui a toujours entretenu d’excellents rapports avec les orchestres parisiens, particulièrement avec les musiciens de l’Orchestre de Paris, dont il est l’invité deux semaines durant pour autant de programmes différents. Mercredi et jeudi dernier, c’est un programme germano-russe courant du XVIIIe au XXe siècle, avec une incursion finlandaise du XXIe qu’i a dirigé. C’est d’ailleurs avec un pont reliant les deux extrémités de l’espace-temps qu’il a ouvert le concert, commençant avec une pièce soliste, le Prélude de la Partita n° 3 pour violon en mi majeur BWV 1066 souverainement interprétée par une jeune violoniste de talent, Iris Scialom, élève de Stéphanie-Marie Degand au Conservatoire de Paris (CNSMDP), Révélation instrumentale des Victoires de la Musique 2025, qui joue un Guadagnini de 1773 qui a magnifiquement sonné depuis le sommet de la salle, côté jardin derrière l’orchestre. Ce prélude formait l’ossature de la pièce suivante dont l’auteur n’est autre qu’Esa-Pekka Salonen, Fog pour orchestre. Le compositeur chef d’orchestre finlandais rend ici hommage à travers Bach à Frank Gehry (né en 1929), architecte du Walt Disney Concert Hall, salle du Los Angeles Philharmonic Orchestra dont il a dirigé le concert inaugural en 2003 alors qu’il était directeur musical de la phalange californienne au cours des dix-sept ans (1992-2009) qu’il passa à sa tête. Du chef-d’œuvre du compositeur saxon, Salonen tire des fragments confié à divers pupitres solistes de l’orchestre, à la façon d’Anton Webern dans son Ricercare extrait de L’Offrande musicale, mais en beaucoup moins pointilliste et ludique, utilisant pour brosser son kaléidoscope moins cristallin que celui de l’aîné autrichien à partir des lettres tirées du nom du dédicataire selon le solfège allemand, F (fa), A (la), G (sol), E (mi) et H (si), clin d’œil d’après l’auteur au nom du bateau du navire de son ami, Foggy. Le moment le plus attendu du concert aura été indubitablement le Concerto n° 2 pour piano et orchestre en sol mineur op. 16 de Serge Prokofiev dont la soliste était la magicienne chinoise Yuja Wang. Un concerto qui lui va comme un gant, alliant intimement musicalité et virtuosité qu’elle possède de façon innée. Jouant toujours de façon concentrée et sans que jamais l’effort n’apparaisse au grand jour tant le geste est naturel et la course des doigts comme en apesanteur. Composé en 1912-1913, créé le 5 septembre 1913 par le compositeur en son domicile de Pavlovsk, puis réécrit en Allemagne en 1923 à la suite de la perte du manuscrit durant son exil post-révolution bolchevique, le deuxième concerto pour piano de Prokofiev adopte la structure en quatre mouvements (deux mouvements d’une douzaine de minutes encadrant deux plus brefs) sur le modèle du second concerto de Brahms. Cette partition débordante de vitalité et de piquant qui provoqua un véritable scandale en Russie, tandis que la création de la version définitive reçut un accueil mitigé lors de sa première exécution qui fut donnée à Paris le 8 mai 1924 sous la direction de Serge Koussevitzky avec le compositeur en soliste. Yuja Wang, avec sa souplesse et sa vivacité autant physique qu’intellectuelle, a ménagé d’entrée de saisissants contrastes entre romantisme et burlesque, se jouant avec délectation des difficultés technique de la grande cadence de l’Andantino initial à laquelle elle a donné une intensité dramatique extraordinaire, rejointe à la reprise du mouvement par un Orchestre de Paris brillantissime sous l’impulsion discrète mais ample et généreuse de Salonen. Même caractère brillant et énergique dans le Scherzo, Yuja Wang s’illustrant par le naturel conquérant de sa virtuosité des deux mains virevoltant à l’octave, avant de se lancer dans l’Intermezzo, Allegro moderato d’une ironie acide, avant d’instaurer un dialogue brûlant avec la clarinette solo et de conclure en puissance sur une coda fougueuse, débouchant sur le finale, Allegro tempestoso, authentique moment de bravoure qui sied à la perfection Yuja Wang, tant la maîtrise du son et du clavier est magistrale et époustouflante. L’enthousiasme de la salle était tel, que la pianiste s’est rapidement lancée dans le premier de ses trois bis dont deux lieder de Franz Schubert arrangés par Franz Liszt, avant de saluer définitivement de son fameux coup de reins sec façon d’un polichinelle.
La seconde partie célébrait l’extase, commençant par l’extase d’amour et de mort, avec le Prélude et Mort d’Isolde dans sa version pour orchestre seul extrait de Tristan und Isolde de Richard Wagner d’une beauté stupéfiante, qui a rappelé combien Esa-Pekka Salonen a d’affinité avec cet opéra qu’il a si somptueusement dirigé à l’Opéra national de Paris en 2005 et que j’aurais bien écouté ce soir en son entier tant il se trouvait de magie dans les vingt minutes que l’Orchestre de Paris et Esa-Pekka Salonen nous ont offert, le chef finlandais sollicitant la phalange parisienne de façon chambriste comme il le fit dans la fosse de Bastille, soulignant ainsi les moments les plus déchirant de la partition leur donnant un relief d’une intensité bouleversante. C’est une extase fantasmatique que les musiciens ont conclu le premier de leurs deux programmes, avec un fabuleux Poème de l’extase op. 54 (1907) d’Alexandre Scriabine, C’est sur une puissante interprétation du chef-d’œuvre du compositeur russe que le compositeur chef d’orchestre finlandais et la phalange symphonique parisienne ont conclu un concert somme toute plutôt court, allant jusqu’à un explosif feu d’artifice sonore mis à feu par l’impressionnante batterie de cuivres (huit cors, cinq trompettes, trois trombones, tuba) conduisant avec flamme cet extraordinaire page d’orchestre.
Bruno Serrou



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