Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 19 novembre 2025
Soirée compliquée ce soir en raison d’un « objet » sur les voies des RER B et D en Gare du Nord. Arrivé en retard à la Philharmonie de Paris, j’ai vu et entendu le Requiem de György Ligeti par le biais de l’écran d’un moniteur dans le hall, alors que c’était l’œuvre à ne pas rater tant elle est splendide et fort rarement donnée. Les deux voix de femmes étaient belles, les chœurs remarquables, et Esa-Pekka Salonen a donné toute la force spirituelle de ce chef-d’œuvre grâce à un Orchestre de Paris aux sonorités moelleuses et au nuancier d’une ampleur subtile. C’était donc mieux que rien, et une fois rentré chez moi, j’ai écouté au casque les enregistrements de Péter Eötvös capté à Cologne en 2010 (BMC) et celui de Jonathan Nott avec le Philharmonique de Berlin et les London Voces réalisé en 2002 (Teldec/Warner Classics) (1). La Symphonie n° 4 « Romantique » d’Anton Bruckner, sans doute la partition la plus accomplie du maître de Linz, a été emmenée sur les cimes par un Salonen à la fois poète, peintre et sorcier du son et du rythme, portant la phalange parisienne à la fusion, avivé par un éblouissant cor solo, Gabriel Dambricourt
C’est avec l’extraordinaire Requiem de György Ligeti (1923-2006) qu’Esa-Pekka
Salonen a ouvert son second concert de ce mois de novembre à la tête de l’Orchestre
de Paris, quelques jours après avoir été officiellement nommé à sa tête à
compter de septembre 2027. Le compositeur chef d’orchestre finlandais en avait
offert au public parisien une interprétation remarquable voilà près de quinze
ans, en février 2011, à la tête du Chœur et de l’Orchestre Philharmonique de
Radio France, avec Barbara Hannigan et Virpi Raïsänen, au Théâtre du Châtelet dans
le cadre du festival Présences qui lui avait été consacré. Comme je l’ai
précisé en introduction du présent compte-rendu, arrivé en retard en raison d’un
incident de RER, je n’ai pu hélas écouter dans des conditions idoines cette interprétation,
manquant les sept premières minutes et ne pouvant écouter les vingt minutes restantes
que l’écran du moniteur installé dans le hall de la Grande Salle Pierre Boulez Philharmonie,
en compagnie de quelques autres retardataires entouré des vas et viens des
personnels du bar et des bruits de verres se percutant en prévision de l’entracte.
Mais cela ne m’a pas empêché de goûter ce moment privilégié, une fois que ma
tête ait fini par amortir mon amertume à l’égard de la RATP… Car, la force et
la beauté à la fois sonore et spirituelle du Requiem de Ligeti sont exceptionnelles. Composée entre 1963 et 1965 pour deux voix de femmes
solistes (soprano et mezzo-soprano), chœur mixte et orchestre (2), cette œuvre,
dans laquelle puisa Stanley Kubrick (1928-1999) pour la bande son de son film d’anticipation
A Clockwork Orange (Orange mécanique) réalisé en 1971 d’après
le roman éponyme (1962) d’Anthony Burgess (1917-1993), dit combien le
compositeur hongrois est génial, tant elle est dense, puissante, hallucinée,
d'une richesse sonore inouïe, d’une force poignante et grandiose, ne compte que
quatre parties, ne mettant en musique que la moitié du texte liturgique,
commençant naturellement par l’Introïtus
au plan sonore, commençant dans une atmosphère feutrée, se tend progressivement
de façon continue, suivi du Kyrie aux
structures polyphoniques particulièrement complexes renvoyant aux maîtres
anciens, notamment à Johannes Ockeghem (v.1410-1497), avec rien moins que vingt
lignes vocales culminant sur un hallucinant fortissimo,
mouvement qui aura réclamé à Ligeti neuf mois de genèse, puis le Dies Irae, intitulé ici De die judicii sequentia (Séquence du Jour du Jugement), moment le
plus violent, sombre et désespéré du rituel funèbre où le compositeur utilise
de façon intensément théâtrale les registres vocaux et instrumentaux extrêmes,
pour finir sur le Lacrimosa dans
lequel le chœur n’intervient pas qui conclut le Requiem dans l’atmosphère feutrée du début. Les deux solistes, la
soprano britannique Jennifer France (soprano) et la mezzo-soprano finlandaise Virpi
Räïsänen, cette dernière déjà entendue dans cette même œuvre en 2011 (voir plus
haut), le Chœur de l’Orchestre de Paris (surtout les basses) et l’Orchestre de
Paris s’imposant depuis l’endroit où je me trouvais par des textures apparemment
charnues et fluides au service de l'aspect liquide et constamment mouvant de la
partition, surtout d’une homogénéité exemplaire, aucune imprécision dans les
attaques ni le moindre décalage n’étant perceptible.
Loin
de l’atmosphère du Requiem de Ligeti,
mais toujours de tonalité spirituelle, la seconde partie du concert, que j’ai
pu écouter dans la salle à la place qui m’avait été attribuée, était consacrée
à la partition symphonique la plus accomplie d’Anton Bruckner (1824-1896), la Symphonie n° 4 en mi bémol majeur « Romantique »
WAB 104 composée en 1874 dans sa
version mixant les révisions de 1878 et 1880. En effet, conçue en un peu
plus de dix mois en 1874, profondément révisée trois fois par la suite, jusqu’à
ce qu’il s’en déclare enfin satisfait un jour de 1888, la Quatrième semble pourtant couler de source, tant l’on n’y perçoit
aucune contrainte, au point d’être aujourd’hui l’une des pages les plus prisées
de Bruckner. Esa-Pekka Salonen en a donné mercredi une interprétation au
cordeau, toute en tensions, extension et d’un lyrisme effervescent, tandis que
l’Orchestre de Paris s’est montré virtuose, d’une impressionnante homogénéité,
avec ses cuivres rutilants, particulièrement le premier cor solo, Gabriel Dambricourt éblouissant
de sonorité et d’assurance, tant et si bien qu’il sera chaudement applaudi par
le public et dûment félicité par chef et par l’orchestre entier, tandis que les
bois se sont imposés par leur vélocité et leur timbres soyeux, tandis que les
cordes ont rivalisé de panache et de syncrétisme, altos, violoncelles et
contrebasses onctueuses, violons flamboyants.
Bruno Serrou
1) Le concert a été filmé et enregistré pour une diffusion sur une chaîne de télévision et sur le site Internet de la Philharmonie de Paris où il devrait être diffusé en janvier 2026
2) Trois flûtes (2e et 3e aussi piccolo), trois hautbois (3e aussi cor anglais), trois clarinettes (2e aussi clarinette basse, 3e aussi clarinette en mi bémol et clarinette contrebasse), deux bassons, contrebasson, quatre cors, trois trompettes, une trompette basse, trois trombones (ténor, basse, contrebasse), tuba, trois percussionnistes (glockenspiel, xylophone, caisse claire, grosse caisse, cymbale suspendue, tam-tam, slapstick, tambourin), célesta, clavecin, harpe, cordes (14, 12, 10, 8, 6)



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