Poitiers (Vienne). TAP - Scène nationale de Grand Poitiers. Auditorium. Jeudi 20 novembre 2025
Concert anniversaire jeudi soir 20 novembre au TAP - Scène nationale de Grand Poitiers pou le centenaire du compositeur Marius Constant (1925-2004) par l’ensemble Ars Nova qu’il créa en 1963 à l’époque où il dirigeait la musique à Radio France où il créa l’antenne de France Musique devant un public venu en nombre écouter une très belle pièce pour violon et ensemble 103 Regards dans l’eau par Catherine Jacquet et Ars Nova dirigé par le chef hongrois Gregory Vajda, chef principal associé de l’ensemble, mis en regard des Trois Chansons de Bilitis de Claude Debussy, de Kaddisch et des Cinq Mélodies populaires grecques de Maurice Ravel par Marion Vergez Pascal, jeune mezzo-soprano française en résidence à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de Belgique à Waterloo dans des orchestrations du directeur artistique d’Ars Nova, Benoît Sitzia, subtilement respectueux du style orchestral des auteurs des mélodies, et signataire d’une œuvre nouvelle pour violon solo, Sons-Océan II, par Marie Charvet en hommage à Peter Eötvös, dont Ars Nova est membre actif de la Fondation à Budapest. Au fait, comment se fait-il que France Musique ait totalement négligé le centième anniversaire de son fondateur, 62 ans après qu’il l’ait créé et 21 ans après sa mort ?…
A défaut de Radio France, qui lui doit pourtant beaucoup pour avoir initié
sa chaîne de musique classique France
Musique au sein de l’ORTF, seul l’ensemble qu’il créa pour la diffusion de
la création musicale sur cette même antenne et la même année 1963, Ars Nova,
aura célébré le centenaire de la naissance du compositeur français d’origine
roumaine. Lorsque j’ai interviewé ce dernier pour les archives de l’INA
(Institut National de l’Audiovisuel) en novembre 1999 (1), soit quatre ans et
demi avant sa mort, le 15 mai 2004, il évoquait la naissance de cette chaîne. « Je
suis allé voir Gilson, qui était directeur des programmes artistiques à l’époque,
et le je lui ai dit : ’’Il n’y a que le Domaine musical, qui a un
répertoire très spécial. Or, il y a plein de répertoires autour qui ne sont
jamais joués. Donnez-moi la possibilité de les faire.’’ Il m’a répondu : ’’Vous
avez ma bénédiction.’’ C’est ainsi que j’ai fondé Ars Nova comme orchestre de
la radio pour la musique contemporaine. Deux ans plus tard, j’ai demandé une
subvention de l’Etat, que j’ai obtenue, et je me suis séparé de la radio. »
Avec cet ensemble, Marius Constant a donné des créations d’Olivier Messiaen,
dont les Sept Haïkaï, de Maurice Ohana,
Syllabaire pour Phèdre, d’Igor Stravinski, Ebony
Concerto qui n’était pas joué par le Domaine musical, Formes avec Roland Petit, sorte d’improvisation collective avec
deux danseurs couchés sur le sol et neuf musiciens autour, mes Quatorze Stations, œuvre d’inspiration
religieuse créée à Royan par le percussionniste de l’Opéra de Paris Sylvio
Gualda jouant plus de cent instruments entouré de six autres musiciens, trio à
cordes, trombone, clavecin et guitare… J’ai également donné avec Ars Nova le tout
premier concert monographique consacré à Pascal Dusapin en France. »
Né le 7 février 1925 à Bucarest (Roumanie), Marius Constant y
a suivi des études au Conservatoire royal où il a obtenu les Prix de piano, de
composition et d’écriture, et remporte en 1945 le Prix Enescu. A 21 ans, en
1946, grâce à une bourse du gouvernement français, il s’installe à Paris pour y parfaire sa
formation au Conservatoire national supérieur de Musique de Paris avec Olivier
Messiaen, Tony Aubin, et dans le cadre de cours particuliers avec Nadia
Boulanger et Arthur Honegger. Il reçoit en 1949 les Premiers Prix de
composition et d’analyse du Conservatoire et la Licence de concert pour la
direction d’orchestre de l’Ecole normale de Musique dans la classe de Jean
Fournet. En 1952, il obtient le Prix Italia pour Le Joueur de flûte. A Radio France, il travaille au Studio d’Essai
entre 1952 et 1954, puis il cofonde la chaîne de radio musicale France Musique
qu’il dirige jusqu’en 1966. Marius Constant a également écrit des ballets pour Janine
Charrat, avant d’être nommé Directeur musical des Ballets de Paris de Roland
Petit de 1956 à 1963, Directeur musical de la Danse à l’Opéra national de Paris
de 1973 à 1978 sous l’administration du compositeur suisse Rolf Liebermann, professeur
d’orchestration au Conservatoire de Paris de 1979 à 1988, et de composition et
d’analyse à l’Université de Stanford en Californie. Parmi ses élèves, Marc-André
Dalbavie et Marc-Olivier Dupin. Fondateur et directeur de l’ensemble Ars Nova,
Marius Constant a été invité par les principaux orchestres d’Europe, des
Etats-Unis, du Japon, et par les Opéras de Berlin, Paris, Hambourg, du Bolchoï,
du Metropolitan Opera de New York, du Royal Opera Covent Garden. A partir de
1988, l’âge de la retraite venu, il confie les rennes d’Ars Nova à son
assistant Philippe Nahon, qui en sera le directeur artistique et musical
pendant trente ans - ce dernier passant la main à Jean-Michaël Lavoie de 2018 à
2020 -, et se consacre exclusivement à la composition. Si ses premières œuvres,
qui datent des années 1950, sont teintées d'impressionnisme, il s'intéresse
ensuite à la musique sérielle, aux techniques électro-acoustiques, au
développement de l'improvisation et de l'aléatoire « contrôlé», au spectacle
total, à la recherche dans les domaines de la couleur et de l'espace. Couvrant
tous les domaines de la création musicale, opéras, symphonies, concertos,
musique de chambre, arrangements, orchestrations, le nombre de ses œuvres est
impressionnante. Parmi elles, 24 Préludes pour orchestre créés par Leonard
Bernstein, Cyrano
de Bergerac, Turner, créé au Festival d'Aix-en-Provence, Chaconne et
Marche militaire, créé par l'Orchestre de Philadelphie et, pour la
scène, Eloge
de la Folie, Le Paradis perdu, Candide pour la Compagnie
Marcel Marceau, Nana, L’Ange bleu pour les Ballets de Roland
Petit, Haut-Voltage pour
le Ballet du XXe Siècle de Maurice Béjart, puis, avec Peter Brook, La Cerisaie, La Tragédie de Carmen
en 1981 et Impressions de
Pelléas en 1992, ces deux dernières œuvres, ses « fantasmes
musicaux », connaissant un succès universel. Il a été élu en 1993 à l’Institut
de France - Académie des Beaux-Arts au fauteuil de son maître et ami, Olivier
Messiaen. La personnalité et la démarche artistique de Marius Constant sont
précisément illustrées par cette phrase de Cioran qu’il se plaisait à citer : « Celui
qui parle au nom des autres est toujours un imposteur. Politiques, réformateurs
et tous ceux qui se réclament d’un prétexte collectif sont des tricheurs. Il
n'y a que l’artiste dont le mensonge ne soit pas total, car il n’invente que
soi. »
Aujourd’hui placé sous la direction générale et artistique du compositeur guitariste et organiste Benoît Sitzia, qui y développe l’audience de la musique en donnant une place fondamentale à la transmission et à la pédagogie auprès de tous les publics par le biais de la création contemporaine mais aussi de tous les répertoires, mais aussi à la formation de jeunes professionnels, telles que l’European Creative Academy for Music & Musicians d’Annecy (2020-2023) ou le programme de mentorat de la Péter Eötvös Foundation de Budapest (2022-2023). Benoît Sitzia pratique pour son ensemble une politique de chefs invités, avec un Invité privilégié en la personne du hongrois Gregory Vajda, chef principal associé de l’ensemble jusque fin 2026, également compositeur, directeur musical du Huntsville Symphony Orchestra, du Portland Festival Symphony aux Etats-Unis, ainsi que du Savaria Symphony Orchestra en Hongrie, où il est aussi directeur artistique du UMZE New Music Ensemble et directeur des programmes de la Fondation Péter Eötvös dont Ars Nova est l’un des partenaires privilégiés depuis 2020, tout comme il l’est avec la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de Belgique à Waterloo depuis 2022.
Le programme proposé jeudi dans l’Auditorium du TAP réunissait autour d’une œuvre-phare de Marius Constant qui était entourée de pages de deux de ses compositeurs de prédilection, Claude Debussy et Maurice Ravel avec deux cycles de mélodies et une pièce pour violon et orchestre arrangés par Benoît Sitzia, qui avait également programmé l’une de ses propres œuvres pour violon seul. Devant une salle comble constituée de mélomanes de toutes les générations, le concert a été ouvert sur les Trois Chansons de Bilitis (La Flûte de Pan, La Chevelure et Le Tombeau des Naïades) que Claude Debussy a écrites en 1897-1899 sur des vers érotiques et passionnés de la poétesse grecque Bilitis traduits en 1894 par le poète Pierre Louÿs (1870-1925) qui les dédia à André Gide. Créées Salle Pleyel le 17 mars 1900 par la soprano Blanche Marot et le compositeur au piano, ce triptyque se présente comme un véritable cycle contant en trois grandes étapes l’idylle entre Bilitis et un berger dans une atmosphère d’un érotisme antiquisant fin de siècle, qui aura judicieusement préludé aux 103 regards dans l’eau de Marius Constant, qui les a composés la même année que La Tragédie de Carmen. « Il s’agit d’un concerto pour violon et orchestre que j’ai écrit pour Patrice Fontanarosa, me rappelait le compositeur en novembre 1999 (1). Cette œuvre compte cent trois mouvements, évidemment c’est mon style de faire des petits mouvements, de les enchaîner, de les souder... J’en ai fait deux versions. La première en 1981 pour grand orchestre, la seconde en 1984 pour douze instruments. Je vous le dis sincèrement, je préfère celle pour douze instruments. Quoique la version pour grand orchestre continue à être donnée, par exemple à New York en mai [2000] avec Olivier Charlier. J’ai composé ces Regards après une lecture de Gaston Bachelard, qui a écrit les Complexes de l’eau, les Complexes de l’air, les Complexes... 103 regards dans l’eau est une étude en cent trois mouvements, repérables par des indications que j’ai portées sur la partition pour les seuls soliste et chef d’orchestre comme points de repère. Le public ne doit rien savoir, et il ne peut repérer que quatre mouvements. L’œuvre, qui dure trente-cinq minutes, est difficile pour le violoniste. Je l’ai donné à Berlin dans sa version pour douze instruments avec Patrice Fontanarosa, alors évidemment vous connaissez les Allemands, ils regardaient un peu de travers le soliste français que j’ai amené, et j’ai dû arrêter l’exécution à cause de l’orchestre, alors que Fontanarosa le jouait très bien. Et à la fin, les musiciens se sont précipités sur lui pour voir quel violon il jouait. Et le Konzertmeister m’a dit : ’’Merci maestro de nous avoir amené un soliste qui joue à la manière belge et pas à la manière d’Odessa.’’ Odessa, pour eux, c’était Isaac Stern, Nathan Milstein, tandis que Patrice Fontanarosa joue vraiment droit, pur, et ça c’est l’école de Bruxelles. » C’est précisément ainsi que l’a joué Catherine Jacquet, soliste d’Ars Nova, régulièrement invitée de l’ensemble 2e2m, de Court-Circuit et de l’Itinéraire, membre de l’orchestre Les Siècles travaillant également avec les compositeurs hongrois György Kurtág (né en 1926) et Péter Eötvös dont elle a enregistré A Call pour violon seul (2015). Dans cette partition, l’on retrouve tout ce qui fait le génie d’orchestrateur de Marius Constant, sa connaissance profonde des caractéristique de chaque instrument, aussi profonde et pénétrante que Péter Eötvös, par exemple, la version pour douze instruments de ce concerto pour violon sonnant à la fois de façon virtuose, indépendante et en toute transparence mais avec les textures d’un orchestre entier. C’est avec humilité et avec tact que Benoît Sitzia a mis l’une de ses propres partitions en résonance avec celle de son aîné, une courte page pour violon solo intitulée Sons-Océan II, titre aquatique à l’instar de l’œuvre de Marius Constant, dans laquelle a brillé Marie Charvet, qui fut violon solo de Court-Circuit de 1999 à 2009, professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon depuis 2008, membre de l’ensemble Ars Nova depuis 2010. Après la brillante interprétation de la soprano Marion Vergez-Pascal des Chansons de Bilitis dans l’orchestration subtilement debussyste de Benoît Sitzia, l’on retrouvait la cantatrice et l’arrangeur dans les deux œuvres concluant le concert signées Maurice Ravel, Kaddish pathétique prière des morts en langue araméenne (celle du Christ) extrait des Deux Mélodies hébraïques composées en 1914 que l’auteur a orchestrées en 1919-1920 pour les Concerts Pasdeloup, suivie des Cinq mélodies populaires grecques adaptées en 1904-1906 de chansons populaires grecques anonymes traduites du grec moderne en français par le musicologue franco-britannique Michel Dimitri Calvocoressi (1877-1944) et harmonisées par Ravel, quatre provenant de l’île de Chio (Réveil de la mariée, Là-bas, vers l’église, Chanson des cueilleuses de lentisques et Tout gai !), la cinquième (Quel galant m’est comparable), placée en troisième position, provenant d’un recueil de 1883 recueilli en Epire par Périclès Matza. Dialoguant tout en souplesse enjôleuse et en voluptueuse cohésion, sous la direction discrète et flexible mais précise de Gregory Vajda, les douze musiciens d’Ars Nova (2) ont partagés les voix colorés de leurs instruments à celle chaleureuse et délicieusement expressive de la mezzo-soprano béarnaise Marion Vergez-Pascal, pensionnaire depuis septembre 2023 de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de Belgique à Waterloo dans la classe de Stéphane Degout et Sophie Koch.
Bruno Serrou
1) Le film est disponible en libre accès dans la collection Musique Mémoires de l'INA (Institut National de l'Audiovosuel) à l’adresse Internet suivante :
https://entretiens.ina.fr/entretien/18/marius-constant/video
2) Musiciens d’Ars Nova : Samuel
Bricault (flûte), Eric Lamberger et Céline Millet (clarinettes), Cédric Bonnet
(cor), Isabelle Cornélis (percussion), Michel Maurer (piano), Chloé Ducray
(harpe), Jean-Louis Constant et Arthur Colin (violons), Andrii
Malakhov (alto), Isabelle Veyrier (violoncelle), Lilas Réglat (contrebasse)





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