mercredi 31 octobre 2018

Boris Godounov de Genève somptueusement servi par l’Orchestre de la Suisse Romande


Genève (Suisse). Grand Théâtre, Théâtre des Nations. Dimanche 28 octobre 2018

Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Mikhaïl Petrenko (Boris), Marina Viotti (Fiodor). Photo : (c) Carole Parodi

Première à Genève de la version originale du chef-d’œuvre de Moussorgski, Boris Godounov

Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Photo : (c) Carole Parodi

Longtemps négligée, la version d’origine en sept scènes composée en 1869 de Boris Godounov est de plus en plus présente sur la scène lyrique, au point que la seconde, éditée en 1872, plus longue (un prologue et quatre actes) et à l’orchestration plus léché, se fait de plus en plus rare. Celle de 1869 est focalisée sur le récit sans digression sombre et serré de la grandeur et de la décadence du tsar, et plaidant non pas sa culpabilité mais lui accordant le bénéfice du doute. Tandis qu’en de 1872 Moussorgski conclut sur la plainte de l’innocent, en 1869 il termine sur la mort de Boris.

Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Mikhaïl Petrenko (Boris). Photo : (c) Carole Parodi

Moins de cinq mois après l’entrée de cette version à l’Opéra de Paris, le Grand-Théâtre de Genève la présente à son tour pour la première fois in situ. Pourtant, initialement prévue pour le Grand-Théâtre rénové, cette production devait à l’origine reprendre une version désormais obsolète, l’une des luxuriantes révisions de Nikolaï Rimski-Korsakov, membre lui aussi du Groupe des Cinq russes, qui jugeait bien à tort que son confrère était un piètre orchestrateur. C’est en raison du report de la réouverture de la salle historique de l’Opéra genevois, qui s’est exilé dans un théâtre provisoire dans le quartier des Nations-Unies, que le choix de l’édition première s’est finalement imposé. Il faut dire que ce bâtiment en bois est particulièrement sonore. Tant et si bien que l’instrumentation âpre, directe, singulièrement dramatique de 1869 est apparue mieux adaptée.

Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Mikhaïl Petrenko (Boris). Photo : (c) Carole Parodi

L’Orchestre de la Suisse Romande resplendit dans cette partition sombre et brute, avec ses sonorités grondante et non policées, s’imposant comme le personnage central du drame. Paolo Arrivabeni, entendu dans la même œuvre à l’Opéra de Marseille en mars 2017, souligne les singularités harmoniques et la verdeur cuivrée qui donnent à l’ouvrage sa parure à la fois sauvage et rutilante. Le metteur en scène Matthias Hartmann anime les personnages avec un réelle direction d’acteur au milieu d’une scénographie de Volker Hintermeier faite d’échafaudages peu élégants mais bien éclairés par Peter Bandl, avec de bizarres éléments, comme l’immense cloche du sacre lourdement descendue par quatre hommes, l’apparition d’un tsarévitch fantomatique et pur portant les attributs du tsar, l’innocent chapeauté d’un seau d’eau, une brouette de Saverne d’où des femmes jettent violemment du gravier sur le corps de Boris, d’autres des fleurs blanches aux forts parfums. Quant aux costumes, impossible de définir par leur biais l’époque de l’action : tenues des popes façon XVIe siècle, celles du peuple alliant XIXe et XXIe siècles, soldats, boyards, tsar et tsarévitch renvoyant à Poutine…

Modest Moussorgski (1839-1881), Boris Godounov. Mikhaïl Petrenko (Boris), Boris Stepanov (l'Innocent). Photo : (c) Carole Parodi

La distribution est dominée par l’impressionnant Pimène de Vitalij Kowaljow, voix d’une solidité impériale aux graves profonds et charnus. Habité par le personnage, jouant avec naturel, Mikhail Petrenko campe un Boris crépusculaire. Alexey Tikhomirov, Boris impressionnant à Marseille, se limite au rôle de Varlaam, qu’il incarne de façon magistrale, à l’instar de l’aubergiste de Mariana Vassileva-Chaveeva. Le reste de la distribution est fort homogène, ainsi que le Chœur du Grand-Théâtre.

Bruno Serrou

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