Paris. Théâtre des Champs Elysées. Vendredi 6 décembre 2024
Reprise en ce début de mois de décembre 2024 par le Théâtre des
Champs-Elysées de la remarquable production d’Olivier Py de Dialogues des
carmélites de Francis Poulenc que l’institution
de l’avenue Montaigne a créée en
2013 et reprise en 2018. Soirée d’une force déchirante, avec une distribution
idéale formant une authentique troupe, orchestre et chef différents des deux
fois précédentes, le brillant Jérémie Rohrer qui dirigeait le Philharmonia
Orchestra la première fois puis l’Orchestre National de France, remplacés cette
fois par l’excellente cheffe new-yorkaise Karina Canellakis dirigeant
l’orchestre Les Siècles, dont
l’historique a carrément effacé dans le programme de salle le nom de son
fondateur, François-Xavier Roth…
Je ne reviendrai pas ici sur la
genèse de l’œuvre que j’avais exposée dans ces colonnes le soir de sa première
représentation (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2013/12/olivier-py-et-jeremie-rohrer-offrent.html),
et me focaliserai sur les spécificités de cette seconde reprise. Dans un décor
superbe de simplicité et signifiant digne d’un carmel, au dégradé de gris de
Pierre-André Weitz, à l’instar de ses costumes, la direction d’acteur d’Olivier
Py retravaillée par Daniel Izzo donne sa dimension spirituelle et son caractère
propre à chacun des personnages. L’agonie de la première Prieure telle un Christ
en croix recouverte d’un linceul sur un lit entouré d’une table de nuit et
d’une lampe fixés sur un mur, le tout de couleur blanche, les apparitions de la
crèche aux moments cruciaux, celle de la Cène reconstituées par des femmes, le
sacrifice de l’Agneau, le finale sur le plateau nu donnant sur un ciel nocturne
étoilé vers lequel les carmélites vêtues de longues chemises blanches
s’éloignent les unes après les autres au son de la guillotine, sont
quelques-uns des moments les plus bouleversants d’une mise en scène qui n’en
est pas avare.
Violoniste virtuose, disciple de
Simon Rattle, cheffe principale du Netherlands Radio Philharmonic Orchestra, hôte
de l’Orchestre de Paris, Karina Canellakis s’est déjà illustrée en novembre
2021 dans la fosse du Théâtre des Champs-Elysées dans Eugène Onéguine de Tchaïkovski à la tête de l’Orchestre National de
France. Il est clair que Canellakis aime cette œuvre, lui donnant une force
dramatique, un lyrisme puissamment évocateur, à l’écoute de chaque protagoniste
qu’elle soutient avec une attention particulière au verbe, à l’articulation, au
débit du texte, ne couvrant jamais les voix, même dans les moments les plus
tendus, au point d’instaurer un véritable dialogue avec les protagonistes dont
l’orchestre est le prolongement et le reflet. Elle est en parfaite adéquation
avec le plateau, traduisant les non-dits, les sentiments profonds des personnages,
galvanisant un orchestre Les Siècles aux sonorités sombres et opalescentes.
Comme précédemment, l’exceptionnelle réussite de
ces Dialogues tient aussi à une
distribution magistrale, toujours emmenée par Patricia Petibon, cette fois en
Mère Marie de l’Incarnation. La voix s’est en effet étoffée, la ligne de chant
reste d’une solidité pérenne et le timbre s’est épanoui et élargi. Dans le rôle
de Sœur Blanche de l’Agonie du Christ, qui porte les moindres intentions du
metteur en scène, revient à Vannina Santoni, voix lumineuse et brûlante qui lui
permet de donner toute la complexité du personnage avec une juste humanité. Tour à tour exaltée et modeste, docile et rebelle, cassante et fragile,
la novice entrée au carmel pour échapper
au monde extérieur qui l’effraie est poignante de vérité. Autour
d’elle, la noble Madame Lidoine de Véronique Gens, intègre et généreuse, à la
vocalité aussi brillante qu’en 2013. L’ardente Madame de Croissy éperdue d’angoisse
et de doutes de Sophie Koch. L’exhortation blasphématoire de sa première Prieure
épouvantée par la perspective de la mort, est saisissant d’effroi tant la cantatrice atteint
une violence insoutenable, altérant habilement sa ligne de chant
torturée par la douleur. Manon Lamaison se substitue à Sabine Devieile en Sœur
Constance de saint Denis tendre et rêveuse, incarnant un être pur et
profond. Réduits à la portion congrue, les hommes sont néanmoins à la hauteur des
religieuses, avec un Alexandre Duhamel campant émouvant Marquis de La Force, et,
surtout, un Sahy Ratia dont la voix de ténor mozartien s’impose dans la figure tourmentée
du Chevalier de La Force. Les autres rôles, comme Loïc Félix en Père confesseur du couvent de Compiègne, sont tout aussi méritants, ainsi que
le Chœur Unikanti dirigé par Mathieu Poulain.
Bruno
Serrou
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