jeudi 5 décembre 2024

Captivante "Symphonie fantastique" de l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 4 décembre 2024 

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Concert à « 3B » mercredi soir à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre de Paris et son directeur musical Klaus Mäkelä, une œuvre riche commandée par l’orchestre pour le Festival d’Aix-en-Provence, A Sky too Small de la britannique Charlotte Bray puissance fort bien construite et instrumentée, le sublime Concerto n° 3 de Beethoven par une Mitsuko Uchida comme absente, tant son toucher est apparu arachnéen, suscitant un nuancier manquant de carnation, et une Symphonie fantastique de Berlioz de feu, avec un chef rayonnant et dynamique à la tête d’une formation chantant dans son jardin de façon idiomatique

Klaus Mäkelä, Orchestre de Pa'ris. Photo : (c) Bruno Serrou

Pas trouvé d’autre lien que ces « 3B » dans le programme proposé par l’Orchestre de Paris pour son premier concert du mois de décembre 2024, quatre jours après sa semaine « Résurrection » de Gustav Mahler. Certes, Hector Berlioz (1803-1869) portait pour Ludwig van Beethoven (1770-1827) une admiration proche de l’idolâtrie, quant à notre contemporaine Charlotte Bray (née en 1982), outre le fait qu’elle soit Britannique, nationalité que ses deux illustres aînés appréciaient particulièrement (Shakespeare et l’Ecosse en commun, la première épouse comédienne Harriet Smithson pour le second), elle s’avère être une brillante orchestratrice qui n’a apparemment rien à envier à l’Allemand et au Français… C’est avec la jeune quadragénaire, originaire d’Oxford, formée au Conservatoire de Buckingham (violoncelle, composition), élève de Mark Anthony Turnage au Royal College of Music de Londres, d’Oliver Knussen et de Magnus Lindberg, elle a été lauréate du Prix Lili Boulanger en 2014, année où le Festival d’Aix-en-Provence l’a invitée à donner une master class (voir https://festival-aix.com/medias/video/master-class-de-compositeur-charlotte-bray-2014). Fondée sur une tragique histoire vraie d’une incarcération forcée au fond d’un puits sombre où le captif ne voit que le ciel infini, A Sky too Small (Un ciel trop petit) pour orchestre (bois par deux, quatre cors, trois trompettes, deux trombones, tuba, trois percussionnistes, harpe, cordes). Tel un poème symphonique, la partition commandée par le Festival d’Aix-en-Provence et l’Orchestre de Paris qui l’ont créé le 13 juillet de cette année, décrit les tourments psychiques et physiques subits par le captif qui subit la haine et la terreur de ses geôliers, le cadre et l’environnement de sa détention, son activité réduite qui consiste essentiellement à tourner en rond dans sa fosse, la narration se faisant par le biais d’une écriture instrumentale dense, limpide, variée qui tient l’auditeur en haleine, trop brièvement finalement tant les sept minutes de cette œuvre sombre et dramatique contiennent d’expressivité.

Mitsuko Uchida (piano), Mohamed Hiber (violon solo), Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris
Photo : (c) Bruno Serrou

Composé entre 1800 et 1802, créé à Vienne le 5 avril 1803, dédié l’année suivante au prince Louis-Ferdinand de Prusse, le Concerto n° 3 pour piano et orchestre en ut mineur op. 37 de Beethoven compte parmi les chefs-d’œuvre les plus extraordinaires de la littérature concertante pour l’instrument-roi. Beethoven atteint en effet un l’équilibre parfait entre le soliste et l’orchestre qu’il traite tels des partenaires. Un véritable dialogue s’instaure d’ailleurs dans le vaste développement de l’Allegro con brio initial, où le piano acquiert une totale indépendance et une virtuosité singulière dans son propre champ expressif, avec pour point d’orgue les sublimes accords en creux qui ouvrent la coda conclusive. Ce n’est pas la part dévolue à l’orchestre qui a péché par faiblesse, bien au contraire, Klaus Mäkelä et ses musiciens de l’Orchestre de Paris brodant un tissu orchestral onctueux, brillamment éclairé de l’intérieur, empli d’exquises sonorités et poussant à l’expressivité, mais le piano de Mitsuko Uchida n’est pas entré dans le discours de la phalange parisienne. L’artiste japonaise résidant à Londres m’est apparue étrangement absente, contrainte entourée des bruissements de l’orchestre en regard de la discrétion de son interprétation, la pianiste semblant se concentrer sur sa technique, au demeurant irréprochable, au détriment de l’expression, restant constamment sur son quant-à-soi. Après plusieurs rappels, Mitsuko Uchida a fini par s’asseoir de nouveau devant le Steinway de la Philharmonie, pour une curieuse tentative de bis avortée, s’essayant à plaquer trois accords avant de se relever lentement comme prise de panique de ne pas trouver ce qu’elle pouvait jouer…

Mitsuko Uchida, Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

La Symphonie fantastique (1830) d‘Hector Berlioz avec laquelle l’Orchestre de Paris a été porté sur les fonts baptismaux par son fondateur Charles Münch en 1967, est nous le savons tous dans l’ADN des musiciens, qui se transmettent la tradition de générations en générations, et la façon enlevée dont Klaus Mäkelä les a revigorés ce mercredi soir par une conception monumentale d’énergie, de mobilité, les gestes proprement chorégraphiques comme entrant dans la pâte sonore pour mieux la ciseler, le chef finlandais semblant chercher la vitalité jusqu’au tréfonds de l’orchestre (parmi tous les musiciens, retenons ici le cor anglais Gildas Prado, la clarinette de Philippe Berrod et la petite flûte Bastien Pelat, cornistes et harpistes, ainsi que le violon solo invité, Mohamed Hiber), avec une précision ahurissante, engendrant un véritable bain de jouvence pour les yeux et pour les oreilles, tant le chef a réussi à susciter une tempête sonore phénoménale, se laissant emporter lui-même jusqu’au vertige, ce qui a constitué comme un tremplin pour le public avide d’applaudissements intempestifs… Mais l’on a beau se dire « oh, encore une fantastique », chaque écoute de cette œuvre si souvent programmée, ne cesse de susciter l’enthousiasme à chacune de ses apparitions à l’affiche de l’Orchestre de Paris…

Bruno Serrou

 

 

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