jeudi 19 décembre 2024

Dirigé par Daniel Harding, l’ultime concert 2024 de l’Orchestre de Paris a été le cadre d’une remarquable interprétation de «Pelléas et Mélisande» qui a couronné le 150e anniversaire du « père » de la musique dite «contemporaine», Arnold Schönberg

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 18 décembre 2024 

Daniel Harding et l'Orchestre de Paris au grand complet, ajouté de quelques musiciens supplémentaires, pour Pelleas und Melisande d'Arnold Schönberg.
Photo : (c) Bruno Serrou

Dernier concert 2024 pour moi. L’Orchestre de Paris a conclu le millésime comme il l’avait commencé le 9 janvier, avec Arnold Schönberg dans le cadre des célébrations du cent-cinquantenaire (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/01/arnold-schonberg-en-majeste-pour.html). Cette fois, avec l’imposant Pelléas et Mélisande op. 5 dirigé avec flamme par Daniel Harding à la tête d’un orchestre clair, fluide, magnétique. La première partie a été plus légère, avec trois partitions de Johann Strauss Jr., l’ouverture Fledermaus, et les valses Sang viennois et Voix du printemps par une ensorceleuse Sabine Devieilhe

Orchestre de Paris en formation Valses de Johann Straus Jr.
Photo : (c) Bruno Serrou

A priori le rapprochement entre les deux compositeurs programmés était une véritable gageure. Johann Strauss Jr, roi de la valse dont le bicentenaire de la naissance sera célébrée en cette nouvelle année 2025, face à Arnold Schönberg, le créateur le plus novateur et polymorphe de la musique du XXe siècle ne semblait pas a priori couler de source. C’est oublier combien le second admirait le premier, d’abord à travers la pensée de Johannes Brahms pour qui il qui portait une grande admiration et qui considérait Strauss pour l’un des plus grands musiciens de son temps, à l’instar de Schönberg qui le considérait comme un maître, ensuite par le témoignage de ses transcriptions et arrangements de Schönberg pour petits ensembles de plusieurs pages de Strauss, dont le célèbre la Valse de l’empereur ou Roses du Sud entre autres réalisés pour renflouer la Société d’exécutions musicales privées qu’il avait fondée à l’automne 1918 avec Alban Berg et Anton Webern. La première des trois œuvres de Johann Strauss Jr. (1825-1899) interprétées avec gourmandise et appétence par l’Orchestre de Paris a été le pot-pourri de valses et de polkas que constitue la célébrissime ouverture de l’opérette Die Fledermaus (La Chauve-Souris), suivie de Wiener Blut (Sang viennois) op. 354 écrite pour le mariage de la fille de l’empereur François-Joseph d’Autriche et de son épouse Elisabeth dite « Sissi », l’archiduchesse Gisèle avec le prince Leopold de Bavière, création qui présente à son auteur sa première occasion de diriger les Wiener Philharmoniker, avant de conclure sur la valse avec voix de soprano Frühlingsstimmen (Voix du printemps) op. 410 avec en soliste la voix délicieuse toute de grâce et de lumière de Sabine Devieilhe au timbre se fondant et se détachant délicieusement des textures de l’Orchestre de Paris.

Daniel Harding, Mohamed Hiber (violon solo invité), Sabine Devieilhe (soprano)
Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie du concert était consacrée au grand poème symphonique de la période expressionniste d’Arnold Schönberg, Pelleas und Melisande op. 5 que l’Orchestre de Paris a proposé à la Philharmonie un peu plus de sept mois après Les Siècle dirigés par leur fondateur François-Xavier Roth (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/05/un-passionnant-pelleas-et-melisande-de.html) C’est pourquoi je reprends ici la présentation de cette œuvre colossale à l’orchestration touffue que j’ai rédigée à cette occasion-là. Composé à Berlin trois ans après le sextuor à cordes La Nuit transfigurée op. 4, entre juillet 1902 et février 1903, créé à Vienne sous la direction de son auteur le 26 janvier 1905 à la tête des Wiener Konzertvereines, l’unique mouvement de ce poème symphonique est subdivisé en dix parties réunies en quatre sections enchaînées qui se développe sur un peu plus de trois quarts d’heure. La pièce de Maurice Maeterlinck qu’il illustre avait déjà inspiré Gabriel Fauré en 1898, tandis que Jean Sibelius composera sa musique de scène la même année 1905 que le poème du Viennois. Lorsque Richard Strauss, alors directeur de l’Opéra de Berlin, suggéra à Arnold Schönberg, qui enseignait à Berlin submergé par d’inextricables problèmes financiers, de composer un opéra tiré du chef-d’œuvre du poète dramaturge belge, ignorant encore l’existence de celui de Claude Debussy créé à l’Opéra-Comique de Paris en 1902. Dans cette œuvre écrite dans la tonalité globale de ré mineur, l’orchestre de Schönberg (1), comparable à celui qu’il utilisera dans ses Gurrelieder en 1911, est impressionnant, d’une extrême complexité, et c’est une véritable gageure pour le chef que de réussir à ménager la limpidité nécessaire à l’expression et à la compréhension des très nombreux thèmes et motifs identifiés par Alban Berg dans un texte célèbre publié en 1920 sur la partition de Schönberg, qui a sélectionné huit des quinze scènes du drame de Maeterlinck, suivant scrupuleusement l’intrigue - « J’ai essayé de reproduire chaque détail de la pièce, avec seulement quelques omissions et de légers changements dans l’ordre des scènes » -, dans laquelle Berg relève l’usage de gammes par tons et d’accords par superpositions de quarte, un florissant travail polyphonique fondé sur le foisonnement exceptionnel de thèmes traités à la façon de leitmotiv associés à scènes et personnages qui forment les éléments constitutifs d’un développement symphonique s’ouvrant sur un Allegro de sonate où sont peintes la scène de la forêt où s’est égaré Golaud, sa rencontre avec Mélisande et leur mariage, et se poursuit dans un Scherzo qui décrit la scène de la fontaine où Mélisande perd son alliance et rencontre Pelléas, celle de la tour et des fautes de Pelléas et Mélisande, puis un Adagio évoquant la fontaine dans le parc, la scène d’amour et d’adieu des personnages-titres et la mort de Pelléas qui débouche sur le Finale décrivant la mort de Mélisande où Schönberg récapitule le matériau thématique de l’œuvre entière. « Dans les quatre sections principales de ce poème symphonique, écrit Berg en 1920, on peut même identifier clairement les quatre mouvements d’une symphonie. Plus précisément, un grand mouvement d’ouverture en forme de sonate ; un deuxième mouvement composé de trois épisodes plus courts, donc une forme tripartites (dont au moins une scène suggère un caractère de forme Scherzo), un Adagio à grande échelle, enfin un finale construit comme une reprise. »

Daniel Harding, Orchestre de Paris
Photo : (c) Bruno Seerrou

Cette œuvre qui peut vite devenir confuse voire brouillon tant l’écriture polyphonique et contrapuntique est touffue et luxuriante, est apparue avec l’Orchestre de Paris plus « ronde », chatoyante et colorée qu’avec Les Siècles, qui jouaient sur instruments d’époque, dirigé toute en souplesse avec des gestes larges, précis et pétrissant la pâte sonore, d’une parfaite lisibilité, exaltant des structures fluides et limpides, le moindre segment de motif, la plus légère variation d’intensité, la plus infime mutation harmonique étant clairement ressentie, entendue, tandis que les membres de l’Orchestre de Paris ont brillé trois quarts d’heure durant, cordes, bois et cuivres exaltant des textures onctueuses, enluminées, amples, étoffées, charnues et légères à la fois, exhaussées par un vision expressive, charnelle du chef britannique qui a exalté une polyphonie chamarrée, suscitant un véritable bonheur pour l’oreille et le corps de l’auditeur, dans une conception aussi enivrante et lyrique mais un peu moins fluide que ce que Pierre Boulez, qui a dirigé la phalange parisienne dans cette partition en deux occasions (1983 et 1993), a gravé au disque par deux fois, la première avec le Chicago Symphony Orchestra (Warner/Erato), la seconde avec le Gustav Mahler Jugendorchester (DG).

Bruno Serrou

1) Piccolo, 3 flûtes (la 3e aussi 2e piccolo), 3 hautbois (le 3e aussi 2e cor anglais), cor anglais, clarinette en mi bémol, 3 clarinettes en si bémol et en la (3e aussi 2e clarinette basse), clarinette basse, 3 bassons, contrebasson, 8 cors en fa, 4 trompettes en mi et en fa, trombone alto, 4 trombones ténor-basse, tuba contrebasse, 2 timbaliers, 3 percussionnistes, 4 harpes, 16 violons I, 16 violons II, 12 altos, 12 violoncelles, 8 contrebasses

 

 

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