Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 18 décembre 2024
Dernier concert 2024 pour moi. L’Orchestre de Paris a conclu le millésime
comme il l’avait commencé le 9 janvier, avec Arnold Schönberg dans le cadre des
célébrations du cent-cinquantenaire (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/01/arnold-schonberg-en-majeste-pour.html).
Cette fois, avec l’imposant Pelléas et Mélisande op. 5 dirigé avec flamme par
Daniel Harding à la tête d’un orchestre clair, fluide, magnétique. La première
partie a été plus légère, avec trois partitions de Johann Strauss Jr., l’ouverture
Fledermaus, et les valses Sang viennois et Voix du printemps par une ensorceleuse Sabine Devieilhe
A priori le rapprochement entre les
deux compositeurs programmés était une véritable gageure. Johann Strauss Jr,
roi de la valse dont le bicentenaire de la naissance sera célébrée en cette
nouvelle année 2025, face à Arnold Schönberg, le créateur le plus novateur et
polymorphe de la musique du XXe siècle ne semblait pas a priori couler
de source. C’est oublier combien le second admirait le premier, d’abord à
travers la pensée de Johannes Brahms pour qui il qui portait une grande admiration
et qui considérait Strauss pour l’un des plus grands musiciens de son temps, à
l’instar de Schönberg qui le considérait comme un maître, ensuite par le
témoignage de ses transcriptions et arrangements de Schönberg pour petits
ensembles de plusieurs pages de Strauss, dont le célèbre la Valse de l’empereur ou Roses du Sud entre autres réalisés pour renflouer
la Société d’exécutions musicales privées qu’il avait fondée à l’automne 1918
avec Alban Berg et Anton Webern. La première des trois œuvres de Johann Strauss
Jr. (1825-1899) interprétées avec gourmandise et appétence par l’Orchestre de
Paris a été le pot-pourri de valses et de polkas que constitue la célébrissime
ouverture de l’opérette Die Fledermaus (La Chauve-Souris), suivie de Wiener Blut (Sang viennois) op. 354 écrite
pour le mariage de la fille de l’empereur François-Joseph d’Autriche et de son
épouse Elisabeth dite « Sissi », l’archiduchesse Gisèle avec le
prince Leopold de Bavière, création qui présente à son auteur sa première
occasion de diriger les Wiener Philharmoniker, avant de conclure sur la valse
avec voix de soprano Frühlingsstimmen (Voix du printemps) op. 410 avec en soliste la voix délicieuse toute de grâce et de
lumière de Sabine Devieilhe au timbre se fondant et se détachant délicieusement
des textures de l’Orchestre de Paris.
La seconde partie du concert était consacrée au grand poème symphonique
de la période expressionniste d’Arnold Schönberg, Pelleas und Melisande op. 5 que l’Orchestre de Paris a proposé à la
Philharmonie un peu plus de sept mois après Les Siècle dirigés par leur
fondateur François-Xavier Roth (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/05/un-passionnant-pelleas-et-melisande-de.html)
C’est pourquoi je reprends ici la présentation de cette œuvre colossale à l’orchestration
touffue que j’ai rédigée à cette occasion-là. Composé à Berlin trois ans après le
sextuor à cordes La Nuit transfigurée op.
4, entre juillet 1902 et février 1903, créé à Vienne sous la direction de
son auteur le 26 janvier 1905 à la tête des Wiener Konzertvereines, l’unique
mouvement de ce poème symphonique est subdivisé en dix parties réunies en
quatre sections enchaînées qui se développe sur un peu plus de trois quarts
d’heure. La pièce de Maurice Maeterlinck qu’il illustre avait déjà inspiré
Gabriel Fauré en 1898, tandis que Jean Sibelius composera sa musique de scène
la même année 1905 que le poème du Viennois. Lorsque Richard Strauss, alors
directeur de l’Opéra de Berlin, suggéra à Arnold Schönberg, qui enseignait à
Berlin submergé par d’inextricables problèmes financiers, de composer un opéra
tiré du chef-d’œuvre du poète dramaturge belge, ignorant encore l’existence de
celui de Claude Debussy créé à l’Opéra-Comique de Paris en 1902. Dans cette
œuvre écrite dans la tonalité globale de ré mineur, l’orchestre de Schönberg (1),
comparable à celui qu’il utilisera dans ses Gurrelieder
en 1911, est impressionnant, d’une extrême complexité, et c’est une véritable
gageure pour le chef que de réussir à ménager la limpidité nécessaire à
l’expression et à la compréhension des très nombreux thèmes et motifs identifiés
par Alban Berg dans un texte célèbre publié en 1920 sur la partition de
Schönberg, qui a sélectionné huit des quinze scènes du drame de Maeterlinck, suivant
scrupuleusement l’intrigue - « J’ai essayé de reproduire chaque détail de
la pièce, avec seulement quelques omissions et de légers changements dans
l’ordre des scènes » -, dans laquelle Berg relève l’usage de gammes par
tons et d’accords par superpositions de quarte, un florissant travail
polyphonique fondé sur le foisonnement exceptionnel de thèmes traités à la
façon de leitmotiv associés à scènes et personnages qui forment les éléments
constitutifs d’un développement symphonique s’ouvrant sur un Allegro de sonate où sont peintes la
scène de la forêt où s’est égaré Golaud, sa rencontre avec Mélisande et leur
mariage, et se poursuit dans un Scherzo
qui décrit la scène de la fontaine où Mélisande perd son alliance et rencontre
Pelléas, celle de la tour et des fautes de Pelléas et Mélisande, puis un Adagio évoquant la fontaine dans le
parc, la scène d’amour et d’adieu des personnages-titres et la mort de Pelléas qui
débouche sur le Finale décrivant la mort
de Mélisande où Schönberg récapitule le matériau thématique de l’œuvre entière.
« Dans les quatre sections principales de ce poème symphonique, écrit Berg
en 1920, on peut même identifier clairement les quatre mouvements d’une
symphonie. Plus précisément, un grand mouvement d’ouverture en forme de
sonate ; un deuxième mouvement composé de trois épisodes plus courts, donc
une forme tripartites (dont au moins une scène suggère un caractère de forme
Scherzo), un Adagio à grande échelle, enfin un finale construit comme une
reprise. »
Cette œuvre qui peut vite devenir confuse voire brouillon tant
l’écriture polyphonique et contrapuntique est touffue et luxuriante, est
apparue avec l’Orchestre de Paris plus « ronde », chatoyante et colorée
qu’avec Les Siècles, qui jouaient sur instruments d’époque, dirigé toute en souplesse
avec des gestes larges, précis et pétrissant la pâte sonore, d’une parfaite
lisibilité, exaltant des structures fluides et limpides, le moindre segment de
motif, la plus légère variation d’intensité, la plus infime mutation harmonique
étant clairement ressentie, entendue, tandis que les membres de l’Orchestre de Paris
ont brillé trois quarts d’heure durant, cordes, bois et cuivres exaltant des
textures onctueuses, enluminées, amples, étoffées, charnues et légères à la
fois, exhaussées par un vision expressive, charnelle du chef britannique qui a exalté
une polyphonie chamarrée, suscitant un véritable bonheur pour l’oreille et le
corps de l’auditeur, dans une conception aussi enivrante et lyrique mais un peu
moins fluide que ce que Pierre Boulez, qui a dirigé la phalange parisienne dans
cette partition en deux occasions (1983 et 1993), a gravé au disque par deux
fois, la première avec le Chicago Symphony Orchestra (Warner/Erato), la seconde
avec le Gustav Mahler Jugendorchester (DG).
Bruno Serrou
1) Piccolo, 3 flûtes (la 3e aussi 2e
piccolo), 3 hautbois (le 3e aussi 2e cor anglais), cor
anglais, clarinette en mi bémol, 3 clarinettes en si bémol et en la (3e
aussi 2e clarinette basse), clarinette basse, 3 bassons, contrebasson,
8 cors en fa, 4 trompettes en mi et en fa, trombone alto, 4 trombones
ténor-basse, tuba contrebasse, 2 timbaliers, 3 percussionnistes, 4 harpes, 16 violons
I, 16 violons II, 12 altos, 12 violoncelles, 8 contrebasses
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